Docimologie

Ce mot ne vous dit probablement rien et c’est presque normal. Inventé par le psychologue français Henri Piéron en 1922, il fut utilisé plus régulièrement au Québec depuis 1945 et ailleurs dans la francophonie depuis seulement 1960. Piéron fut le père de la psychologie expérimentale.

Le terme docimologie provient du grec dokimê signifiant « épreuve  ».  Sa définition exacte en psychologie est la science et la pratique du contrôle des connaissances, en bref la psychométrie. En dehors du champ de la psychologie et plus généralement, je lui associe le sens d’examen, de test, d’évaluation.

En gestion, l’évaluation représente le maillon faible, le parent pauvre de cette discipline. Pourtant, le contrôle clôt le cycle de toute bonne gestion. Et sans évaluation, point de contrôle. Je considère cette discipline comme étant la plus négligée de toutes puisqu’il n’existe pratiquement aucune formation adéquate permettant d’apprendre, de bien comprendre et de maitriser l’art de l’évaluation.

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Concernant l’évaluation d’une quelconque nature que ce soit, les histoires d’horreur pullulent. En fait, on peut même considérer qu’aujourd’hui, l’évaluation n’est qu’un moyen sophistiqué de fabrication de preuves pour soutenir des objectifs à inclure dans le prochain cycle de gestion.

Voici un exemple patent en gestion. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi l’externalisation, l’élimination de services internes remplacés par de la sous-traitance, est devenue si populaire dans les grandes entreprises ? Les états financiers étant l’outil de base de l’évaluation des entreprises, les ratios représentent un moyen rapide de les analyser. Les compétences et les performances du grand patron sont donc évaluées à partir des résultats obtenus en rapport avec l’amélioration de certains ratios sur lesquels le Conseil d’administration et lui se sont entendus. L’un de ces critères populaires de performance dans les C.A. est le ratio profit/nombre d’employés. Utiliser moins d’employés pour générer des profits comparables laisse sous-entendre une amélioration des performances de l’entreprise.

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Je vois que vous commencez à comprendre. En externalisant des services, on diminue grandement le nombre d’employés et même si les dépenses globales augmentent, car l’externalisation coûte presque toujours plus cher, le ratio profit/employés s’améliore. Ainsi, même si les performances globales de l’entreprise sont moins bonnes, les administrateurs se font convaincre du contraire. La conséquence est qu’ils récompensent un directeur qui leur a fait perdre plus d’argent en lui attribuant de plus gros bonis.

Dans l’exemple précédent, les administrateurs ne sont pas censés être des 2 de pique et pourtant ils avalent très facilement cette grosse couleuvre. Vous pouvez donc imaginer pourquoi les entreprises sont dans l’ensemble mal gérées. L’évaluation ne fait pas son travail parce qu’on ignore comment faire de l’évaluation. Et si l’évaluation est négligée, la gestion globale en souffre. Peu importe le domaine, peu importe l’entreprise, peu importe le service, l’évaluation n’est qu’un moyen d’arriver à des fins cachées prédéfinies.

Il en va de même avec l’évaluation des employés. Les chefs de service ne possèdent aucune compétence pour procéder à l’évaluation des gens sous leur gouverne. Et même s’ils reçoivent l’appui technique du service des ressources humaines, ce sont leurs idées préconçues qui finiront par se refléter dans la grille d’évaluation et les résultats subséquents, et ce sans égard à une objectivité réelle, car il en existera une qui en aura l’apparence.

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Dans une ancienne vie, j’ai développé un système d’évaluation de personnel œuvrant dans des domaines techniques. Dès le début, j’ai constaté la pauvreté, pour ne pas dire la nullité des méthodes existantes. Je me suis également buté à de grandes difficultés qui m’ont fait comprendre la complexité et l’ampleur de la tâche. Je suis toutefois parvenu à mettre un système sur pied qui permettait d’évaluer de façon rationnelle et objective divers aspects liés au travail du personnel technique.

Lorsque je pose un diagnostic peu encourageant sur la qualité des évaluations, lorsque je procède à l’évaluation des méthodes d’évaluation existantes, force est de constater qu’elles n’obtiennent absolument pas la note de passage. Pire, elles échouent totalement.

Voilà une des principales raisons, sinon la plus importante, pourquoi nous sommes gérés de manière incompétente. Si l’ignorance du problème pouvait en partie justifier votre désintérêt de la question, maintenant que vous le savez, vous ne verrez plus jamais votre évaluation faite par un tiers, quel qu’il soit, du même œil puisque son incompétence vous les crèvera tous les deux.

17 commentaires sur “Docimologie

  1. Article très intéressant que voilà !
    Avez-vous déjà jeté un oeil – ou deux – au Principe de Peter ? J’ai commencé à le lire et bizarrement votre article m’y fait pensé.
    Mais donc si un gouvernement diminue son nombre de ministres, cela ne fait-il pas augmenter son ratio de conneries/ministres ?
    Encore merci en tout cas et bonne continuation !

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    1. Concernant le ratio conneries/ministres, diminuer le nombre de ministres le gardera constant sauf si le premier ministre est le champion des conneries, cas très probable si l’on consisère le principe de Peter.
      À propos de celui-ci, nous devons considérer qu’au début d’un nouveau travail, nous sommes presque toujours incompétents. Le principe de Peter survient si nous le restons encore lorsque le temps passe. Il surviendrait donc au moment où nous cessons de nous poser sérieusement des questions et de chercher des réponses valables. Se sentir dépassé n’est pas le plus important. Le cacher à soi-même comme solution pour le dissimuler aux autres, c’est là le vrai problème.

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  2. J’ai écrit à chaud et les « s » ou autres masculin, féminin en ont profité pour n’en faire qu’à leur tête, je les ai un peu disputés là! Comme je ne sais toujours pas insérer d’émoti machin, alors je dis: sourire

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  3. Il y a toujours un écart entre le travail prescrit et le travail réel, et c’est dans cet écart que se joue la santé de l’entreprise et de ses salariés, et là je me place du point de vue des salariés. Les méthodes managériales basées sur le contrôle excessif des salariés par exemple amène ces derniers à réduire cet écart pour ne faire que le travail strictement prescrit, dit autrement les salariés ne donnent plus de cette part importante d’eux-mêmes faite de compétences bien mais beaucoup de créativité, d’expérience, d’adaptabilité…. Et il arrive très souvent que ces méthodes managériales coercitives démobilisent les salariés, détruisent le travail en synergie, sont cause du délitement des liens sociaux, des équipes en raison de la mise en concurrence des salariés entre eux, et tout ceci génère bien sûr beaucoup de souffrance au travail… L’humain n’est pas quantifiable et ne le sera jamais, et c’est heureux.

    Par ailleurs, les outils dévaluation de l’humain ne devraient être que des pistes de réflexion, des tendances générales bien relatives et c’est, à mon sens, la personne évaluée elle-même qui développera ou pas ces pistes avec l’évaluateur, c’est une alliance de travail, un cheminement à deux, une réflexion à deux où la personne évaluée a toute sa place. Ceci est particulièrement vrai pour les entretiens annuels d’évaluation auxquels sont soumis les salariés dans les entreprises, mais aussi pour les entretiens d’orientation professionnelle effectués dans les pôles emploi qui se passent malheureusement de plus en plus de ce qu’a à dire la personne en face. L’accompagnement se réduit à un diagnostic et à une prescription, c’est à peine si une blouse blanche n’est pas endossée.

    Merci Mathis pour votre bel article, la pertinence et la justesse de votre analyse, j’ai un peu déplacé le propos sur les personnes évaluées, mais je pense que les deux aspects sont intimement liés.

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    1. L’évaluation est également un domaine que l’on retrouve en science politique. En effet, que dire de l’évaluation des politiques publiques ? Je ne parle pas ici de l’analyse de ces dernières mais bien de leur évaluation. Ce domaine s’est développé depuis plus de 20 ans. Et il est très cadré et encadré. IL laisse pour autant une part à la subjectivité puisqu’il s’agit en gros de dire si oui ou non, telle ou telle politique publique est efficace ou règle bien tel ou tel problème.

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      1. Il est passablement difficile d’évaluer les performances des politiques publiques. Plusieurs facteurs viennent influencer les résultats et bien souvent, ce sont des trains de mesures qui parviennent à améliorer certains aspects de la situation politique, économique ou sociale. De plus, des effets néfastes ou bénéfiques de plusieurs mesures ne seront visibles qu’à long terme. Les politiciens vivent pour se faire réélire et nombre d’entre eux se contrefichent des conséquences de leurs décisions au-delà de la période de leur vie publique. Et finalement, il existe des magouilles politiques visant à empêcher l’acquisition des données de qualité ou leur analyse adéquate en sabrant dans les dépenses des bureaux de la statistique, dans le type de questions posées durant les recensements et dans la rétention d’informations sous de faux prétextes.

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      2. L’évaluation des politiques publiques est un domaine connu en science politique qui vise justement à mesurer les résultats d’une politique publique en fonction de ceux qui l’a mette en œuvre. Il n’y a aucune magouille sauf si évidemment, ceux qui font cette évaluation manque de probité et de professionnalisme. Le recul par rapport à une mesure… Tout est pris en compte au moment de l’évaluation. Il n’y a pas plus de biais dans ce domaine que dans celui de la recherche où le chercheur voudra peut-être faire plaisir à la main qui le nourrit c’est à dire celui qui lui octroie son budget de recherche. Alors apparaît une autre vraie question, celle de savoir comment se construit justement le savoir. Mais ici, on est très loin de la docimologie.

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      3. Au Canada, on a récemment connu un gouvernement qui a pris tous les moyens possibles pour faire disparaitre des données compromettantes pour ses politiques. Ce que je décris n’est pas de la fiction, mais un épisode où le Canada est devenu une république de bananes.

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      4. J’entends. Et je n’avais pas suivi de près la situation du Canada. Je voulais simplement faire aussi cette différence, celle entre politics et policy.
        Merci Mathis et bonne soirée

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      5. Oh, c’est encore un autre paire de manches, mais les manches d’une même veste si je puis dire. Les évaluations sont effectivement faites, les rapports sans appels sur certaines d’entre elles et une exhortation à l’action, sauf que ce que l’on fait, c’est qu’on reprend le même dispositifs, on l’appelle différemment, on y change deux trois choses et on dit que c’est innovant, et ainsi de suite… un empilement de dispositifs publics qui ne sont pas toujours efficaces, ni mis en œuvre en tenant compte des préconisations des instances évaluatrices, et tout ceci coûte cher, très cher, mais on va par ailleurs ponctionner les étudiants ou les chercheurs d’emploi ou les retraités. Voilà je vais arrêter là cet effet poupée russes. Merci Ibonoco d’avoir rebondi sur ce thème de l’évaluation combien sensible et à tous les niveaux de la société.

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