Aiguebelle – un ours et une perdrix

J’étais au parc Aiguebelle, c’était au début de l’automne. Cette année-là, le printemps fut très chaud et sec, occasionnant la perte de bon nombre de fleurs sauvages à l’origine de petits fruits dont celles du bleuet. À l’automne, les ours noirs qui peuplent la région sentent l’urgence d’accumuler de la graisse en prévision de la prochaine hibernation. Une partie de leur alimentation se compose de baies, dont le bleuet qui est normalement très abondant à cette période. Mais cette année-là, c’était tout le contraire, les bosquets étaient vides.

Je faisais le tour d’un lac et j’étais sur le trajet de retour quand je décide de m’éloigner du sentier afin d’aller voir la petite mare qui se trouve exactement sur le tracé abitibi (voir l’article précédent en cliquant ici). Pour ce faire, je dois traverser un immense champ de… bleuets. Wow ! Ce champ a miraculeusement échappé à la sécheresse, les bosquets croulent sous le poids des fruits.

J’additionne bleuets plus rareté égalent ours affamé. Je n’ai qu’à poursuivre mon chemin plutôt que de bifurquer, mais j’observe les environs d’un œil scrutateur. Bon, rien en vue, mais je sais qu’il peut s’être caché s’il m’a entendu approcher. Je reste donc immobile et j’attends. Toujours rien. Je décide alors de m’éloigner du sentier pour aller voir la fameuse petite mare du tracé abitibi.

Dans environ trois-cents mètres, j’atteindrai le point d’eau. Toujours aux aguets, j’avance en chantant pour éviter de surprendre un ours, ou pire, un ourson. De fait, quand un ourson est surpris, il appelle sa maman qui, habituellement, n’est pas du tout contente qu’on fasse peur à son rejeton. Heureusement, le champ semble désert, mais j’y crois à peine puisque c’est le seul endroit où j’ai vu des bleuets bien mûrs à des kilomètres à la ronde. Leur odeur ne peut pas avoir échappé à un ours dans les parages.

J’aperçois le point d’eau, ma destination. J’en oublie pour une seconde le danger potentiel quand tout à coup, quelque chose heurte l’arrière de ma tête. Immédiatement, j’appréhende la patte d’une ourse frôlant ma casquette. Je fige pour la rassurer sur mon intention de ne pas aller plus loin, au cas où je me dirigerais vers son ourson. Je m’apprête à me coucher par terre, n’ayant aucun moyen de la semer sur ce plat terrain.

Mon sang n’avait pas encore fini de refluer que j’aperçois un oiseau voler très bas juste au-dessus de moi. Je résous alors le mystère de ce contact derrière ma tête. Une perdrix. Effectivement, elle atterrit en catastrophe à trois mètres devant moi en trainant une aile blessée. Je connais cette stratégie. Elle consiste à me faire croire qu’elle s’est blessée lorsqu’elle m’a touché la tête, alors qu’elle m’attire simplement loin de son nid. Je me laisse aller à son jeu pendant quelques instants en la suivant. Sa technique est parfaite, on jurerait qu’elle a réellement une aile brisée. Finalement, je me retourne vivement en direction opposée. La maman oiseau décolle en trombe pour aller protéger sa progéniture. Je la laisse tranquille, mon cœur peut reprendre son rythme normal et celui de la perdrix également.

Si la maman perdrix s’était contentée de rester bien sage, je ne l’aurais jamais aperçue, ni son nid, ni son oisillon. En cherchant à le protéger, elle a été l’instigatrice de la situation dangereuse pour elle et son rejeton, car en retournant à son nid, j’ai pu facilement le localiser. Sa ruse fonctionne peut-être parfaitement avec les autres résidents de la forêt, les ours en l’occurrence.

J’ai été par contre très heureux d’avoir raté la fiesta dans le champ de bleuets. Rencontrer un ours en pleine forêt, c’est comme jouer à la roulette russe. Cinq fois sur six, ça se termine bien quand on sait quoi faire. Mais… qu’en est-il de la sixième ? Il faut juste pas trop y penser et espérer rencontrer plutôt... une perdrix.

 

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