Dans mon canot d’écorce

« Dans mon canot d’écorce
Assis à la fraîche du temps
Où j’ai bravé toutes les tempêtes
Les grandes eaux du Saint-Laurent »
(paroles d’une chanson folklorique québécoise)

Lorsque dans des films ou des séries télé on présente des personnes en train de faire du canot, la façon dont ils se servent de leur aviron me chamboule à chaque fois. Ils pourraient tenir des broches à tricoter et le résultat serait comparable. Pourtant, en quelques minutes seulement, n’importe qui peut apprendre les rudiments de cet acte que, pour ma part, je trouve empreint d’une belle noblesse et d’une élégance rare.

Un canot fendant en silence l’eau miroitante. Le canotier laissant nonchalamment trainer son aviron avant de le relever pour l’enfoncer tout doucement dans les ténèbres d’un lac immobile. L’absence apparente d’efforts pour maintenir le cap, son canot filant droit devant comme s’il était guidé par une main magique. Quelques gouttes d’eau dégoulinant de l’aviron en laissant échapper un faible cri de liberté. La gite volontaire imprimée à la frêle embarcation, comme si le plat-bord défiait la rivière d’y pénétrer.

Bien sûr, il existe, comme dans toute activité physique, des monstres de la performance. J’ai travaillé un certain temps avec Jeff, un expert en canot de rivière. Il se mesurait aux pires rivières que la Terre avait engendrées. Rochers coupants comme des lames de rasoir, tourbillons meurtriers, courants démentiels, chutes vertigineuses, remous sournois. Jeff ne canote pas. Lui et son canot ponté ne font qu’un. Alors si vous regardez une publicité ou un reportage dans lequel un gars descend une rivière déchainée, dites-vous qu’il s’agit peut-être de Jeff.

Malgré ses compétences hors du commun, Jeff était toujours prêt à initier des groupes à l’art du maniement de l’aviron pour ensuite ramer quelques kilomètres en leur compagnie sur un lac ou sur une gentille rivière. À ces occasions je lui servais parfois de serre-file. Alors je lance une invitation aux réalisateurs cinématographiques. Ne laissez pas les acteurs avironner comme s’ils tenaient une batte de baseball. Trouvez quelqu’un dans les parages qui saurait leur donner une ou deux vraies leçons. Et si vous ne dénichez personne aux alentours, achetez-moi des billets d’avion et j’irai volontiers leur montrer les différences entre tenir une raquette de tennis, une baguette de pain et un aviron.

Photo : https://www.espaces.ca