La chouette

Tracer mes rêves à la plume
Autour de son corps d’enclume
Laissé sciemment martelé
Par mes yeux acier déclarés

Risquer le glacial frisson
D’une insoutenable humiliation
Cœur désireux devenu volereau
Au contact du velours de sa peau

Vivoter exalté par sa fragrance
L’illusoire à mante se joue du hère
Aphrodite relâche sa carnassière
Marmoréenne est sa substance

Imprégnée des charmes d’une fausse gosse
Elle noie en son for mes pensées d’Éros
Dans son monde cadenassé parallèle
Ma convoitise ne se rapproche du réel

Qu’aux rythmes courbes de ses formes
Dandinantes, cruelles, provocantes
Répertoire maitrisé de la bacchante
Je sens en moi monter l’homme

 

© Mathis A. LeCorbot
Peinture : Paul Gauguin 1896 – Te Arii Vahine

Cool, pas cool !

Je veux vous parler aujourd’hui de la langue française et de sa lente mais indéniable assimilation.

Un mot après l’autre, une expression après l’autre, une phrase après l’autre, un anglicisme après l’autre, une mauvaise traduction après l’autre, une absence de néologisme après l’autre, un emprunt après l’autre, voilà comment se produit l’assimilation d’une langue et finalement sa disparition.

L’assimilation, ce n’est pas cool. Utiliser des mots de langue anglaise alors que leur équivalent français existe, ce n’est pas du tout cool.

Les titres anglophones donnés à des articles francophones pullulent partout dans les blogues. Nous trouvons ça plutôt cool. L’assimilation, c’est exactement le fait de trouver cool l’utilisation d’une autre langue que la sienne. Nous croyons la langue française suffisamment forte pour qu’elle évite l’assimilation et pourtant nous la faisons disparaitre un peu plus chaque jour.

L’agent d’assimilation, ce n’est pas seulement notre voisin, ni l’Américain, ni le Brit, ni le cinéma, ni la télé. Non, l’agent assimilateur, c’est nous-mêmes d’abord et avant tout. Par snobisme, nous utilisons une expression populaire anglaise sans chercher à la traduire et à la rendre aussi élégante dans notre propre langue. Nous ne faisons pas l’effort de trouver le mot français existant équivalent. Nous adoptons les néologismes anglais dont la construction du mot ne respecte aucune règle du français, comme e-mail. Nous faisons fi des traductions convenant mieux à notre langue pour lui préférer le mot anglais. Si le mot français inventé ne s’origine pas de la mère Patrie, il ne sera pas adopté.

Françaises et Français, vous êtes déjà assimilés à la culture et à la langue anglaise et vous feignez l’ignorance. Vous jouez aux snobs, aux babas cool, plutôt que de défendre votre langue. Vous dépensez plein d’énergie à la dévaloriser et ne mettez aucun effort à la protéger simplement en l’utilisant adéquatement, en évitant de larder vos textes de mots, de termes et d’expressions de langue étrangère alors qu’existent d’excellents équivalents français et meilleurs la plupart du temps.

Écrire notre langue, c’est une histoire de respect, tout d’abord envers nous-mêmes, envers nos parents, notre culture, nos origines, notre histoire, notre peuple, les écrivaines et écrivains qui nous ont précédés. Le plus désolant est de constater que les anciennes batailles menées pour la protéger, la diffuser, l’enseigner ne pèsent plus rien, nous indiffèrent, nous emmerdent.

Moindre effort, paresse, manque de vigilance, jemenfoutisme, snobisme, nous utilisons toutes ces mauvaises raisons pour écrire en franglais. C’est exactement de cette façon que les langues disparaissent actuellement, que les langues ont disparu dans le passé et que le français disparaitra.

Lorsqu’il ne restera plus que les académiciens, les linguistes et les chercheurs pour comprendre notre langue, ils se demanderont quel événement charnière a causé la dérive et la disparition de l’usage du français.

Je peux facilement répondre à cette question. L’événement charnière, c’est le titre anglais de votre prochain article de blogue, car l’usage est le moteur des changements et votre participation à ce petit jeu constitue tout sauf un geste anodin. Malgré qu’il soit très lourd de conséquences, vous tentez de minimiser sa portée, son importance et son influence.

Si l’influence de l’usage de l’anglais est si minime, pourquoi alors angliciser les textes? On utilise l’anglais justement parce qu’on recherche une portée plus forte, un impact plus puissant, plus d’exotisme. Donc on use de l’anglais en sachant parfaitement que sa portée, son importance et son influence sont tout sauf anodines, et ce malgré les dénis outragés. Voilà exactement comment agit un agent d’assimilation, il agit en faveur de l’anglais tout en niant nuire au français.

En pensant que votre titre anglais est plus précis, résume mieux votre contenu, définit mieux votre pensée, c’est que votre pensée est déjà assimilée. La langue française peut exprimer tout ce que vous voulez avec la précision, l’intensité et l’émotion désirées. Nul besoin de recourir à l’anglais. Votre cerveau a déjà accepté d’adopter cette langue et a déjà entamé le processus d’oubli du français en le dévalorisant insidieusement sous des airs cool. 

En immergeant un concombre dans le vinaigre, il n’existe aucun moment charnière où celui-ci se transforme soudainement en cornichon. Voilà comment une langue se perd, se noie et meurt, en transformant ses atomes un à la fois, un simple mot à la fois, un simple titre de blogue à la fois.

Utiliser l’anglais dans le titre de son blogue et dans son contenu, c’est pas chouette, c’est pas chic, c’est pas tendance, ni sympa, ni rigolo, ni super, ni extra, ni épatant! L’un ou l’autre de ces mots français remplace avantageusement le mot cool selon les circonstances. Les nuances s’en voient ainsi multipliées.

J’ai sciemment utilisé le mot cool dans le titre afin d’aborder le processus d’assimilation en cours. Cool est maintenant entré officiellement dans le dictionnaire français alors que si nous avions choisi d’utiliser l’un ou l’autre des multiples termes français aptes à le remplacer, ce mot littéralement peu évocateur du sens qu’on lui donne serait resté du côté anglais et nous n’aurions rien perdu puisque nous n’avons rien gagné en choisissant d’utiliser ce mot étranger. Au contraire, nous avons perdu au change en délaissant la richesse de notre langue qui nous proposait déjà un florilège d’équivalences adaptées à toutes les occasions.

Ça, c’est un, une… quoi ?

Duc, hibou, chouette, bubo, grand-duc, effraie, fresaie, hulotte, chat-huant, strix, vous y êtes presque, mais pas tout à fait. Cet oiseau est un harfang, un harfang des neiges.

Parfois la langue française a de quoi en perdre son latin. Si elle manque cruellement de mots, comme dans le domaine des technologies, parce que les académiciens ont oublié de se réveiller depuis 1890, ce qui force le peuple à adopter les termes anglais par manque de « leadership ». À l’autre bout du spectre, il existe onze mots distincts pour nommer les oiseaux de proie de la famille des strigidés alors qu’en anglais on se contente de « owl ». Pire, le mot « strigidés » possède un synonyme,  « bubonidés ». Faire plus compliqué que ça, c’est les douze travaux d’Hercule ! Ou pire, ma première femme. Je n’ai eu qu’une seule femme, mariée légalement on s’entend, mais puisqu’à elle seule elle en valait bien quinze, je peux affirmer sans ambages que j’ai été marié plusieurs fois. J’ai même voulu m’auto-incriminer pour polygamie afin de les divorcer, mais mon avocat m’a suggéré de tenir ça mort si je ne voulais pas être interné pour schizophrénie.

Pour en revenir à ce superbe oiseau de proie en robe de mariée, il est l’emblème aviaire du Québec. En hiver, le mâle devient blanc immaculé. Oui, que voulez-vous, il aime les robes blanches. Avez-vous quelque chose contre les LGBTQ ? Évidemment, ce plumage lui sert de camouflage dans la neige. Difficile après ça de vous faire croire qu’on vit dans un pays chaud !

Et la femelle ? En hiver, elle conserve une partie de ses taches grises. C’est pour mieux… se faire manger ? Ça, c’est pas bien ! Non. C’est pour mieux se dissimuler lorsqu’elle niche sur des terrains rocailleux en partie recouverts de neige. Ses œufs se camouflent également dans le paysage aride et froid.

Bon, je vous laisse, j’ai un poème à peaufiner. Mon agente l’a trouvé «dérangeant, hors normalité… osé!» J’ai donc su que j’étais sur la bonne voie. Un peu plus de perturbations et elle va syncoper. Exactement l’effet recherché. Je vous l’ai déjà dit, ma poésie n’est pas normale.

Photo : armstrongbirdfood.com