Cool, pas cool !

Je veux vous parler aujourd’hui de la langue française et de sa lente mais indéniable assimilation.

Un mot après l’autre, une expression après l’autre, une phrase après l’autre, un anglicisme après l’autre, une mauvaise traduction après l’autre, une absence de néologisme après l’autre, un emprunt après l’autre, voilà comment se produit l’assimilation d’une langue et finalement sa disparition.

L’assimilation, ce n’est pas cool. Utiliser des mots de langue anglaise alors que leur équivalent français existe, ce n’est pas du tout cool.

Les titres anglophones donnés à des articles francophones pullulent partout dans les blogues. Nous trouvons ça plutôt cool. L’assimilation, c’est exactement le fait de trouver cool l’utilisation d’une autre langue que la sienne. Nous croyons la langue française suffisamment forte pour qu’elle évite l’assimilation et pourtant nous la faisons disparaitre un peu plus chaque jour.

L’agent d’assimilation, ce n’est pas seulement notre voisin, ni l’Américain, ni le Brit, ni le cinéma, ni la télé. Non, l’agent assimilateur, c’est nous-mêmes d’abord et avant tout. Par snobisme, nous utilisons une expression populaire anglaise sans chercher à la traduire et à la rendre aussi élégante dans notre propre langue. Nous ne faisons pas l’effort de trouver le mot français existant équivalent. Nous adoptons les néologismes anglais dont la construction du mot ne respecte aucune règle du français, comme e-mail. Nous faisons fi des traductions convenant mieux à notre langue pour lui préférer le mot anglais. Si le mot français inventé ne s’origine pas de la mère Patrie, il ne sera pas adopté.

Françaises et Français, vous êtes déjà assimilés à la culture et à la langue anglaise et vous feignez l’ignorance. Vous jouez aux snobs, aux babas cool, plutôt que de défendre votre langue. Vous dépensez plein d’énergie à la dévaloriser et ne mettez aucun effort à la protéger simplement en l’utilisant adéquatement, en évitant de larder vos textes de mots, de termes et d’expressions de langue étrangère alors qu’existent d’excellents équivalents français et meilleurs la plupart du temps.

Écrire notre langue, c’est une histoire de respect, tout d’abord envers nous-mêmes, envers nos parents, notre culture, nos origines, notre histoire, notre peuple, les écrivaines et écrivains qui nous ont précédés. Le plus désolant est de constater que les anciennes batailles menées pour la protéger, la diffuser, l’enseigner ne pèsent plus rien, nous indiffèrent, nous emmerdent.

Moindre effort, paresse, manque de vigilance, jemenfoutisme, snobisme, nous utilisons toutes ces mauvaises raisons pour écrire en franglais. C’est exactement de cette façon que les langues disparaissent actuellement, que les langues ont disparu dans le passé et que le français disparaitra.

Lorsqu’il ne restera plus que les académiciens, les linguistes et les chercheurs pour comprendre notre langue, ils se demanderont quel événement charnière a causé la dérive et la disparition de l’usage du français.

Je peux facilement répondre à cette question. L’événement charnière, c’est le titre anglais de votre prochain article de blogue, car l’usage est le moteur des changements et votre participation à ce petit jeu constitue tout sauf un geste anodin. Malgré qu’il soit très lourd de conséquences, vous tentez de minimiser sa portée, son importance et son influence.

Si l’influence de l’usage de l’anglais est si minime, pourquoi alors angliciser les textes? On utilise l’anglais justement parce qu’on recherche une portée plus forte, un impact plus puissant, plus d’exotisme. Donc on use de l’anglais en sachant parfaitement que sa portée, son importance et son influence sont tout sauf anodines, et ce malgré les dénis outragés. Voilà exactement comment agit un agent d’assimilation, il agit en faveur de l’anglais tout en niant nuire au français.

En pensant que votre titre anglais est plus précis, résume mieux votre contenu, définit mieux votre pensée, c’est que votre pensée est déjà assimilée. La langue française peut exprimer tout ce que vous voulez avec la précision, l’intensité et l’émotion désirées. Nul besoin de recourir à l’anglais. Votre cerveau a déjà accepté d’adopter cette langue et a déjà entamé le processus d’oubli du français en le dévalorisant insidieusement sous des airs cool. 

En immergeant un concombre dans le vinaigre, il n’existe aucun moment charnière où celui-ci se transforme soudainement en cornichon. Voilà comment une langue se perd, se noie et meurt, en transformant ses atomes un à la fois, un simple mot à la fois, un simple titre de blogue à la fois.

Utiliser l’anglais dans le titre de son blogue et dans son contenu, c’est pas chouette, c’est pas chic, c’est pas tendance, ni sympa, ni rigolo, ni super, ni extra, ni épatant! L’un ou l’autre de ces mots français remplace avantageusement le mot cool selon les circonstances. Les nuances s’en voient ainsi multipliées.

J’ai sciemment utilisé le mot cool dans le titre afin d’aborder le processus d’assimilation en cours. Cool est maintenant entré officiellement dans le dictionnaire français alors que si nous avions choisi d’utiliser l’un ou l’autre des multiples termes français aptes à le remplacer, ce mot littéralement peu évocateur du sens qu’on lui donne serait resté du côté anglais et nous n’aurions rien perdu puisque nous n’avons rien gagné en choisissant d’utiliser ce mot étranger. Au contraire, nous avons perdu au change en délaissant la richesse de notre langue qui nous proposait déjà un florilège d’équivalences adaptées à toutes les occasions.

20 commentaires sur “Cool, pas cool !

  1. Homo Oeconomicus… ça vaut aussi pour la langue. Économie de la langue, dans ses deux acceptions du terme. L’anglais fait vendre. Circuler. Échanger. Partager. De twitter… de « hastaguer », de « googeuler » et j’en passe. Des mots comme ça, il y en a des verts et des pas mûrs. Mais ça fait son office. Et puis, c’est dans l’air du temps de vendre, et partant, de consommer des fruits pas mûrs.
    De surcroît nous sommes des êtres fainéants. Incapable de faire l’effort, comme vous dites, de trouver le mot juste. De se creuser un peu la cervelle. De vérifier dans un dictionnaire. Un dictionnaire, mais pour quoi faire ? La T9 fait son affaire.
    Concernant l’assimilation, celle-ci est rarement vue comme une perte pour ses défenseurs. On reprend toujours l’exemple des langues « mortes ». Combien de mots de la langue française sont-ils français d’origine ?
    Quand on mange un abricot, on ne se demande pas si l’arabe est mort ou si le français s’est enrichi. On le déguste sans se demander d’où vient le mot albaricoque. De l’espagnol ou de l’arabe, il s’est francisé. J’aime la langue française, si désespérante à apprendre pour les non-francophones, mais tellement belle qu’on s’y accroche.
    À la veille de la fête de la Communauté française ce 27 septembre, je vous salue chers amis du Québec et d’ailleurs qui célébrez le français en le portant aux nues.

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      1. Avec plaisir et grand intérêt ! Je dirais même plus que c’est un commentaire juteux… si les abricots sont mûrs, cueillis à point nommé ou ramassés tt juste tombés.

        Je profite de cette réponse car la coïncidence veut que je vous livre cet extrait qui m’arrive à l’instant sous les yeux :
        « –Giaconelli me doit un service. Il m’obligera avec plaisir.
        « M’obligera. Quand avais-je entendu pour la dernière fois quelqu’un utiliser cette expression désuète ? Impossible de m’en souvenir. Peut-être la langue survivait-elle autrement au fond de la forêt que dans les grandes villes, où les mots étaient chassés comme des parias? »

        C’est tiré des Chaussures italiennes, de Henning Mankell. Cela offre une belle ouverture à ce débat sur la langue. La géographie joue beaucoup dans son évolution. C’est certain.

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  2. L’orthographe pitoyable dans les textos et commentaires sur internet
    peu importe l’age et d’où en francophonie,
    dénote qu’on n’a pas besoin de l’anglais pour dénaturer le français de l’interne.

    Par exemple:
    Ç’a été, Ç’a réussi, Ç’a pas paru.
    Ben oui ça A paru !
    Parce qu’il manque le verbe avoir !

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      1. Que s’est il passé? Le texte manque !
        J’avais écrit ceci:

        Alors qu’en France on dit:
        Ce weekend, j’ai fait mon shopping,
        alors du coup, je me suis stationné au parking.

        Au Québec on parle correctement, on dit:
        Cette fin de semaine, j’ai parqué mon char
        dans le stationnement du centre d’achat pour magasiner !

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    1. De nouveaux dialectes voient rapidement le jour par mélange, le créole en est un bon exemple. Ces nouveautés langagières ne survenait auparavant que très loin de l’Hexagone. Maintenant, le français est menacé de l’intérieur. L’heure n’est donc plus à se poser des questions, mais à réagir très rapidement afin de conserver un certain contrôle sur les mutations que la langue subit actuellement.

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  3. C’est le destin de toute langue d’évoluer, quand on étudie l’ancien français on se rend bien compte que c’est justement une évolution naturelle qui a de nombreuses causes dont le mélange des cultures et la faignantise linguistique… mais aussi de grands avantages comme le rapprochement des peuples, des cultures…
    Notre français d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier, est-ce mal pour autant ? Je ne pense pas que ce soit mal, pour ma part, même si cela peut paraître inconfortable… La France est ce qu’elle est aujourd’hui parce que des langues régionales ont disparu ou régressé et pourtant nombreux sont ceux qui y tenaient comme tu tiens au Français… 😉
    belle journée

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    1. Le latin est mort et pourtant il dominait la planète. Qu’une langue évolue lui permet de résister à cette mort. Je suis donc plus qu’en faveur de l’évolution du français et mon article n’attaque pas l’ajout essentiel de mots ni même la nouvelle orthographe et je ne m’opposerais certainement pas à la simplification des conjugaisons.
      Il faut justement comprendre les mécanismes qui font évoluer une langue et ceux qui la tuent, car les deux résultats existent bel et bien. Il faut donc encourager les uns et repousser les autres.
      Mon article mettait l’accent sur l’écriture de titres englais pour un article au contenu français et sur l’appropriation inutile de mots qui ont déjà leur équivalent dans nos dictionnaire. Ces deux mécanismes doivent être liés à de l’assimilation menant à la mort d’une langue et non à son évolution positive.

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  4. Bonjour Mathis, je me dis que vous avez raison de poser la question, en effet, une langue peut se perdre plus « vite » (quelques milliers d’années quand même…) qu’on ne l’imagine.
    Toutefois, je ne crois pas que ce qui tue la langue soit l’assimilation de mots étrangers, puisque la langue française recèle des mots d’origine grecque et latine, arabe, germanique, et bien sûr des mots d’origine anglaise. Il parait d’ailleurs que la langue française a donné plus de mots à la langue anglaise que l’inverse, mais ce n’est pas le sujet.

    J’ai travaillé dans un service marketing où l’on disait tu peux me forwarder ce mail et me printer la pièce jointe. D’accord c’est ridicule !!! En revanche, l’anglais a une concision qui manque à la langue française et permet de passer des messages très vite dans un monde dominé par Internet et la pub (je ne dis pas que c’est bien, c’est un constat…). Ma fille est traductrice et nous jouons souvent à trouver la formulation exacte en français d’une accroche publicitaire ou d’un titre d’article de presse, ce n’est pas facile quand on veut être dans l’efficacité.

    Quant à ma mère, prof de français et de latin, très à cheval sur l’usage de la langue, elle pense que ce n’est pas l’incorporation de mots anglais qui est le plus gênant, mais que le danger vient de tous ceux qui n’utilisent pas les mots à bon escient parce qu’ils n’en connaissent pas le sens (expertise au lieu de l’expérience !), qui écrivent « a donné » pour « à donner » (l’a t-il fait ou doit-il le faire ?!). Et je suis convaincue qu’elle a raison… la langue est en danger si on ne la maîtrise pas au niveau grammatical, si l’on a une syntaxe ou une ponctuation fantaisiste… En tous les cas, ce qui se perd, c’est notre capacité à communiquer clairement. Et dans certains cas, ça peut même être dangereux !
    « Messieurs ! Les Anglais ! Tirez les premiers ! » ou « Messieurs les Anglais, tirez les premiers !  »
    Pardon de cette longue réponse, mais ce sujet me passionne, et bravo pour vos articles si bien écrits !!!

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    1. Les mécanismes menant à la disparition d’une langue vont effectivement bien au-delà du simple emprunt de quelques mots. Un éléphant n’existait pas dans le dictionnaire, il a bien fallu emprunter le mot et le franciser pour désigner cette bête. Voilà à quoi devrait servir l’emprunt qui enrichit une langue.
      Par contre, votre commentaire vient étayer et renforcer mon opinion, même si ce n’était pas votre objectif. Justement, l’efficacité et la concision de l’anglais engendrent un pôle attractif des plus dangereux. Lorsqu’une langue montre trop d’avantages sur une autre, elle la supplante, purement et simplement. Ce processus est déjà enclenché et il reste à savoir si nous avons la discipline et l’entêtement requis pour l’en empêcher.

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  5. Dans le fond je comprends parfaitement cet avis et le soutient également. Mais, et cela reste mon avis, je pense qu’il y a aussi un point de vue extrémiste à mettre tout le monde dans le même bateau. Cet article est super et pertinent et il permet la remise en question. Donc plus que nécessaire. Mais je ne suis pas d’accord avec son contenu dans sa totalité. Je pense que nous pouvons parfaitement s’adapter, utiliser la langue anglaise pour notre propre plaisir, sans pour autant nourrir l’intention de noyer notre langue au profit d’une langue étrangère. Je ne sais pas, mais voilà mon avis.
    Et puis de toute façon, je m’en fous, je vis en Suisse, donc cela ne me regarde pas plus que ça ! Rires (humour bien sûr)

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    1. Je m’attends bien à ce que des gens ne partagent pas entièrement mon opinion sur le sujet et même que certains soient entièrement en désaccord. C’est normal pour ce genre de sujet et aussi à cause de ma façon directe et intense de l’aborder. Ce sont mes sensibilités et mes émotions bien personelles. Merci d’avoir partagé votre opinion de manière franche.

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      1. pas cool « personelles » avec un seul N… :-p
        Blague à part, je me demande aussi souvent comment on doit orthographier les anglicismes « communs », l’exemple parfait étant le mot « blogue », qui au Québec est toujours orthographié ainsi alors qu’en France on a tendance à l’écrire assez naturellement sous sa forme originale « blog »… bref, dilemme du genre à perturber mon sommeil délicat…Que disent les experts en la matière, si certains passent par ici?

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      2. Dans toutes les langues, l’orthographe des emprunts tend à ressembler aux autres mots de la langue commune afin de mieux se l’approprier tout en aidant parfois la prononciation. Dans le cas particulier de blog-blogue, il existe 12 mots possédant la terminaison -og dont 9 proviennent de l’anglais, 1 du malais et 2 sont des concisions. Bull-dog a été francisé et s’écrit bouledogue même si les deux graphies apparaissent. En tout, il existe 233 mots se terminant par -ogue. On peut facilement conclure que la terminaison -ogue est bien plus française que son homophone composée de 9 mots sur 12 empruntés à l’anglais. Blog et blogue sont tous deux acceptés. Le problème avec les experts vient de leur inertie. Ils laissent trop longtemps un néologisme s’implanter avant de suggérer un mot plus français. Blogue a été suggéré par l’Office québécois de la langue française en réponse au blog anglophone. La consonnance reste inchangée, mais la graphie est nettement plus française. Ce mécanisme permet l’emprunt sans dénaturer sa propre langue.

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