Survivre à l’ile aux fesses

Les lacs fourmillent tellement au Québec qu’il semble impossible d’en donner un nombre précis. Tout dépend de la définition de « lac » donnée par les différents auteurs. Disons que les valeurs varient entre cinq-cent-mille et un million.

Certains de ces lacs abritent une ou plusieurs iles. Lorsque l’une d’elles est suffisamment en retrait pour que sa plage reste à l’abri des regards indiscrets, il n’est pas rare qu’elle soit surnommée « l’ile aux fesses ». Vous retrouverez rarement ce toponyme officiel, bien évidemment. Seuls les gens du coin connaissent l’ile en question et généralement sa réputation n’est pas surfaite. On peut imaginer sans peine l’activité favorite des gens qui utilisent une embarcation quelconque pour fouler ses rives.

En haute saison, par contre, si l’intimité est recherchée, il est préférable d’éviter ces endroits. Même mise en garde concernant les enfants, à moins de vouloir leur montrer les choses de la vie.

La météo peut se révéler très capricieuse en territoire montagneux. Un superbe ciel entièrement bleu se transforme rapidement et sans crier gare en un amoncèlement de nuées grises et noires. À cause de l’effet Venturi, les vents se déchainent, les vagues s’empilent, clouant sur place les adeptes de l’aventure extra-conjugale ou de la titillante exploration juvénile.

Un grain ne dure jamais bien longtemps sauf s’il s’agit d’un résidu d’ouragan et dans ce cas, la météo l’a certainement annoncé haut et fort longtemps d’avance. Donc, généralement, il suffit de se mettre à l’abri le mieux possible et d’attendre que le grain soit passé.

Mais avec les cellulaires, il est maintenant facile d’appeler les secours et d’exprimer sa panique alors qu’il suffirait de prendre son mal en patience. Je fus amené à quelques reprises à secourir des gens bloqués sur une ile aux fesses dont leur courte mèche les rendait à risque. Ce faisant, un de mes collègues et moi partions à leur rencontre pour les ramener en pleine tempête. Sans notre intervention, ils auraient essayé de revenir en usant de moyens et de compétences limités plutôt que d’attendre sagement la fin du mauvais temps.

J’ai toujours eu de la difficulté à comprendre les gens qui n’ont aucune capacité à évaluer les différents degrés de danger. Ils bradent les solutions les plus avantageuses pour adopter celles qui leur feront courir les plus grands risques. En me mettant personnellement en péril pour leur venir en aide, j’acceptais ce triste constat. L’humain moyen a perdu ses anciennes facultés de survivre qui le préservait autrefois de la plupart des aléas ou, s’ils survenaient, d’éviter de les aggraver inutilement.

Agir avec étourderie n’est plus un comportement risible, c’est devenu la norme. Et lorsque la situation devient grave, presser le bouton « panique » sans préalablement réfléchir aux meilleures options ramène l’adulte à agir comme un jeune enfant. Ensuite, les imprudents ou les impatients supplient ou exigent d’être secourus en blâmant les événements et tout le monde, sauf eux-mêmes.

De par son mode de vie aisé, l’humain s’est considérablement ramolli. Le jour où sa survie redevient indispensable, le temps n’est pas à l’apprentissage, mais à la débrouillardise intelligente.

Espérons que les quelques individus qui resteront bloqués sur l’une ou l’autre des iles aux fesses cet été finiront par comprendre qu’il suffit de patienter. Et dans l’attente, le mieux qui leur reste à faire s’avère certainement d’honorer le surnom donné à ces iles.

D’ailleurs, « survivre à l’ile aux fesses » consiste aussi à s’y reproduire, pas seulement à s’en extirper.

Une ile aux fesses est présente sur cette photo

Zone volcanique de Taupo

Il n’existe heureusement que très peu de supervolcans dans le monde. Le plus connu et surtout le plus médiatisé de tous est le Yellowstone aux É.U.A. Ce dernier mérite probablement son titre du plus dangereux et du plus susceptible d’éclater à tout moment.

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Si vous croyez que des supervolcans ressemblent au Vésuve, au Krakatoa, au Pinatubo, au Santorin, au Tambora, à la montagne Pelée, au Laki ou au mont St Helens, détrompez-vous, car ceux-ci ne sont que de vulgaires pets de nonnes à comparer aux véritables monstres que sont les supervolcans.

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Parmi cette courte liste, je vous ai déjà parlé de l’Ilopango au Salvador et du Toba à Sumatra ainsi que des champs Phlégréens en Italie, mais il y en a un autre que je n’avais jamais abordé.

Ce supervolcan est méconnu et pourtant ses dernières frasques sont plutôt récentes et elles ont été gigantesques. Sa position géographique l’aide peut-être à se faire oublier puisqu’il se situe en Nouvelle-Zélande, plus précisément sur l’ile Nord. Aujourd’hui, comme d’autres supervolcans, il se démarque, non pas par un joli cône, mais au contraire par sa cuvette, sa caldeira remplie d’eau et formant un immense lac, le lac Taupo.

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Voilà environ 26500 ans, le supervolcan Taupo est entré en éruption avec un indice VEI de 8, le maximum sur cette échelle d’éruptivité. Il a projeté dans les airs plus de 1000 km3 de cendre, de gaz et de roches. Pour point de comparaison, en 1883, le Krakatoa n’a atteint que le niveau 6, le Vésuve, un petit 5 et la montagne Pelée, seulement 4. Seuls les supervolcans atteignent l’indice 8 sur cette échelle qui multiplie par 10 la quantité d’éjecta à toutes les fois qu’elle grimpe d’un échelon.

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Les conséquences climatologiques de l’explosion qu’on nomme aujourd’hui «Oruanui» restent difficiles à quantifier puisque la Terre traversait déjà à cette époque un épisode d’intense refroidissement et il se trouvait pratiquement à son minimum. Il est possible que le climat ait plongé encore plus bas, c’est tout ce qu’on peut tirer comme hypothèse. Voilà la raison pour laquelle cet événement est passé presque inaperçu et pourquoi on n’en parle pratiquement jamais.

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On a su évaluer les quantités de gaz et de poussières émises dans l’atmosphère et à ce chapitre, il est clair qu’on a eu affaire à une super éruption, la dernière des 74000 dernières années où son frère, le Toba, faisait des frasques.

Le lac Taupo constitue aujourd’hui une partie de la caldeira du volcan. Ses dimensions de 20 km x 30 km montrent le gigantisme du géant somnolent. Toutefois, la zone volcanique au complet fait 350 km de long sur 50 km de large et comprend plusieurs volcans. Elle est causée par une zone de subduction qui fait remonter du magma des entrailles de la Terre par la pression générée par la plaque océanique lorsqu’elle s’enfonce profondément dans le manteau terrestre.

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La dernière importante éruption du Taupo date probablement de 230 de notre Ère. Une fois encore, celle-ci se perd dans les arcanes de l’histoire où l’on peine à lui attribuer une datation précise. Elle fut toutefois de bien moindre ampleur que celle du minimum glaciaire précédent.

Malgré son indice de dangerosité, on en connait très peu sur le Taupo. Il vient toutefois s’ajouter à notre sac à catastrophes mondiales potentielles. Une des particularités des supervolcans est qu’ils finissent tous par refaire de super éruptions un jour ou l’autre. Reste à savoir quand et de quelle ampleur, mais chose certaine, leurs prochains débordements ne seront jamais anodins.

Les récents séismes à Lombok et le Petit Âge glaciaire

À la jonction des plaques tectoniques australienne, eurasiatique et pacifique, l’Indonésie est constituée de 13466 iles et ilots et contient pas moins de 150 volcans en activité, faisant de ce pays le champion des séismes et des éruptions volcaniques.

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Récemment, l’ile de Lombok a fortement tremblé à cinq reprises. Il faut savoir que Lombok abrite un énorme volcan, le mont Rinjani, le deuxième volcan le plus élevé d’Indonésie culminant à 3726 mètres. Ce volcan gris (explosif) occupe toute la partie nord de l’ile. Les derniers séismes, tous en périphérie et à faible profondeur, pourraient indiquer une remontée importante du magma au cœur de la montagne.

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La forme particulière du mont Rinjani laisse paraitre les cicatrices de son passé mouvementé. En plus de son cratère principal situé à l’est, la montagne montre clairement un vaste affaissement à l’ouest qui se termine dans le lac Segara, lequel entoure toute la moitié ouest du sommet du volcan.

Ce lac s’avère être la caldeira du stratovolcan Samalas, l’ancêtre du Rinjani qui a explosé en l’an 1257. À l’époque, la montagne s’élevait jusqu’à 4200 mètres, tout son sommet a été littéralement pulvérisé.

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Ces derniers séismes à répétition et survenus près de la surface annoncent peut-être une prochaine éruption majeure de la poche magmatique située sous la montagne. Pour savoir à quoi cette catastrophe pourrait ressembler, rien de mieux que de comprendre les événements survenus en 1257.

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L’indice d’explosivité volcanique a atteint le niveau 7 (VEI 7), considéré comme mégacolossal. L’éruption fut la plus importante sur Terre des 100 derniers siècles. Son panache a culminé à 43 kilomètres d’altitude et ses nuées ardentes ont complètement rayé de la carte le royaume situé à ses pieds, royaume dont sa capitale se nommait Pamalan. Il s’en est échappé 40 km3 de roches et de cendres, rendant les iles de Lombok et Bali pratiquement inhabitables pour des décennies.

Mais ces conséquences locales ne disent pas tout sur les impacts de cette éruption survenue au Moyen Âge. Les cendres se sont répandues dans toute l’atmosphère de la planète. Un dégagement de dioxyde de soufre et de chlore estimé à un total de 385 millions de tonnes a occasionné d’importants effets sur le climat en apportant un assombrissement global et des années subséquentes sans été.

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D’effroyables famines ont frappé plusieurs pays durant les deux années qui ont suivi. Durant cette période, Londres a perdu le quart de sa population. Cependant, l’éruption du Samalas a peut-être amorcé un dérèglement climatique bien plus permanent, celui du Petit Âge glaciaire.

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Bien que l’activité volcanique du Samalas ne soit pas la seule responsable de cet épisode qui a duré près de 550 ans, une modification dans l’équilibre des courants océaniques aurait probablement conduit à l’enclencher pour de bon.

Imaginez quelle ironie si les hausses actuelles des températures occasionnées par les activités anthropiques finissaient par être compensées par les effets d’une possible méga éruption du mont Rinjani (ou de toute autre éruption d’importance)! Me sentirais-je obligé de remercier les climatosceptiques pour leur «prévoyance»? Après les avoir traités de bande d’imbéciles, faire amende honorable s’avèrerait passablement difficile. Ce serait bien la preuve qu’en matière de climat, tout peut arriver!

Ilopango

Dans l’article d’hier, j’abordais la chute des empires causée par leurs promesses et précipitée bien souvent par des catastrophes naturelles. Aujourd’hui, je vais parler de l’une d’elles causée par l’Ilopango.

Voici la photo du volcan Ilopango, un destructeur d’empire régional. Mais ne vous y méprenez pas, le monstre n’est probablement pas celui que vous pensez. Ce magnifique stratovolcan (cône) n’est pas l’Ilopango, regardez plutôt ce lac en avant-plan, voilà l’Ilopango.

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Sur cette carte, vous pouvez comparer la taille du cratère du volcan San Vicente (cercle rouge) avec la caldeira de l’Ilopango qui correspond à la totalité du lac pour vous donner la mesure du monstre souterrain.

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D’une dimension de 8 par 11 kilomètres, la bouche de l’Ilopango se situe à la limite est de la ville de San Salvador, la capitale de la République du Salvador, le plus petit pays d’Amérique centrale.

Cette caldeira, surnommée El Megavolcán de la Muerte par ses habitants, résulte de quatre éruptions de type plinien (vésuvien) survenues au cours des 12000 dernières années. La plus récente de ces explosions cataclysmiques s’est produite aux environs de la moitié du cinquième siècle de notre ère (an 450).

Cette éruption s’avère bien plus importante que celle du Krakatoa de 1883 et probablement comparable à celle du Tambora de 1815 avec une cote estimée à VEI 6-7. Il expulsa pas moins de 70 kmde téphrites, des cendres volcaniques brûlantes, ce qui correspond à un tapis de 50 cm sur un rayon d’une centaine de kilomètres autour de lui.

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Bien sûr, cette éruption engendra des impacts locaux très sévères, dont la disparition de la culture maya de l’époque, en forçant l’évacuation des rescapés de ces hautes terres vers les basses terres des pays modernes du Guatemala et du Belize. Le contrôle du réseau commercial fut déplacé vers la ville de Tikal au Guatemala actuel.

Cela prit des siècles avant que cette vaste zone puisse récupérer de ce désastre. Toutefois, la fertilité accrue des sols ramena ensuite les habitants à se concentrer de nouveau autour de lui.

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Cette éruption créa un impact majeur sur le climat global avec pour conséquences la chute importante des températures et des récoltes fragilisées et appauvries.

Les conséquences de la dernière éruption majeure de l’Ilopango ne sont pas responsables à elles seules de la fin des empires romains et byzantins de cette époque, mais elles ont contribué à affaiblir leurs structures économiques et leur influence.

Manitou

Pour les Amérindiens Anishinaabe-Ojibwés, Manitou est l’énergie vitale de toute entité vivante, humaine, animale ou végétale. L’énergie individuelle est la part de manitou qu’assume en dedans de lui chaque être vivant. Grand Manitou, Gitche Manitou est donc l’ensemble des être vivants formant l’Un, l’Être suprême qui anime toute création.

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Selon ce peuple vivant près des Grands Lacs d’Amérique, Grand Manitou résiderait sur l’ile Mackinac sur le lac Huron à la frontière du lac Michigan. Des cérémonies annuelles amenaient ces Amérindiens en pèlerinage sur cette ile.

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Grand Manitou est synonyme de Grand Esprit, Père le Ciel, Maître de la Vie, le Grand Mystère, Wakonda.

C’est l’Être mystérieux, ou tout simplement «Le Mystère». C’est l’équivalent d’Orenda pour les tribus iroquoiennes, dans les deux cas, un Esprit bienfaiteur, mais qui peut se fâcher si on lui est irrévérencieux.

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Comme on peut le constater, le thème d’une part du Dieu Créateur faisant partie de nous et auquel nous nous identifions n’est pas unique et se retrouve dans une grande quantité de cultures sur le Globe.

Images : saturdayeveningpost.comdaylahneedanangel.skyrock.com

Devon

L’ile Devon n’est pas une nouvelle destination vacances. Bien peu de gens la connaissent parce qu’elle se situe tout au nord du Canada dans les territoires du Nunavut. C’est la plus grande ile inhabitée de la planète. Alors que peut bien receler cette ile pour qu’on en parle ces temps-ci ?

En réalité, elle fait parler d’elle depuis 1999 dans certains milieux scientifiques. C’est là que la NASA effectue certaines expériences lorsqu’elle a besoin de simuler l’environnement de Mars. Lorsqu’on effectue un survol de ces terres désolées, on voit très bien la ressemblance avec la petite sœur de la Terre.

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Mais actuellement, il existe une autre raison pour laquelle ce milieu désertique est populaire. Des scientifiques ont par hasard découvert le premier lac sous-glaciaire canadien. Il existe dans le monde près de 400 de ces lacs dont le plus célèbre est probablement le lac Vostok en Antarctique, mais celui de l’ile Devon est très particulier.

Il est fait d’eau hyper chargée en sels minéraux, ce qui pourrait la faire ressembler à l’eau contenue sous la croûte glacée d’Europe, l’énigmatique lune de Jupiter. En étudiant cette eau, elle pourrait peut-être nous donner des indices sur la faune vivant sous la glace d’Europe.

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Due à la pression de la glace, la température de l’eau du lac de l’ile Devon avoisinerait les -10 °C même si elle reste à l’état liquide. Ce deuxième critère de ressemblance possible avec les eaux d’Europe encourage et excite les exobiologistes.

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Cela fera pour l’ile Devon une raison supplémentaire pour recevoir en été de nouveaux scientifiques. Comme quoi les terres désolées ne sont pas si inutiles qu’elles peuvent sembler.

Les conspirationnistes affirment que jamais personne n’a envoyé de rovers sur Mars et que toutes les images proviennent de l’ile Devon. Je leur répondrais qu’ils ne sont certainement pas des rocket scientists (intellos, nerds) pour oser avancer de telles affirmations sans aucune preuve, constat ou observation autres que leur scepticisme. Qu’importe, puisque ce sont les mêmes qui prétendent que la Terre est plate. La seule chose qui est plate est l’étendue infinie de leur désolante ignorance.

Dans mon canot d’écorce

« Dans mon canot d’écorce
Assis à la fraîche du temps
Où j’ai bravé toutes les tempêtes
Les grandes eaux du Saint-Laurent »
(paroles d’une chanson folklorique québécoise)

Lorsque dans des films ou des séries télé on présente des personnes en train de faire du canot, la façon dont ils se servent de leur aviron me chamboule à chaque fois. Ils pourraient tenir des broches à tricoter et le résultat serait comparable. Pourtant, en quelques minutes seulement, n’importe qui peut apprendre les rudiments de cet acte que, pour ma part, je trouve empreint d’une belle noblesse et d’une élégance rare.

Un canot fendant en silence l’eau miroitante. Le canotier laissant nonchalamment trainer son aviron avant de le relever pour l’enfoncer tout doucement dans les ténèbres d’un lac immobile. L’absence apparente d’efforts pour maintenir le cap, son canot filant droit devant comme s’il était guidé par une main magique. Quelques gouttes d’eau dégoulinant de l’aviron en laissant échapper un faible cri de liberté. La gite volontaire imprimée à la frêle embarcation, comme si le plat-bord défiait la rivière d’y pénétrer.

Bien sûr, il existe, comme dans toute activité physique, des monstres de la performance. J’ai travaillé un certain temps avec Jeff, un expert en canot de rivière. Il se mesurait aux pires rivières que la Terre avait engendrées. Rochers coupants comme des lames de rasoir, tourbillons meurtriers, courants démentiels, chutes vertigineuses, remous sournois. Jeff ne canote pas. Lui et son canot ponté ne font qu’un. Alors si vous regardez une publicité ou un reportage dans lequel un gars descend une rivière déchainée, dites-vous qu’il s’agit peut-être de Jeff.

Malgré ses compétences hors du commun, Jeff était toujours prêt à initier des groupes à l’art du maniement de l’aviron pour ensuite ramer quelques kilomètres en leur compagnie sur un lac ou sur une gentille rivière. À ces occasions je lui servais parfois de serre-file. Alors je lance une invitation aux réalisateurs cinématographiques. Ne laissez pas les acteurs avironner comme s’ils tenaient une batte de baseball. Trouvez quelqu’un dans les parages qui saurait leur donner une ou deux vraies leçons. Et si vous ne dénichez personne aux alentours, achetez-moi des billets d’avion et j’irai volontiers leur montrer les différences entre tenir une raquette de tennis, une baguette de pain et un aviron.

Photo : https://www.espaces.ca

Aiguebelle – le tracé abitibi

Le parc National d’Aiguebelle est situé dans la région de l’Abitibi au Québec. Parmi la multitude de lacs qu’on y trouve, deux se distinguent. La Haie et Sault, deux lacs glaciaires rubaniformes orientés nord-sud ayant chacun de 7 à 8 km de pourtour et enclavés entre des montagnes verdoyantes et des falaises verticales creusées par les glaciers lors de la dernière glaciation. On peut faire le tour du lac La Haie en une journée, mais la piste qui longe ses rives oblige le randonneur à monter et descendre plusieurs fois des sommets jusqu’au lac et vice-versa. Il est préférable de bien se reposer au refuge situé à l’extrémité nord du lac La Haie, conseil que je n’ai pas suivi.

Avant de me diriger vers la rive est du lac La Haie pour un retour au campement, j’ai poussé plus au nord pour aller voir le lac Sault. Il n’existe aucune connexion hydrographique entre eux, même si leur formation est très certainement due au même glacier. Le lac Sault est moins enclavé que son frère et offre des panoramas moins spectaculaires.

J’y suis allé lorsque la haute saison était terminée, mais je voulais à tout prix faire cette randonnée même si j’étais seul. La journée était maussade, un crachin tombait en aérosol, rendant les pierres très glissantes et mon corps transi.

Le mot amérindien « abitibi » signifie « le partage des eaux ». De fait, il existe un tracé imaginaire reliant tous les sommets où les eaux se dirigeant vers le nord-ouest se jetteront dans les baies James et Hudson pour finir dans l’océan Arctique, tandis que celles dévalant les pentes vers le sud-est rejoindront le fleuve Saint-Laurent puis l’océan Atlantique.

Il existe une mare dans le parc Aiguebelle où l’on voit parfaitement deux rus couler dans deux directions opposées. Le tracé Abitibi passe exactement à cet endroit. Il sépare la totalité de la province de Québec en deux et seulement deux bassins hydrographiques distincts.

Une fois la randonnée terminée, j’étais épuisé et transi. Je me suis payé une bonne douche chaude de 20 minutes et j’ai ensuite ingurgité deux grands cafés. Heureusement et malgré quelques décisions un peu téméraires en cours de route, je ne me suis pas blessé. Par contre, j’ai quelques anecdotes à raconter sur mon séjour dans cette étonnante région. Lire la suite.

Des canots, une ile, du vent, une nuit

Le lac Ouareau dans Lanaudière. Un plan d’eau de 15 km2 enclavé entre plusieurs montagnes. Son nom voudrait dire « vents tournants » en amérindien. J’ignore si l’origine de son appellation est véridique, mais le vent n’a pas usurpé ce qualificatif. Difficile d’y pratiquer des activités nautiques, surtout lorsque le grain survient sans avertissement.

Le lac est suffisamment vaste et profond pour soulever des vagues de plus de deux mètres lorsque l’air s’engouffre entre les montagnes dans le sens de sa longueur. Il suffit alors de quelques bourrasques pour coucher n’importe quelle embarcation menée par des gens moyennement expérimentés, ce qui est généralement le cas sur ce type de plan d’eau situé en zone de villégiature. Ayant vécu plusieurs années sur ses berges, j’ai quelques anecdotes à raconter. En voici une.

À l’ouest du lac s’élève le mont La Réserve. Le soleil s’y couche et lorsqu’on est à l’ombre de ce massif rocheux, pour mieux admirer le crépuscule, il est préférable de se déplacer. Le centre du lac est un excellent endroit et justement il s’adonne qu’une ile s’y trouve. Ainsi, j’amenais occasionnellement des vacanciers sur cette ile après le repas du soir pour admirer le coucher du soleil et terminer la journée autour d’un feu de camp avant de revenir à l’auberge ou de passer la nuit à la belle étoile, selon le désir de chacun. Un soir, la météo a voulu décider pour nous. Alors que nous étions tous occupés à chanter des airs autour du feu de camp, le vent s’est mis à croitre et le bruit qu’il faisait dans la cime des arbres, pour moi, annonçait l’état du plan d’eau. Je connais suffisamment le lac et ses vents pour savoir que celui-ci ne tomberait pas avant plusieurs heures. J’annonce donc aux gens que le retour en canot est compromis et que, par précaution, nous devrons tous rester sur l’ile pour la nuit. Sur la vingtaine de personnes, une dizaine avaient apporté leur sac de couchage tandis que le reste avait planifié retourner à l’auberge.

Dire à des adultes qu’ils doivent changer leur projet, il y aura toujours un individu dans un groupe qui voudra s’en tenir à son plan d’origine, peu importe le contexte, et c’est exactement ce qui arriva. Un gars plus décidé que les autres cherchait un coéquipier pour retourner à l’auberge. Malgré des apparences pas totalement défavorables lorsqu’on était sur la plage, je savais pertinemment que ce n’était qu’apparences et qu’au large, le vent soulevait de fortes vagues. Mais pour certaines personnes, ce qui est hors de leur champ de vision devient hors du champ de la réalité. J’anticipais réellement une catastrophe, car personne parmi les vacanciers n’avait suffisamment d’expérience pour affronter cette météo. Et la volonté du protestataire semblait inébranlable malgré ma description plutôt précise de ce qui l’attendait. De plus, il cherchait à entrainer une autre personne dans son aventure puisqu’il était au moins conscient qu’il ne pouvait pas manœuvrer seul l’embarcation. Mais était-ce mieux ? Il ne me laissait donc pas le choix. Le raisonner par une description par anticipation s’avérait impossible, je devais lui démontrer clairement ce qu’il refusait de croire.

Chez certains individus, moins ils ont de l’expérience dans un domaine et plus ils refusent les conseils de gens plus expérimentés. Ce sont ceux-là mêmes qu’on récupère en morceaux, ou ballonnant à la surface de l’eau quelques jours plus tard. Mais malgré le caractère provocateur et suffisant de ce personnage, je n’avais aucunement intention de le laisser se donner en pâture aux brochets. J’ai donc décidé d’utiliser son entêtement pour servir ma cause, mais pour ce faire je devais d’abord remporter un pari. Je me suis proposé d’être son coéquipier pour faire un essai d’une centaine de mètres sur le lac. Au retour, s’il considère la traversée suffisamment sûre, il en informera le groupe. Dans le cas contraire, nous resterons tous ici en nous débrouillant pour passer la nuit avec les sacs de couchage, les canots, les gilets de sauvetage et les serviettes de plage que nous possédions. Le marché fut accepté pourvu qu’il me laisse la gouverne à l’arrière du canot. Il accepta, sachant bien qu’il n’avait aucune expérience pour diriger l’embarcation par temps fort.

La nuit était d’un noir d’encre puisque les lourds nuages qui occasionnaient ces rafales obscurcissaient également tout le ciel. Alors une fois que nous nous fûmes éloignés des lueurs de notre feu, la réalité s’est soudainement abattue sur lui comme une chape de plomb. Des vagues de plus en plus impressionnantes se mirent à assaillir notre frêle embarcation, et pourtant je savais que nous étions encore loin d’avoir rencontré les plus grosses qui sévissaient un peu plus au large. Même en plein jour, ce n’aurait pas été un temps pour mettre les canots à l’eau, mais la noirceur dissimule bien les vils desseins du temps en laissant entrevoir un degré de félonie beaucoup moins important que la réalité. C’est ce qu’a finalement compris mon partenaire canotier qui a pu ressentir ce que je décrivais précédemment, soit le fait de se retrouver seul, en totale noirceur, dans une minuscule embarcation instable sur un vaste plan d’eau composé de furieuses vagues invisibles qui frappent la proue sans relâche et causent tangage, roulis et lacet, tout en éclaboussant à répétition le malheureux avironneur amateur en perte de confiance et de ses moyens.

Lorsque je l’ai vu tenir son aviron au-dessus de sa tête en signe d’impuissance, j’ai alors saisi l’occasion pour lui demander si on continuait ou si on faisait demi-tour. Je connaissais d’avance sa réponse puisque ce geste dénotait un état proche de la panique. De retour parmi le groupe, il fut mon meilleur ambassadeur pour convaincre tous les indécis de rester bien sagement sur l’ile.

Les gens se sont partagé les commodités pour le plaisir de certains tourtereaux et la résignation des autres. Quant à moi, je me suis couché sur la plage à l’abri du vent sous un canot pour m’assurer qu’aucun ne disparaisse durant la nuit. Le lendemain matin, je suis parti tôt chercher le déjeuner à l’auberge pour la gang de dormeurs à la belle étoile. Le vent s’étant calmé, tout le monde a pu ensuite regagner l’auberge à la clarté et en toute sécurité, y compris le protestataire qui était tout sourire.

Dans ce type d’aventure, on peut croire que les adultes sont responsables, à tout le moins d’eux mêmes, mais c’est faux. Avec des enfants, il existe une relation naturelle d’autorité  alors qu’avec certains adultes, toute irritation peut devenir sujet de conflit, même s’ils se savent incompétents pour juger d’une situation. Fierté mal placée ? Répulsion naturelle face à une quelconque forme d’autorité ? Ou quoi d’autre ? Protéger des personnes adultes contre elles-mêmes alors qu’elles sont en possession de leurs moyens, c’est le genre de situation qui prend au dépourvu. C’est d’autant plus vrai lorsque le danger semble évident à appréhender.

Dans chaque histoire qui se termine bien, il existe souvent un secret. Celle-ci ne fait pas exception. En canot durant une tempête, la position à l’arrière est plus technique, mais le coéquipier à l’avant endure les pires conditions. Il est ballotté en tous sens et se fait passablement arroser. J’ai misé sur ce fait et cela a fonctionné. Quoi qu’il en soit, ce n’était pas un temps à laisser un canot partir sur l’eau. Alors, quand le destin nous joue des tours, il ne faut pas hésiter à lui en jouer nous aussi.

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