J comme dans jamais

Dans la série des mots commençant par une lettre précise, aujourd’hui j’attaque le J avec le mot « jamais ». J’aurais pu choisir l’un des 896 autres mots commençant par cette lettre, toutefois celui-ci recèle bien des particularités.

En français, anciennement, le J s’est déjà prononcé [j] comme dans « faille ». Certaines langues latines ont conservé cette façon (positivement) archaïque de le faire entendre. Aujourd’hui, Molière le prononce [ℨ] comme dans « joie ».

Dans le système international, le J (majuscule) est le symbole du joule, une unité de mesure de l’énergie. Un joule vaut 43/180 calorie. On utilise aussi le j (minuscule) pour symboliser le jour en tant que durée. Un an vaut environ 365,24 j.

Maintenant, voyons l’étymologie du mot « jamais », un adverbe de temps. Il remonte loin dans le vieux français, en fait on le trouve dans la Chanson de Roland datant de l’an 1080. Composé de deux bases latines qui sont « jam » signifiant « déjà » et « magis » pour « plus », il signifiait en clair, « déjà plus ».

On comprend qu’en mille ans, le sens s’est quelque peu métamorphosé jusqu’à devenir un superlatif absolu. Dans son sens le plus commun, « jamais » signifie « à aucun moment », que ce soit dans un sens positif ou négatif. En parlant du futur, l’utilisation du mot « jamais » tient du langage abusif, que ce soit par naïveté ou en mentant allègrement. Pensez par exemple à « jamais je ne te quitterai ». Donc, n’utilisez jamais « jamais » dans un contexte spéculatif et méfiez-vous comme de la peste de ceux qui en abusent allègrement, car soyez certains qu’ils ne vous disent jamais  la vérité.

On se rend compte que « jamais » est parfois un peu plus mou et admet l’inverse. « Jamais je n’irai à cet endroit » permet quand même d’y aller, mais probablement si certaines conditions sont différentes et qu’elles sont réunies. Et l’expression « sans jamais voir la réalité » n’exclut pas de façon définitive qu’on la regarde parfois, mais pas de façon significative ou fréquente.

« Jamais » peut même signifier exactement l’inverse lorsqu’on l’associe avec une certaine préposition. Dans le langage soutenu, « à jamais » est synonyme de « pour toujours », ou « éternellement ».

En l’utilisant avec « que » comme dans « plus malade que jamais », nous nous retrouvons dans un contexte comparatif. Pourtant, on élide sciemment l’élément de comparaison puisque nous devrions dire pour plus de précision « plus malade que jamais auparavant ». Éliminer la référence au passé est un exemple patent que « jamais » ne doit jamais être interprété pour les temps futurs » Ainsi, le comparateur « auparavant » devient superflu.

On utilise constamment le mot « jamais » sans vraiment y réfléchir. Il est entré dans nos habitudes langagières. Pourtant, comme tout absolu, il reste à jamais lourd de sens. Même s’il constitue un abus de langage, une hyperbole, « jamais » prend très souvent le sens de « la plupart du temps ». On distingue l’un de l’autre en considérant les probabilités. 0 %, alors c’est un vrai « jamais ». N’importe quel autre nombre et le « jamais » n’est jamais un pur « jamais ».

Alors, si je vous dis que je n’aurai jamais le temps de tout écrire ce que j’aimerais concernant le mot « jamais », je l’utilise comme un absolu ou une hyperbole ?

Écrire de la fiction

Je trouve une sorte d’équilibre dans l’écriture en orientant mes travaux le long de deux pôles. Les premiers sont consacrés aux œuvres de fiction. Romans, nouvelles, poèmes, je garde normalement ces écrits à l’extérieur de mon blogue, sauf à l’occasion, un poème, puisque son format se prête à celui d’un article de blogue. Ce sont les seules œuvres de fiction que je m’autorise à placer ici, car oui, ma poésie est fictive. Tous les autres articles écrits depuis trois ans ne contiennent que du contenu original et sont exempts de fiction. Vous pouvez donc être assuré de lire ce que je pense parce que je pense chaque mot que j’écris.

Comment faire alors pour écrire ce que l’on ne pense pas ? Comment écrire de la fiction ? Il n’est pas donné à tout le monde d’inventer de toute pièce et aisément des histoires crédibles. Certains signes peuvent aider à savoir si ce travail pourrait s’avérer plutôt facile ou, au contraire, passablement ardu.

J’avise immédiatement le lecteur. Mon opinion ne vise aucunement à décourager quiconque d’écrire de la fiction. Elle présente plutôt une façon de reconnaitre des talents innés, ou à se préparer à vivre quelques difficultés conséquentes. Rien n’est impossible lorsqu’on accorde le temps, les techniques et les efforts adéquats.

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La page blanche. Tout d’abord, voyons ce syndrome un peu embêtant pour un auteur de fiction. Si la page blanche l’assaille systématiquement, écrire de la fiction risque d’être un exercice difficile puisque celle-ci exige en général une imagination abondante et une inventivité flexible. Car, non seulement faut-il créer une histoire tirée (presque) du néant, mais elle devra bien souvent être triturée pour qu’en version finale, l’histoire coule le plus fluidement possible.

L’introspection versus l’extrospection. Un auteur plus à l’aise avec l’introspection pourrait trouver son style dans le récit, la biographie, le portrait, la poésie, les œuvres techniques plutôt que les œuvres de pure fiction. Tous les styles apportent leur lot de difficultés, mais choisir le plus naturel pour soi, du moins au début, permet d’accomplir et de terminer plus efficacement ses premières œuvres.

L’observation. C’est possible d’inventer des personnages ex nihilo qui ne sont pas des entités extraterrestres quelconques. La plupart des auteurs s’en tiennent à créer des humains. Les expériences de vie et les observations portées sur le monde entrent grandement en ligne de compte dans la facilité qu’aura l’auteur à imaginer une brochette de gens aux comportements distincts sans qu’ils soient des copies d’autres personnages, de personnes de son entourage ou de lui-même. Observer, c’est accumuler une panoplie de comportements différents permettant de créer une banque d’idées servant ensuite à composer des caractères originaux crédibles.

L’analyse. Inventer des personnages et des histoires ne suffit pas à écrire de la fiction. Un auteur doit posséder certains talents d’analyste pour revoir tous les aspects de son œuvre. La cohérence est ici le mot clé de toute bonne histoire de fiction puisque l’auteur désire faire d’une irréalité une vérité plausible aux yeux de son lectorat.

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L’autocritique et l’humilité. Une histoire fictive n’est pas bornée par la réalité, cette grande liberté contient également les germes menant à l’invraisemblance. Un auteur de fiction doit donc appliquer une autocritique à chaque étape de son travail. Sans cette capacité de se relire comme étant une personne distincte de l’auteur, écrire de la fiction risque d’engendrer des œuvres défaillantes et causer plus de frustrations que de plaisirs. Reconnaitre sans effort, sans gêne et sans amertume les faiblesses dans son travail apporte les outils permettant son amélioration et son peaufinage.

Les dialogues. Presque essentiels à toute œuvre de fiction, les dialogues se doivent d’être crédibles et percutants. Deux ou plusieurs personnes, la plupart du temps très différentes, échangent, s’opposent et s’influencent mutuellement. Il ne peut pas exister un seul style de langage, les gens sont différents et parlent différemment. Si l’auteur trouve difficile d’imaginer des mots dans la bouche d’autres personnes que lui-même ou ses proches, des mots qu’il n’a jamais entendus ou prononcés de sa vie, des mots qu’il n’ose pas prononcer ou même imaginer, des façons de dire qui ne sont pas les siennes, ces limites peuvent rendre l’écriture de fiction plus complexe.

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L’abandon. Enfin, le dernier mais non le moindre, pouvoir abandonner une mauvaise idée, un mauvais chapitre, une mauvaise décision, un mauvais personnage semble plus facile à penser qu’à faire. Tuer une partie de son œuvre n’est jamais simple pour un auteur ayant mis tout son cœur dans une idée qui s’avère être une erreur parmi le reste de l’œuvre. Je me suis donné un truc pour accepter de me débarrasser d’un personnage ou d’une idée inappropriée. Il ne faut jamais jeter ses idées ou ses personnages aux orties. Ce sont des produits parfaitement recyclables. Un jour viendra peut-être où l’idée ou le caractère laissé en plan viendra alimenter une autre œuvre.

Tout travail doit quand même commencer par l’essentiel et écrire de la fiction n’échappe pas à cette règle de base. D’abord et avant tout, se faire plaisir.

Q comme dans Québec

Voici donc le douzième article traitant d’une lettre et d’un mot commençant par celle-ci. Vous trouverez tous les autres articles à cette adresse.

Puisque le nombre douze est important dans l’histoire des humains, je lui accorde une lettre mal-aimée, le pauvre Q.

À la petite école, j’ai appris à nommer cette lettre « que » [kǝ]. Si on n’osait même pas prononcer son vrai nom [ky] à cause d’un homonyme vulgaire, ça commençait plutôt mal pour elle. Même sa calligraphie était altérée. Je me souviens des lettres majuscules et minuscules tracées entre deux lignes. Le Q majuscule était devenu une sorte de 2 pédant cherchant à faire disparaitre la queue du cul.

En phonétique, le q se prononce [k] comme la lettre k, comme dans Québec. C’est à se demander à quoi il sert si ce n’est de quelques prononciations distinctes du groupe « qu » comme dans les mots équations ou quartz [kw]. Il peut également prendre la forme [ku] (cou) comme dans le mot équilatéral.

En français, on lui adjoint systématiquement la lettre u, comme si un q ne peut rien faire seul. Je ne démentirai pas cette supposition.

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Dans le dictionnaire épuré de ses sigles, des 485 mots commençant par un q, seulement 6 n’ont pas un u en deuxième place et parmi ceux-ci on retrouve le q lui-même, l’abréviation qqch., l’acronyme QWERTY et Q-mètre, un appareil mesurant le facteur de qualité des bobines afin de connaitre le déphasage du courant qu’elles induisent dans des circuits électriques. Ne restent que 2 mots étrangers, qat et qi gong. Dans tous les mots de langue française, un u (un nu) vient à la rescousse du q (cul).

Plusieurs mots commençant par cette lettre tirent leur origine du chiffre quatre. Je dénombre exactement quatre-vingts mots commençant par la racine quad-, quarante-six dont le début est quart- et vingt-trois autres avec la racine quatr-. Seuls deux mots n’étant pas des abréviations, des sigles ou des composés se terminent par un q, le cinq et le coq.

En mathématique, le ℚ représente l’ensemble des nombres rationnels, c’est-à-dire les fractions (quotient). On voit souvent la forme « p/q » pour désigner une fraction quelconque où p et q sont des nombres entiers.

En minuscule, q est le symbole de l’unité de mesure du quintal valant cent kilogrammes. Autrefois, au Québec, avant notre adhésion au système métrique, un quintal valait 112 livres, à peine plus de la moitié d’un quintal métrique (220,5 livres).

Aucun symbole d’élément chimique ne commence ni ne contient un q. Cette absence est unique dans le tableau périodique. Le becquerel, une unité de mesure de l’activité nucléaire du système international utilise le symbole Bq. Au Scrabble, la lettre Q vaut 8 points sur un maximum de 10.

Dans l’avenir, le mot commençant par un q qui changera nos vies à tout jamais, est qubit. Il est formé du mot bit que tout le monde connait et de la racine qu- pour quantique. Qubit est donc un bit quantique, l’unité de calcul avec laquelle fonctionnent les ordinateurs quantiques.

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La province de Québec tire son nom d’un mot algonquin signifiant « là où le fleuve se rétrécit ». Cet endroit correspond à l’actuelle ville du même nom, capitale de la province. La façon d’écrire ce mot amérindien a beaucoup changé avant de se stabiliser. Qvebecq, Quebeck, Kebbek et Kébec ont tous été antérieurement utilisés.

Aujourd’hui, au Québec, « tout commence par un Q et finit par un bec », dixit l’indépendantiste Pierre Bourgault dans les paroles de la chanson « Entre deux joints » de Robert Charlebois. Si le Québec parvenait à son indépendance, il serait le deuxième pays dont le nom commence par un Q, l’autre étant le Qatar.

Dans le langage de l’OTAN utilisé en aviation et à bien d’autres endroits, la lettre Q est justement représentée par le mot Québec habituellement prononcé à l’anglaise [kw].

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On définit souvent les Québécois comme des gens imaginatifs, artistiques et complexés. Évidemment, cette courte description ne peut qu’être réductionniste, mais elle me parait dans l’ensemble plutôt juste. Nous craignons le jugement des autres peuples. La critique nous atteint facilement et profondément.

La nation évolue à grande vitesse depuis les années 1960, depuis notre révolution tranquille, et elle ne cesse de se transformer. Un grand défi est de conserver notre côté « tissé serré » tout en accueillant généreusement les gens provenant de l’immigration. Étant noyés dans une mer d’anglophones partout autour de nous, notre sensibilité face à notre culture nous rend naturellement craintifs. Et pourtant, nous sommes un peuple très pacifique et particulièrement fier de l’être. 

Évidemment, cet article ne prétend pas décrire le Québec et les Québécois en long et en large. Je tiens cependant à souligner qu’entre ces deux mots commençant par un q, nous préférons largement le premier au second. La qualité avant la quantité, cela aussi est une assez bonne façon de décrire la moyenne des Québécois.

Pour terminer cet article parlant de q, s’il parait vulgaire, sans lui, que serions-nous ? Certainement un k désespéré.

Dictionnaires réactifs : langue bâtarde

Les dictionnaires établissent la liste prétendument exhaustive des mots, de leur orthographe, de leur conjugaison, de leur définition, de leur sens, de leur étymologie simplifiée et de leur prononciation. Ils regroupent aussi des exemples et des citations pour les mettre en contexte.

Puisque la langue française est vivante, la vie en perpétuelle évolution engendre des besoins de création de nouveaux mots pour décrire des actions, des objets, des idées, des entités nouvelles. Les gens créent des néologismes, souvent basés sur des mots existants qu’ils tripotent afin de les adapter à un nouveau contexte. Malheureusement, le plus souvent, ces mots découlent d’autres langues sans que des experts aient le temps de proposer une solution francophone. L’emprunt reste la méthode la plus facile pour incorporer un nouveau terme. S’ils ne pouvaient rester que des emprunts jusqu’à la création de mots francophones équivalents, la situation resterait acceptable. Malheureusement, l’emprunt persiste et devient permanent à défaut de réagir plus prestement.

Le langage parlé est alors réutilisé dans certains écrits, fixant l’orthographe et le sens exact en mettant ledit terme en contexte. Les dictionnaristes étudient ensuite les néologismes utilisés et décident de les incorporer ou non à leurs ouvrages de référence. Mais tout ceci est affreusement réactif. À défaut de l’enrichir, cette méthode pour faire évoluer notre langue la barbarise, au point qu’elle ressemble de plus en plus à la langue hégémonique.

Si les lexicologues pouvaient proposer des mots de rechange dès l’apparition d’un terme étranger, des solutions respectant le français, ses origines et sa façon dont nos mots sont construits, nous n’enverrions pas des «emails contenant des selfies». Ces mots sont des taches, des hontes maculant notre langue.

Inutile

Prenons l’exemple du terme «atterrir». Tant que nous ne pouvions que nous poser sur la terre, le terme «atterrir» englobait toutes les possibilités. Puis vint la Lune. On a inventé le terme «alunir». Alors, que fait-on sur Mars, Titan, Saturne, Vénus, Mercure, les astéroïdes et comètes sur lesquels on a déjà posé des sondes? On amarsise, titanise, saturnise, vénusise, mercurise, astéroïse, cométise ? Ridicule, n’est-ce pas? Il est préférable d’atterrir, peu importe le caillou sur lequel on se pose. Ça évite d’inventer un verbe creux pour chaque lieu visité.

Aujourd’hui, les marques de commerce les plus déterminantes dans leur domaine d’affaires deviennent rapidement de très puissants pôles de création de néologismes. Les verbes googler, twitter, facebooker ne sont que la pointe de l’iceberg.

Pour ma part, puisque je ne dictionnarise pas, je ne google pas plus. Je continue de chercher en utilisant un quelconque outil de recherche. J’écris sur Twitter et je publie sur Facebook ou sur WordPress. J’évite ainsi d’inventer ou d’utiliser un verbe pour chaque compagnie devenant populaire puisque le mot «écrire» décrit parfaitement bien mon action, peu importe sur quelle plateforme je publie.

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Beaucoup de snobisme entoure ces néologismes tirés de la technologie moderne. Ça fait jeune, actuel, dans le coup. Non, je n’utilise pas le mot «cool» et si vous voulez savoir pourquoi, lisez ceci.

Toutefois, cette irrépressible tendance à inventer des termes est causée par un besoin linguistique fort qui est le raccourcissement des expressions et des mots afin d’en accroitre l’efficacité. Prenons l’exemple patent du cinématographe devenu cinéma puis seulement ciné. Plus les mots deviennent populaires, plus ils rapetissent avec le temps. Cette tendance existe dans toutes les langues. Si ce sujet vous intéresse, vous pouvez lire cet article.

Donc, l’expression «écrire sur Twitter» subit de fortes pressions pour être raccourcie et le verbe «twitter» devient le candidat naturel. Mais est-ce bien de l’accepter?

Tout comme il existe une multitude de lieux d’atterrissage, il est possible d’écrire dans une panoplie de médias et sur tout un tas d’objets. On n’a jamais inventé un verbe parce que des gens écrivent dans le sable ou sur un rocher ou dans le ciel avec un avion. On continue d’écrire de la poésie ou des romans ou des nouvelles. Cependant, on a inventé les verbes «journaliser» pour le fait d’écrire dans un journal, mais ce terme s’applique plutôt à des systèmes automatisés. Une personne écrivant son journal personnel continue d’écrire son journal. D’autre part, même si journaliser est accepté par l’Office québécois de la langue française, des substituts existent. Le verbe «consigner» me plait bien, sinon, le verbe générique «enregistrer» reste valable.

Il devient ridicule de multiplier les verbes, la plupart du temps, notre langue peut parfaitement s’en passer. Utiliser une marque de commerce pour composer un verbe constitue, pour ma part, une insulte absolue à notre langue. Elle ne s’enrichit certainement pas en multipliant les verbes opportunistes et fugaces tirés de marques à la mode.

Par contre, les noms et les adjectifs doivent vite trouver leur équivalent français. Le langage technique se transpose de plus en plus rapidement dans la communauté. Attendre les suggestions des lexicologues devient une terrible erreur puisque eux attendent après nos mauvais usages.

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Je propose que tous les domaines en évolution prennent la destinée de leur terminologie en main dès l’apparition d’un nouveau mot. En travaillant de concert avec des linguistes francophones, ils pourraient mettre à jour un lexique en perpétuelle amélioration. Internet permet aujourd’hui de publier instantanément les nouveautés. Les dictionnaristes n’auraient plus à admettre des mots majoritairement de langue étrangère dont l’usage parmi la population aurait été causé par un vide linguistique prolongé.

Chaque discipline pourrait organiser des concours internes afin de recevoir des propositions et un petit comité interdisciplinaire déciderait de la meilleure suggestion. En se réunissant régulièrement, les vides lexicologiques dureraient moins de temps qu’il en faut à la population pour s’accaparer et utiliser les termes d’origine non francophones dans leur quotidien.

Le français peut rester une langue vivante, moderne, riche, belle et par-dessus tout, elle pourra garder son caractère originel dans la mesure où nous en prenons un soin jaloux.

Ordinal cardinal

Non, en ce premier mai, je n’aborderai pas le sujet de la fête des Travailleurs, un tas d’autres personnes s’en chargent bien mieux que je ne pourrais jamais le faire. Je veux plutôt vous parler du premier mai, ou plus précisément du premier de chaque mois.

Mis à part les chèques de loyer, de pension, d’aide sociale, etc., le premier de chaque mois possède quelque chose de bien particulier.

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Il faut pour cela connaitre la différence entre un nombre cardinal et un nombre ordinal. Un, deux, trois, ce sont des nombres dits cardinaux qui donnent une quantité, une grandeur. Tandis que les nombres du style premier, deuxième, troisième, on les appelle des nombres ordinaux, ils ne définissent pas une valeur, mais un rang, un ordre.

En français, les dates sont toutes écrites à l’aide des nombres cardinaux, toutes sauf le premier jour de chaque mois. Nous serons demain le 2 mai, mais aujourd’hui, nous sommes le premier mai et non pas le 1 mai.

C’est tellement inscrit dans nos habitudes que nous n’avons bien souvent jamais pris conscience de cette exception.

Bonne Fête à tous les travailleurs !

A comme dans a

Dans ma série de mots commençant par une lettre précise, j’ai longtemps repoussé le jour où je traiterais de la lettre A. Jusqu’à maintenant, vous avez eu droit à D, Y, C, P, E, H, K et V.

Je vais travailler le A comme j’ai fait pour le Y, en choisissant un mot qui ne fait pas simplement commencer par cette lettre, mais qui est cette lettre.

La lettre A, l’entame de notre alpha… bet. On l’appelle aleph dans plusieurs langues. Pour nous, elle est notre première lettre et est également plusieurs mots, plusieurs unités de mesure et même plusieurs préfixes.

Que la première lettre soit une voyelle et qu’elle représente le phonème le plus facile à prononcer, ces faits ne sont certainement pas dus au hasard. Tout commence par le a… enfin, pas tout, mais tout de même 8573 entrées au dictionnaire commencent par cette lettre.

Pour les unités de mesure, lorsqu’il est écrit en minuscule, le a symbolise l’are ou l’an. Oui, nos amis anglo-saxons écrivent eux aussi Ma et Ga pour désigner des millions ou des milliards d’années. Toujours en minuscule, le a devient atto, soit le milliardième du milliardième (10-18) d’une unité lorsqu’il la précède.

En majuscule, le A signifie le très connu ampère et aussi le nombre atomique, soit la somme des protons et des neutrons composant un noyau atomique. C’est aussi le symbole de l’argon jusqu’en 1957 où il fut alors remplacé par Ar.

On le retrouve aussi dans les groupes sanguins et même en musique, en nomenclatures anglaise et allemande, le A ou le a signifie la note «la».

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angstromEnfin, coiffé d’un petit o, il devient la mesure de l’angström soit 10-10 mètre.

Le A peut également se faire chiffre. Dans la numérotation hexadécimale utilisée en informatique, le A symbolise la valeur dix.

Et à tout seigneur tout honneur, le A désigne l’Altesse dans les sigles A.R. et S.A.R.

Curiosité de notre typographie, si vous ne l’aviez jamais remarqué, dans la plupart des polices normales, le a minuscule se dessine différemment lorsqu’on le met en italique (a vs a).

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En mathématique, on utilise le a pour désigner une valeur quelconque, comme une constante dans une équation. Quand on veut personnifier une équation, on remplace le a par «Alice».

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Du côté des locutions, la très populaire «de a à z» signifie «la totale». Aucun hasard dans le nom et le logo de la compagnie Amazon où la flèche-sourire commence au a pour se terminer au z.

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Du côté littéraire, on a également la truculente expression «n’avoir pas fait une panse d’a» signifiant que la personne n’a pas encore commencé à écrire le moindre mot. La panse d’une lettre est sa partie ventrue.

Accentué, le a devient une préposition «à» tout faire, signifiant souvent la possession, l’appartenance , le lieu à atteindre ou le temps. « Je suis à toi », « Passons à table », «Soyez-y à midi ».

J’ai, tu as, il a. Le verbe avoir à la troisième personne du présent de l’indicatif devient simplement un a. Le verbe avoir semble donc voué à tout commencer, peut-être une explication pourquoi nous accordons une importance démesurée à l’avoir plutôt qu’à l’être. «Il a»… et pourquoi pas avec un accent de jalousie?

On utilise «a-» sous forme de deux préfixes de sens différents. Abréviation du mot latin ad, il marque la direction, le but ou le passage. On y trouve des mots comme «abaisser», «accorder», «arriver». Au Moyen-Âge, ce mot s’écrivait «ariver», atteindre la rive.

«A- » est aussi utilisé dans le sens de l’absence, de la privation, de la négation comme dans «apolitique», «anomalie», «acéphale», «anoure».

Finalement, pour terminer cet article en beauté, je change d’idée. Je ne parlerai pas simplement du mot «a». Je choisis de lui «adjoindre» un autre mot, un mot court, relativement méconnu et qui a la fabuleuse propriété de ne contenir que des A, et c’est le mot «aa». Il existe deux entrées dans le dictionnaire pour le mot aa sans accents.

D’origine hawaïenne, aa est utilisé en volcanologie pour signifier une coulée de lave plutôt lente, rugueuse, possédant des scories et de nature basaltique.

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En botanique, Aa est un genre de la famille des Orchidaceæ (orchidées).

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Voilà, ça termine cette courte description de la lettre A. J’espère que cet article vous a plu. Si c’est le cas, vous pouvez découvrir d’autres petits trésors sur d’autres lettres de l’alphabet déjà «abordées» dans ce blogue. La liste se trouve au commencement de ce texte. Bonne lecture.

Ça, c’est un, une… quoi ?

Duc, hibou, chouette, bubo, grand-duc, effraie, fresaie, hulotte, chat-huant, strix, vous y êtes presque, mais pas tout à fait. Cet oiseau est un harfang, un harfang des neiges.

Parfois la langue française a de quoi en perdre son latin. Si elle manque cruellement de mots, comme dans le domaine des technologies, parce que les académiciens ont oublié de se réveiller depuis 1890, ce qui force le peuple à adopter les termes anglais par manque de « leadership ». À l’autre bout du spectre, il existe onze mots distincts pour nommer les oiseaux de proie de la famille des strigidés alors qu’en anglais on se contente de « owl ». Pire, le mot « strigidés » possède un synonyme,  « bubonidés ». Faire plus compliqué que ça, c’est les douze travaux d’Hercule ! Ou pire, ma première femme. Je n’ai eu qu’une seule femme, mariée légalement on s’entend, mais puisqu’à elle seule elle en valait bien quinze, je peux affirmer sans ambages que j’ai été marié plusieurs fois. J’ai même voulu m’auto-incriminer pour polygamie afin de les divorcer, mais mon avocat m’a suggéré de tenir ça mort si je ne voulais pas être interné pour schizophrénie.

Pour en revenir à ce superbe oiseau de proie en robe de mariée, il est l’emblème aviaire du Québec. En hiver, le mâle devient blanc immaculé. Oui, que voulez-vous, il aime les robes blanches. Avez-vous quelque chose contre les LGBTQ ? Évidemment, ce plumage lui sert de camouflage dans la neige. Difficile après ça de vous faire croire qu’on vit dans un pays chaud !

Et la femelle ? En hiver, elle conserve une partie de ses taches grises. C’est pour mieux… se faire manger ? Ça, c’est pas bien ! Non. C’est pour mieux se dissimuler lorsqu’elle niche sur des terrains rocailleux en partie recouverts de neige. Ses œufs se camouflent également dans le paysage aride et froid.

Bon, je vous laisse, j’ai un poème à peaufiner. Mon agente l’a trouvé «dérangeant, hors normalité… osé!» J’ai donc su que j’étais sur la bonne voie. Un peu plus de perturbations et elle va syncoper. Exactement l’effet recherché. Je vous l’ai déjà dit, ma poésie n’est pas normale.

Photo : armstrongbirdfood.com

Expressions québécoises – 4

L’expression est : « courir la galipote ».

En français, il existe le galipot et les galipettes, mais pas la galipote.

Le galipot [galipo] est une résine exsudant des arbres résineux ou encore un produit destiné à imperméabiliser les coques de bateaux fabriqué à partir du galipot des arbres.

Les galipettes sont des cabrioles. Ce sont aussi des jeux coquins, des ébats où les pirouettes ne ressemblent en rien à celles de notre enfance. Faire des galipettes avec une jolie partenaire, ça tient son homme vert.

La signification de « courir la galipote » est : « Multiplier les rencontres amoureuses d’un soir ». «  Sortir et flirter tout ce qui bouge ».

En ce sens, « galipote » semblerait plus tenir des galipettes que du galipot, mais l’analyse ne se termine pas ici.

Quand on court la galipote, on picole. On boit pour flirter et on flirte pour frayer.

Académiquement, c’est mener une vie de débauche, plus spécifiquement axée sur des amours sans lendemain.

Le correcteur Antidote admet le mot galipote comme québécisme.

Courir la galipote n’est pas toujours gage de succès. On peut très bien courir la galipote sans marquer une seule touche. C’est plus dans l’intention que dans le résultat qu’on court la galipote. Pour certains plus habiles, le dénouement est plutôt assuré. Pour d’autres, ils auront beau courir la galipote, ils rentreront tout de même bredouilles.

En anglais, le mot galipot existe également. Il est parfois écrit « gallipot». Certains le prononcent comme galipot en français alors que d’autres prononcent le t, exactement comme pour le mot galipote. Il tire ses origines du mot français galipot et signifie la même chose, a pitch.

Il est donc possible que « galipote » provienne de la prononciation du mot galipot par des anglophones dont nous aurions calqué leur prononciation. D’ailleurs, la plupart des anglophones prononcent mon nom en insistant sur le t à la fin (Lecorbote).

Quant à la relation entre une résine et le fait de s’envoyer fréquemment en l’air, il se peut que pour fabriquer du galipot, il faille courir d’arbre en arbre afin d’en recueillir une quantité suffisante. Ainsi, on court après les conquêtes comme on court après le galipot. On court la galipote.

Assemblée générale de l’UNEQ

L’Union des écrivaines et des écrivains du Québec se réunissait en assemblée générale cet après-midi à la Grande Bibliothèque Nationale. J’y assistais pour la toute première fois et j’ai trouvé l’expérience fort agréable malgré l’aridité intrinsèque à ce genre d’activité.

J’ai été ravi de rencontrer les personnes formant le Conseil d’administration et l’Exécutif. Le dévouement et la compétence de toute l’équipe sont rassurants, car l’art que nous exerçons est probablement le plus mal reconnu et le plus mal rémunéré de toute la communauté artistique. De plus, les filous sont légion à chercher à abuser de notre travail. On entend sans cesse des histoires d’horreur, car nous sommes des travailleurs solitaires spécialisés dans la capacité de faire rêver les lecteurs. Négocier des contrats avantageux fait rarement partie de nos talents et bien des gens tentent de profiter de cette faiblesse. L’Union a plus que jamais son importance et elle remplit ses nombreux rôles avec beaucoup d’énergie, malgré des moyens plus que modestes.

Dans une autre vie, j’ai présidé durant plusieurs années le C.A. d’un organisme sans but lucratif. Le Code des assemblées délibérantes m’est revenu en mémoire sans trop de problèmes. Ça m’a permis de déposer une proposition qui a « écourté le débat d’une bonne cinquantaine de minutes » selon les dires du Directeur général avec lequel je m’entretenais après la rencontre. J’ai également reçu les remerciements de la Présidente tout juste avant mon départ pour avoir trouvé la procédure appropriée au traitement de la problématique mise à l’attention de l’Assemblée générale des membres.

J’ai été moi-même un peu surpris de retrouver intacts tous mes réflexes qui n’avaient pas été sollicités depuis plusieurs années. Mais c’est grâce au Président de l’Assemblée qui a joué son rôle à la perfection, répétant la proposition avec précision et clarté, sa portée et ses implications, que les membres moins habitués avec la mécanique des délibérations ont pu la comprendre et voter en connaissance de cause.

Nous avons ensuite été reçus pour un cocktail à la Maison des écrivains située tout près de la Grande Bibliothèque où j’ai pu discuter avec des confrères et consœurs, partageant nos parcours et nos expériences réciproques. Nous vivons généralement notre art dans la solitude. Alors ces moments d’échanges, fussent-ils brefs, m’ont apporté beaucoup de satisfactions et de plaisirs. Une connivence nous unit fortement, car nous travaillons tous à l’élaboration de cette immense tapisserie collective que constitue la transmission de notre culture, travail qui se tisse sans relâche, jour après jour, mot après mot, œuvre après œuvre, sur le métier des arts de l’écriture pour que cette réalisation incessante puisse être léguée aux générations présentes et futures.

Expressions québécoises – 1,5

Comment 1,5 ? Après 1, c’est 2, il me semble. Oui, si on compte sans les fractions. Mais j’ai voulu donner suite à la tuque attachée avec de la broche, car un lien les unit. Je le mentionnais dans la rubrique n° 1, une tuque possède souvent un pompon et voilà pourquoi j’associe les deux expressions, car…

L’expression est : « Se calmer le pompon », « Calme-toi le pompon ! ».

Sa signification est : « Garde la tête froide », « Respire par le nez », « Baisse d’un cran (ou de plusieurs) ».

Lorsqu’on se promène avec une tuque à pompon sur la tête, ce qui est fréquent par chez nous à cause du froid omniprésent 6 mois sur 12, cet appendice est particulièrement visible. Et si la personne porteuse d’une tuque à pompon s’énerve, celui-ci branlera dans tous les sens, signe apparent de son état.

On utilise cette expression uniquement lors de circonstances qui ne sont pas tragiques, puisque c’est une façon humoristique de dédramatiser une situation qui ne le mérite pas nécessairement.

On ne l’utilise pas plus avec des inconnus, puisque ça demande un certain niveau de complicité. Si celui-ci dépasse les bornes, on voudra chercher à le calmer et cette expression risque d’attiser son agressivité en laissant paraitre futiles ou inexistantes les raisons de sa colère.

Elle s’utilise lorsqu’un lien d’autorité existe, comme un parent à son enfant. La formule fait moins outrageante, mais pas moins sérieuse.

En amitié, c’est un bon moyen de signifier qu’il serait temps de changer de ton, sans égard aux causes entrainant la valse musette du grelot attaché au sommet de sa tuque virtuelle.

Donc, si vous constatez que je pète les plombs dans un de mes articles, vous seriez en droit de le commenter en m’écrivant « LeCorbot, calme-toi le pompon ! »