On établit le degré d’avancement d’une société aux moyens mis en oeuvre pour soutenir ses personnes les plus démunies. Je ne parle pas seulement des programmes de l’État, j’inclus également les gestes posés par ses citoyens. Mis à part l’argent de nos impôts dont une partie sert à combler le strict minimum des plus nécessiteux, nous posons parfois des gestes de bonté, de charité ou de soutien auprès de personnes totalement anonymes, comme lors de la guignolée annuelle. Dans ce genre d’activité, l’anonymat est bilatéral. Je doute de l’interprétation voulant que, dans l’ensemble, les gens se fichent éperdument de connaitre ceux à qui profite leur générosité passagère. Ce faisant, ils ne font que s’acheter une bonne conscience au rabais grâce à un don de quelques pièces déposées à des intersections prises d’assaut par une brigade de bénévoles sollicitant leurs offrandes. Il existe une autre interprétation possible au désir d’anonymat. Ce pourrait être parce que les gens veulent éviter de commettre des indiscrétions qui risqueraient d’entacher la dignité de ceux dont la guigne s’acharne à leur ravir le peu qu’il leur reste. Le donateur moyen se fait discret en laissant le soin à quelques individus d’intervenir auprès des familles éprouvées sans éventer ni partager leur secret. Mais voilà, il y a un tribut à payer pour toute chose et l’adage « loin des yeux, loin du coeur » s’applique bien dans ce contexte. L’anonymat des uns pour les autres élimine le lien de proximité devant exister entre les individus d’une même communauté. Ainsi, le sentiment de compassion reste dans la marge. Seules la charité ainsi qu’un peu de culpabilité semblent les éléments requis en de telles circonstances alors qu’il devrait surtout être question de partage et de chaleur humaine. Ainsi, une fois l’an, nous glissons quelques boites métalliques ou cartonnées remplies de victuailles non périssables sous un faux sapin afin qu’elles soient distribuées à des familles inconnues, mais bien réelles. Nous lançons prestement quelques piécettes au fond d’une boite de conserve tapageuse avec l’étrange impression d’en donner trop et trop peu, tout à la fois. Notez, je ne cherche d’aucune façon à diminuer, à mitiger ou à dénigrer le rôle important joué par des activités comme la guignolée, bien au contraire. Par contre, nos efforts resteront toujours circonstanciels tant que nous n’adopterons pas également d’autres modes opératoires. Oui, la guignolée annuelle est là pour nous rappeler que nous avons tous droit à un bonheur minimum, surtout durant le temps des Fêtes, mais la guignolée à elle seule ne fera pas disparaitre la misère. Il existera toujours des gens qui resteront aux prises avec de furieux taureaux montés d’une part par la pauvreté et de l’autre par la guigne. Alors, au lieu de simplement les encourager de nos olé une fois l’an, oserons-nous un jour descendre avec eux dans l’arène pour porter un coup fatal à la déshumanisante pauvreté ?