Au festival des « Correspondances d’Eastman » dont je parlais dans l’article précédent, j’ai assisté à un atelier sur la poésie. Le titre en était « Alchimie de la langue » et présentait trois poètes dont deux étaient également professeurs de littérature. L’atelier s’est déroulé en enfilant les questions en rotation et s’est terminé par quelques-unes du public.
Le panel a répondu à l’analogie entre la poésie et l’alchimie, puis sur leurs sentiments et leurs inspirations en tant que poète. Il y avait beaucoup d’humilité et parfois même de la gêne à discuter de leurs parcours, non pas celui des faits, mais celui des émotions ressenties durant la composition à différentes étapes de leur cheminement.
Ce n’est pas un secret de dire que la poésie est largement boudée, même des lecteurs assidus. Cette défection s’explique parfois, et même souvent, par l’hypothèse de l’indéchiffrable. La poésie est-elle la musique contemporaine de la littérature ? La chimie organique des mots ? Les tenseurs einsteiniens du verbe ? Des sujets tellement admirables que nous gardons nos distances sous peine d’être assaillis par leur hermétisme qui nous fera sentir inculte ou incapable de découvrir le sens profond abrié par de nombreuses strates d’expressions imagées et inventées pour l’occasion. Puis, comme cela m’arrive parfois, un sentiment contradictoire, un inconfort étrange et subit recouvre ma vision d’un voile diaphane. Plus j’écoute les trois poètes et plus je commence à percevoir une autre explication possible que la seule crainte de l’inintelligibilité.
Avant de poursuivre, voici un renseigment me concernant. J’intègre dans mes livres plusieurs poèmes qui servent à faire diversion. Je ne me considère pas comme un poète pour autant, car le but que je me fixe n’est pas de leur faire jouer un rôle fondamental dans la trame des bouquins. Ils sont plutôt des apartés, des trous normands, des haltes routières, même si parfois ils peuvent déranger, brasser les cages ou émouvoir. Et à ceux pour qui la poésie dérange, ils peuvent parfaitement jouer à saute-mouton sans rien perdre d’essentiel. Je n’ai jamais composé de poèmes en fouillant dans mes propres tripes pour en étaler le contenu sur du papier. En clair, je ne divulgue rien de strictement intime, car ma poésie est celle de mes personnages. Et c’est ce terrible constat alors que j’étais face aux trois poètes qui m’a secoué. Ne parlent-ils pas que d’eux, rime après rime, strophe après strophe, poème après poème et livre après livre ?
La conséquence de cette prise de conscience s’est fait sentir sous la forme d’une question qui m’a immédiatement interpellé. Est-ce que les lecteurs fuient la poésie par pudeur ? J’utilise ici la seconde définition de ce mot tirée du Grand Robert : « Gêne qu’éprouve une personne devant ce que sa dignité semble lui interdire ». Les lecteurs ne veulent peut-être pas entrer en contact étroit, intime, fusionnel avec les poètes par l’entremise de leurs émotions dénudées et leur intimité étalée. Leur révulsion instinctive vient peut-être de leurs peurs de trouver des egos dépecés jusqu’à l’os, disposés en strophes sur des lamelles puis observés sous microscope à fort agrandissement. Leur crainte serait que les poètes ne respectent pas une distance raisonnable et elle s’exprimerait par leur désintéressement ou leur fuite devant l’abominable poésie, indépendamment du poème.
Voici donc quelques questions pour vous. Aimez-vous la poésie ? En lisez-vous fréquemment ? Quels sentiments vous habitent face à la poésie ? Êtes-vous d’accord avec mon hypothèse voulant que le lecteur repousserait une intimité indésirée ? Je vous encourage à laisser un commentaire.
Témoin d’une curieuse synchronicité, je te fais part, de la plume à ton bec, de cet article survolant entre les lignes une réflexion sur la poésie et son essence justement (« La poésie n’est-elle, de tout temps, la langue des dieux ? »)
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C’est toujours difficile de juger la poésie, au même titre que d’autres courants littéraires. En ce qui me concerne, j’aime la poésie par la musique qu’elle murmure à mes oreilles cérébrales et à mes yeux (souvent, les poètes aiment composer leurs lignes pour les associer à des œuvres d’artistes peintres, graveurs, sculpteurs…, ce n’est pas anodin).
À l’instar d’un instrument de musique, pour moi, il n’y a rien de pire qu’un livre mal accordé, au sens linguistique et musicologique. Un texte qui chante est un texte qui a du rythme, sa danse vous entraîne, que vous sachiez ou non danser, en décrypter le sens profond. Vous vous laissez porter par son tempo et, ma foi, c’est tout ce qui compte pour l’aborder et l’apprécier. Et c’est là que l’art poétique nous touche (ou non). Si la poésie touche cette corde sensible en nous, alors le poète atteint sa cible, je suppose.
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Je suis bien d’accord avec ton commentaire. Je ne juge pas mes juges. Ils ont un travail à faire et ils exercent leur droit de choisir. Par contre, je sais pertinemment pour avoir frayé dans ce milieu que leur choix est devenu presque exclusivement financier. L’art est un business comme un autre, il doit rapporter.
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C’est vrai que mon commentaire portait essentiellement sur la réception de la poésie en elle-même.
Oui, l’argent, malheureusement. Mais il y a quand même quelques irréductibles artistes qui parviennent tout de même à faire valoir leurs œuvres, grâce à des petites librairies qui font confiance à des maisons d’éditions indépendantes, par exemple, et qui tentent bon gré mal gré de se frayer un chemin entre les best-sellers (on dit comment en québécois ? meilleures ventes ?) et autres lectures de plage que tout le monde s’arrache à Noël ou à la saison estivale.
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Bonjour,
Votre interrogation me paraît essentielle, et y répondre en quelques mots n’est pas facile. Peut-être est-ce en effet par pudeur que bien des gens repoussent la poésie, mais je ne crois pas que ce soit par refus d’une trop grande proximité avec le poète : je crois que c’est bien plutôt par refus d’une trop grande proximité avec eux-mêmes…
Lire de la poésie n’est pas quelque chose d’anodin. Cela secoue quelque chose en nous. Cela touche quelque chose de très sensible en nous.
Alors, pudeur, oui, mais ce n’est pas tant le poète qui se retrouve nu, que nous-mêmes… Nous n’y sommes pas toujours prêts.
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Votre remarque est très intéressante. Je viens de terminer un recueil de poésie et ce travail a fortement secoué le pommier de mes émotions. Lorsque je lis de la poésie d’un tiers, j’ai peut-être tendance à la ressentir comme un auteur plutôt qu’un lecteur, ce qui fausserait ma perception. Merci pour ce commentaire instructif, il y aurait encore beaucoup à dire.
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Votre article me ramène en mémoire cette citation de Jan Kott :
« Le poète a un pied dans la boue, un œil sur les étoiles et un poignard dans la main. »
Décrit-elle mon rapport à la poésie ? Je ne sais pas… J’aime beaucoup la poésie et pourtant, j’en lis très peu et peu de poètes m’ont touché. Sans doute parce que je n’en ai pas encore lu suffisamment…
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Très bon questionnement que tu lances là !! Il y a, selon moi, une ambivalence profonde concernant la poésie. Ainsi, il est difficile de la définir, elle échappe en fait, à toute définition et c’est justement dans la définition qu’on veut ou qu’on tente de lui donner qu’elle devient limitative ou non ….. mais une chose est sûre, »on ne peut pas la définir uniquement par la finalité qu’on lui attribue ».
Ainsi, la poésie prendra de multiples formes, qu’elle soit romantique, salvatrice, revendicatrice ou politique (et bien d’autres formes aussi !), c’est dans le langage utilisé par le poète qu’elle sera accessible ou non au lecteur. Doit-elle dévoiler l’intimité du poète ? Jusuq’où doit-il nous la partager? Doit-elle nécessairement être l’expression des émois du coeur, le chant de l’âme de ses passions et de ses émotions intimes ? Nous revoilà à ta (ou tes) grande(s) question(s)….
Que le poète se tourne vers lui-même pour en chercher la source de son inspiration est selon moi inévitable puisque nécessaire à l’expression de la sensibilité propre à chaque poète. Cette expression sera plus ou moins hermétique selon le choix de la forme de poésie privilégiée et, à nouveau, des mots recherchés, utilisés, construits et déconstruits par le poète et son talent de faire ainsi valser ces mots. J’ai lu en quelque part qu’à l’époque dites « romantique »: étaient nombreux « ceux qui expriment leur moi intérieur et qui veulent être l’écho salvatrice de TOUS les sentiments humains »…..
Wow, est-ce là un peu, beaucoup (trop ?) prétentieux ? Cette mission dangereusement égocentrique reflète t-elle justement l’hermétisme du langage poétique, de son isolement littéraire au yeux de bien des lecteurs ? Et si on enlève ce centrisme, cette émotivité intime et intérieure transmutée en mots joliment agencés et musicalement alternée, la poésie deviendra t-elle plus « accessible » au commun des lecteurs ? Ou perdra t-elle de son essence profonde….. le but final étant celui de nous émouvoir ?
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