Origines oubliées de 5 mots (K à O)

Il existe deux précédents articles dans lesquels je donne l’étymologie de cinq mots commençant par A à E puis par F à J. Je poursuis maintenant cette liste en vous proposant cinq autres mots communs dont chacun commence par l’une des cinq lettres K à O.

Wind Guide You

Les mots sont le reflet des sociétés qui les utilisent. Pour des raisons souvent pratiques, ils se transforment pour s’adapter à des situations changeantes. Et comme ces sociétés, au fil du temps, leurs sens vivent puis disparaissent en laissant la place à d’autre façons de les interpréter.

Lorsque j’écris la définition moderne d’un mot, j’utilise celle communément comprise aujourd’hui, la plus courante, peu importe les autres formes ou sens possibles pour un même mot. Je ne prétends pas qu’il n’existe que cette seule définition toujours en usage.

Voici donc ces cinq prochains mots accompagnés de quelques remarques personnelles.

K : kaïd (nom masculin)

Oui, le mot caïd possède bien deux graphies dont celle avec un k, plus rarement utilisée et qui trahit des origines arabes comme beaucoup d’autres mots commençant par un k.

Définition moderne : Chef d’une bande de mauvais garçons ; personnage considérable dans le milieu.

La définition actuelle ne concerne pas seulement les jeunes chefs de bande. Elle inclut également celle des garçons ayant une forte emprise et une influence négative sur les autres jeunes de leur entourage, à l’école ou ailleurs. Ils menacent et terrorisent leurs compagnons sans nécessairement faire partie d’une bande.

Étymologie : 1308, caïte. De l’arabe qā’ǐd, signifiant « celui qui conduit » puis « chef de tribu » et finalement au XXe siècle « chef de bande ».

Commentaire : Autrefois, ce terme n’avait pas de connotation nécessairement négative. En Afrique du Nord, c’était un fonctionnaire musulman qui cumulait les attributions de juge, d’administrateur, de chef de police, et autres. Il devait exister de bons et de mauvais kaïds. On comprend aisément que des personnes possédant autant de pouvoirs puissent en abuser, ce qui conduisit à la définition moderne d’un jeune voyou-tyran. L’utilisation de ce mot pour désigner un adulte est possible, mais alors il n’est pas absolument associé à un voyou, plutôt à une personne aux immenses pouvoirs, en somme son sens originel.

L : lubie (nom féminin)

Définition moderne : Idée, fantaisie soudaine, capricieuse et parfois saugrenue, extravagante, déraisonnable.

Étymologie : Ses origines sont incertaines et on lui en attribue plusieurs dont leur sens ne coïncident pas toujours. 1636, muse normande. Du latin lubere, libere, « trouver bon », « faire plaisir ». Du moyen français, le verbe hubir signifie « croitre », « se développer » et au figuré « se réjouir ». En francique, il signifiait « résister contre une contrainte ».

Commentaire : On ne voit pas toujours très bien le lien entre ces différents sens. Probablement que plusieurs d’entre eux n’existent tout simplement pas. Aujourd’hui, on utilise « lubie » face à soi-même comme un plaisir coupable et les autres l’emploient à la limite de l’insulte pour qualifier nos fantaisies. On n’a plus beaucoup de « trouver bon », de « croitre » ou « se développer » et encore moins de « résister contre une contrainte ». Dans une langue vivante, le langage exerce sa prérogative d’évolution. Il dépouille les mots de certains de ses sens pour leur en faire revêtir de nouveaux, parfois très éloignés de ceux d’origine.

M : moite (adjectif)

Définition moderne : Légèrement humide.

Étymologie : 1190 muste, origines incertaines, du latin mǔscĭdus « moisi », mǔsteus « juteux », mustum « moût » ou encore un dérivé du verbe latin muscitare « mélanger », comme dans « mouiller le vin d’eau ».

Commentaire : La véritable racine du mot moite est plus probable du côté de mǔscĭdus puisque le moisi se développe effectivement avec une légère l’humidité. Aujourd’hui, on retrouve principalement « moite » dans la cooccurrence « mains moites », des mains humides sous l’effet de la transpiration. « Moite » est également assez fréquent lorsqu’on parle d’un temps lourd et humide, « une atmosphère moite » qui engendre de la « moiteur » sur notre corps.

N : néanmoins (adverbe et conjonction)

Définition moderne : Malgré ce qui vient d’être dit ; en dépit de (cela).

Étymologie : 1160, « naient moins ». 1549, « néanmoins », de « néant » et « moins ». Nombreuses variantes en ancien français dont « nenmains » au XIIIe siècle, « niantmoins » au XIVe siècle et « néantmoins » du XVe au XVIIe siècle.

Commentaire : J’avoue que cette ligature « néant moins » et la définition de néanmoins « en dépit de (cela) » m’ont toujours causé une douleur cérébrale. Dans les dictionnaires, on explique « néanmoins » ainsi. Comprendre « nullement moins », « en rien moins » ou « il n’en est pas moins vrai que… ». On utilise « néanmoins » pour rajouter de l’information parfois d’une autre nature ou d’un autre aspect, sans contredire les propos précédents. Oubliez l’explication « moins que le néant » puisqu’il n’y a rien de moins que le néant. Et pour les petits rigolos, « nez en moins » n’est pas une manière valable de le comprendre.

« Néanmoins » est un bon exemple de ces mots nés d’une tournure d’esprit un peu tordue qui caractérisait parfois nos ancêtres à l’époque médiévale. Étaient-ils justement créés par désir de séparer les roturiers des nobles en les rendant incompréhensibles aux rustres ?

O : omelette (nom féminin)

Définition moderne : Mets fait avec des œufs battus et cuits à la poêle avec du beurre, auxquels on peut ajouter divers éléments. Fricassée d’œufs.

Étymologie : Le mot « omelette » provient-il de « œufs mêlés » ? Oui ? Non ? En fait, cette étymologie n’est qu’anecdotique. Même s’il est vrai qu’une omelette est composée d’œufs mêlés, les origines de ce mot se situent ailleurs et sont bien plus complexes.

Va pour le « o », il découle probablement du mot latin ovum, œuf, mais la suite du terme est bien plus intéressante. Elle proviendrait du mot « amelette ». Attention, ne pas confondre avec âmelette, une petite âme. Le mot « amelette », lui, proviendrait de l’italien animella, de ce mot on a formé « animalette » pour finalement arriver à « amelette ». Mais ce n’est pas terminé. « Amelette » devint « aumelette » puis enfin « omelette ».

Cependant, d’autres sources offrent une cascade de mots bien différente, des transformations issues de métathèses (altération d’un mot par déplacement, interversion d’un phonème, d’une syllabe). Partons de « lemelle » ou « lamelle » puisqu’une omelette étant mince, elle était comparée à une lame. On en vint à « alumelle » puis « alumette (1 seul L), et vint « alemette » puis enfin « amelette ». La suite et la fin, vous la connaissez.

Commentaire : Alors qu’il n’y a vraiment rien de bien compliqué à concocter une omelette, ce ne fut certainement pas le cas pour son nom qui vécut une aventure des plus rocambolesque. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces métamorphoses carabinées, dont certainement l’absence ou la rareté des dictionnaires. Le premier dictionnaire de la langue française, le Richelet, date de 1680. Il fut suivi par celui de Furetière en 1690, et ensuite par la première édition du Dictionnaire de l’Académie française en 1694.

Pour conclure : 

Ma lubie était de serrer la main du kaïd, néanmoins je ne soupçonnais pas qu’elle serait aussi molle et moite qu’une omelette baveuse.

5 commentaires sur “Origines oubliées de 5 mots (K à O)

Répondre à christinenovalarue Annuler la réponse.