D comme désordre

Aujourd’hui, je commence une nouvelle série d’articles sur des mots commençant par une lettre. Oui, tous les mots commencent par une lettre, je sais cela! Mais pas n’importe laquelle!

Ah! Je vous vois penser! Vous vous dites: «Mais si c’est son premier article, pourquoi ne choisit-il pas un mot commençant par la lettre “A” comme dans toutes les bonnes listes mises en ordre alphabétique?»

C’est que le premier mot auquel je m’attaque est «désordre» et ça aurait été paradoxal, avouez-le, de parler du désordre en plaçant ce mot dans une liste en ordre alphabétique!

Alors voilà, le désordre s’oppose évidemment à l’ordre. On doit donc comprendre ce que signifie le mot «ordre» pour saisir son contraire. En règle générale, le désordre a plutôt une sale réputation. Un fouillis, un capharnaüm, un chaos, un fatras, un bordel, un bazar, voilà ce à quoi on associe le désordre. Pauvre mot, il déprime déjà et je ne fais que commencer!

qkDaTKryxYqNa7P1_g5sigwu0g8.jpg

Pourtant, je vais prouver que bien souvent, le mot désordre souffre d’une mauvaise réputation infondée. À l’école, on apprend l’ordre alphabétique. Cet ordre n’est pas plus justifié qu’un autre puisque les lettres ne sont pas classées par degré d’importance ou même par récurrence dans la langue française ou par l’ordre dans lequel les lettres sont apparues dans l’histoire, enfin pas toutes. «Ordre alphabétique» devrait plutôt se nommer «convention alphabétique» puisqu’il n’y a aucun réel ordre selon un critère précis, justifiable et vérifiable. La lettre «d» précède la lettre «t» sans raison. Ce sont deux lettres phonétiquement apparentées, dentales toutes les deux et probablement apparues à peu près en même temps dans le langage humain. Il n’y a aucune raison logique d’avoir donné l’ordre 4 au «d» et le 20 au «t». On peut tenir à peu près le même discours pour les 24 autres lettres de notre alphabet, sauf exception.

Alors pourquoi le mot «désordre» nous embête-t-il tant? Est-ce parce qu’il est l’antonyme d’un mot considéré pertinent, juste, logique? Pourtant, ce cher «ordre» qu’on chérit tant est un mot bien plus souvent utilisé improprement ou plutôt dans un sens qui s’est un peu trop étendu avec le temps.

Petit aparté, je ne conserve que le sens premier de ce mot. Voici donc la définition principale du mot «ordre» dans mon dictionnaire: «Relation intelligible qui peut être saisie entre une pluralité de termes».

L’ordre est donc une relation qu’on peut comprendre. Pourtant, il n’y a aucune intelligence qu’on peut déployer pour comprendre l’ordre alphabétique! Ainsi, l’ordre de l’alphabet n’existe tout simplement pas. Au mieux pourrait-on parler d’ordonnancement, mais le terme le plus juste à utiliser devrait être «convention» puisque ce qu’on appelle «ordre alphabétique» est un ensemble de lettres mises les unes à la suite des autres de façon convenue, un arrangement de lettres placées d’une certaine manière, dans un certain ordonnancement qu’on doit apprendre par cœur, sans explications.

Il est donc normal que le mot désordre fasse… désordre puisqu’on s’attend du mot «ordre» qu’il ait un sens qu’il n’a tout simplement pas dans bien des circonstances.

file_main_image_8941_1_arretais_crier_01_8941_cache_640x360

Alors, avant de crier au désordre, posez-vous la question si l’ordre qu’il est censé tailler en pièce est compréhensible. Dans le sens, en émane-t-il une raison intrinsèque qu’on peut retrouver et expliquer, ou si au contraire, ce n’est qu’une pure convention extrinsèque définie par l’usage ou par une quelconque sommité qu’on doit continuer de vénérer en acceptant aveuglément son diktat archaïque. Ouais, bon, cette phrase atteste de mon tempérament un peu rebelle et même anar sur les bords. Mais que je ne vous vois pas utiliser cet argument fallacieux pour discréditer ma thèse! Un rebelle ne se retrouve pas obligatoirement dans les pommes de terre dauphinoises. Et il a un orgueil, vous saurez!

L’ordonnancement des lettres alphabétiques est utile, il n’y a aucun doute, mais prouver une utilité à une convention est nettement insuffisant pour la qualifier d’ordre. Plutôt que d’utiliser l’expression «en désordre», le mot «mélangé» pourrait bien mieux faire l’affaire la plupart du temps. L’aspect péjoratif est esquivé et il conviendrait souvent mieux aux objets et aux situations qu’on cherche à décrire. Quand on joue aux cartes, les placer en ordre est un défaut innommable. L’apparent désordre qu’on leur inflige en les brassant, c’est là où on voit la subtilité de plutôt choisir le terme «mélanger les cartes», est non seulement recherché, mais essentiel.

Cependant, le mot «désordre» plait aux gens qui cherchent à imposer des règles sans devoir les expliquer. Pour eux, ça tombe sous le sens. Pas besoin d’explications puisqu’on a l’ordre et ses inverses, c’est-à-dire tous les désordres. Si ce n’est pas dans l’ordre tel que défini, c’est nécessairement en désordre, donc n’importe comment, tout croche (dit à la québécoise).

enhanced-buzz-25261-1363280735-6.jpg

Prenons un exemple différent, parlons des décimales de la valeur de pi (π). Ici, on peut considérer qu’il existe un ordre et un désordre. Placer ces décimales dans le désordre change la valeur de π. L’ordre des décimales est compréhensible et même calculable. Il existe donc effectivement un vrai ordre et son contraire. Un désordre dans les décimales de π influence inévitablement sa valeur. Voilà un ordre qui a un vrai sens, qui s’explique et qui a des conséquences graves, voire dramatiques, si on ose intervertir certaines décimales, surtout les premières, évidemment.

e18f066c45ee829b911d21858d1549e4.jpg

Voilà pourquoi l’art est si important. Il fait souvent sauter ce genre de barrières constituées d’absurdités, construites autour de conventions souvent illogiques ou totalement inutiles, surannées, mais tellement présentes qu’elles constituent des carcans dans un anachronisme indéboulonnable autrement. Plus simplement, dans les arts comme partout ailleurs, soit dit en passant, s’attaquer aux faux ordres galvaudés par toutes sortes de préciosités, ça s’appelle de l’originalité et celle-ci est souvent reconnue comme étant à la base de tout talent.

Petite étrangeté pour terminer, dans la définition du verbe «galvauder», on peut y trouver le sens suivant: «mettre en désordre». Ainsi, un ordre infondé qu’on hisse à tout vent serait une définition particulière du désordre! Ça tient la route. En forçant trop la note sans raison valable, on obtient bien souvent le résultat contraire de celui qu’on espérait.

48672-bureau-dependance-bordel-foutoir-desordre-rangemen

P.S. Je n’accepte aucun blâme en rapport avec l’état de la chambre de vos ados à la suite de leur lecture de cet article de blogue. Utilisez donc à leur endroit une formule exempte du mot ordre, ça doit bien exister! … en y réfléchissant bien!

Photo entête : gabray31.over-blog.com ;
Alphabet : estelledocs.eklablog.com ;
Cri : mamanpourlavie.com ;
Pi : www.shakespearegeek.com ;
Picasso : remaimodern.org ;
Chambre : pictonale.net  ;

4 commentaires sur “D comme désordre

  1. J’apprécie grandement votre esprit  » rebelle » qui se permet de douter de tout. Vous essayez toujours de comprendre le fond des choses, c’est tellement admirable. Moi quand je me pose « trop » de questions des fois on me prends pour une folle et ce qui est drole, c’est que à force on se met réellement à croire qu’on est complèment insensé. Cela me fait tellement plaisir de lire des articles d’une personne qui sait se servir de son cerveau et qui ose penser par elle même ( c’est en quelque sorte rassurant lol).

    De plus, votre style d’écriture dégage une élégance, une confiance accompagnée d’un ton humouristique que l’on ne peut qu’admirer. Je pense que les mots vous on apprivoisé mon cher ami ( vous en avez de la chance 😂).

    Aimé par 2 personnes

    1. Ouf ! Je suis étourdi par tant de belles paroles ! J’aimerais toutefois, Mimika, te rassurer sur un point. Tu ne te poseras jamais trop de questions. Au goût des autres, sûrement. Ça les confronte à leur propre ignorance. Je n’utilise pas ce mot de manière péjorative. On nait ignorant et on mourra en l’étant juste un peu moins. Toutefois, entre les deux, il nous appartient de mettre en œuvre notre stratégie pour la combattre du mieux possible.
      Une vérité que tu commences certainement à comprendre et qui est plutôt déroutante, la très grande majorité des gens se foutent de rester ignorants. Ils ne ressentent pas le besoin de remettre en question les acquis de l’existence. Tes questionnements finissent alors rapidement par les indisposer et dans ces moments d’exaspération, la folie leur semble la meilleure explication au fait que tu ne les imites pas. Sans qu’ils le disent explicitement, tu la ressens comme étant la seule explication plausible à leurs yeux. Mais il y en a une autre et au fond, tu la connais très bien. Le goût de vraiment comprendre ce qui te semble mystérieux et qui le reste malgré, ou à cause d’explications sommaires bancales et le jemenfoutisme généralisé.
      Jeune, j’ai eu l’opportunité de devenir professeur. Ça m’a aidé à comprendre en profondeur la matière qui devait être enseignée et l’incommensurable quantité de mes questions trouvait enfin une raison légitime d’exister. Toutefois, il n’est pas nécessaire d’exercer cette profession pour trouver un sens à l’existence de tous nos questionnements. Ils existent et voilà. Oui, leur poids pèse parfois lourdement et il est difficile de les transporter, mais c’est sacrément plus intéressant comme dépendance que celles dans lesquelles se noient les dénigreurs de tout acabit.
      Les livres sont une richesse infinie. Posséder entre autres choses une collection de livres de référence dont plusieurs dictionnaires s’avère tout aussi essentiel que le coffre garni d’outils du menuisier. Alors, ne lésine jamais à t’en acheter et surtout à les utiliser.
      Merci de cette confiance que tu me fais en lisant et en commentant mes articles. C’est pour moi le plus beau cadeau qu’on puisse me faire. Bise.

      Aimé par 2 personnes

Laisser un commentaire