Une soirée à l’OM sous le signe de la puissance

Hier marquait le retour en salle montréalaise du maestro Yannick Nézet-Séguin après ses sept prestations à la barre du Metropolitan Opera de New York alors qu’il a dirigé Parsifal de Richard Wagner. Les deux œuvres présentées hier soir, le concerto pour piano n° 1 en do mineur de Medtner ainsi que la symphonie n° 4 en fa mineur de Tchaïkovski, ont été jouées en faisant appel à l’orchestre partie en tournée européenne, c’est-à-dire avec des sections cuivres et percussions enrichies.

Le concertiste-pianiste était Serhiy Salov. Il a obtenu son doctorat en musique à l’Université de Montréal et est le soliste en résidence à l’Orchestre Métropolitain pour la saison actuelle. Il possède un jeu franchement dynamique, mais il martèle les notes aiguës un peu trop à mon goût. Mis à part ce léger désagrément, sa complicité avec Nézet-Séguin était parfaite, chacun prenant bien soin de synchroniser leurs efforts. Toutefois, Nézet-Séguin a fait joué son orchestre un peu trop fort, noyant le jeu du pianiste à deux reprises malgré, ou peut-être à cause, de la puissance naturelle du soliste.

La symphonie de Tchaïkovski, quant à elle, n’a pas souffert de beaucoup de problèmes d’interprétation et permet de comprendre le succès retentissant du maestro à travers le monde. D’entrée de jeu, le premier mouvement fait éclater la salle sans perdre la grande qualité de Tchaïkovski qui est un maitre dans l’art d’enrichir une œuvre sans créer de cacophonie.

La finale était tout simplement étourdissante. Il a fait joué son orchestre à la limite de la vitesse à laquelle les musiciens peuvent projeter un son puissant avec leur instrument, surtout les cordes. À ce chapitre, des félicitations grandement méritées au violoncelliste Christopher Best qui a tout donné et a réussi à tenir la cadence tout en conservant une grande luminosité.

Comme toujours, la finale de l’œuvre a été magnifiquement interprétée. Nézet-Séguin sait comment terminer une soirée de façon mémorable et tout l’orchestre a amplement gagné l’océan d’applaudissements qui a suivi. Toujours très généreux, il a parcouru les sections de son orchestre pour que la salle puisse les applaudir individuellement. Je tiens également à souligner le travail toujours remarquable du percussionniste-soliste Julien Bélanger aux timbales.

Une belle soirée qui, malheureusement, termine la saison en salle de Nézet-Séguin avec l’OM, mais ce n’est que partie remise. La programmation pour la prochaine saison sera dévoilée aujourd’hui même.

Luminosité orchestrale

On rencontre parfois des musiciens de talent qui semblent avoir compris quelque chose de différent et qui marquent les œuvres interprétées d’un caractère céleste et infusant à l’auditoire une béatitude planante que seuls des musiciens d’exception parviennent à engendrer. Maestro Nézet-Séguin est l’un d’eux. La sensibilité qu’il insuffle à son orchestre, l’Orchestre Métropolitain de Montréal, s’apparente à de la magie. Ton badin ou contemplatif, accents de piété ou de sombreur, marques d’humour ou de douleur, sa musique est ressentie telle qu’il l’exige de ses musiciens. À la fin d’une représentation, le sourire fendu jusqu’aux oreilles, les tutti prouvent hors de tout doute que leur principal interprète est parvenu à leur soutirer le maximum et le meilleur d’eux-mêmes.

Cet orchestre a présenté hier soir leur premier concert en sol étranger et voici l’introduction de la critique musicale de Mario Girard de La Presse avec un lien vers l’article entier. «On m’avait dit que le public de Dortmund, en Allemagne, du moins celui de la musique classique, était sage, limite ronfleur. Je ne sais pas si quelqu’un a mis de l’ecstasy dans les verres des 1500 spectateurs du Konzerthaus venus entendre hier soir l’Orchestre métropolitain de Montréal et Yannick Nézet-Séguin, mais ceux-ci ont offert un accueil délirant aux artistes montréalais.»

Ce genre d’effet ne représente plus une exception, mais plutôt la normalité dans la vie de cet ensemble musical. Partout où ils passent, l’orchestre et son maestro galvanisent et conquièrent les auditoires les uns après les autres. Certains soirs, on se croirait à un concert rock tellement la salle livre des applaudissements et des cris nourris. Pourtant, quand on pense à la moyenne des gens qui fréquentent ces salles, un public plutôt âgé et fort peu déplacé, il se passe quelque chose d’unique et surtout d’extrêmement talentueux.

Une erreur souvent faite par certains maestros est d’augmenter les tempi afin de plaire aux plus jeunes, incapables apparemment d’apprécier la lenteur des choses. J’en parle dans un autre article à paraitre très bientôt. Mais l’Orchestre Métropolitain se garde bien de succomber aux chants des sirènes. Alors, que font-ils pour réinventer l’interprétation des œuvres bien souvent pluricentenaires? Je parlerais de luminosité. Chaque instrument est exploité comme si son porteur était voué à accomplir une action héroïque. On a très, et trop souvent pensé que la musique symphonique devait générer l’équivalent d’un seul et vaste instrument polyphonique. Ce n’est pas totalement faux, mais pas nécessairement vrai. Chaque soliste dans l’orchestre exploite au mieux ses talents. On le sent surgir de l’ensemble pour livrer un moment de musique unique pour ensuite retourner produire la sonorité symphonique alors qu’un autre soliste prend sa relève avec le même désir de s’élever tout en étant transporté par ce flot continu de notes et d’accords. Le total de l’ensemble est plus grand que la somme des parties. On appelle cela de la synergie et en musique, cela devient la qualité d’une prestation symphonique basée sur des talents individuels au service de l’œuvre et Nézet-Séguin permet à tous ces talents de se cristalliser en un ensemble cohérent et scintillant.

Bien souvent, on parle des musiciens d’orchestre comme étant moins talentueux que les concertistes et qu’ils acceptent par dépit un poste au sein d’un orchestre. Les concertistes se vouent à une variété d’œuvres choisies alors que les musiciens d’orchestre se voient appelés à jouer une bien plus vaste sélection d’œuvres musicales. Les talents des deux types de musiciens sont différents, mais pas moins exigeants. Nézet-Séguin rend hommage à son orchestre à chaque spectacle, car le maestro ne serait rien sans lui. Cette marque de reconnaissance est totalement sincère et ses musiciens le ressentent et le lui rendent par des prestations exceptionnelles. Je suis totalement convaincu qu’aucun d’entre eux ne voudrait se voir actuellement concertiste, car la place qu’ils tiennent dans l’orchestre est vue et entendue comme étant non seulement importante, mais grandiose.

Photo: yannicknezetseguin.com

L’Orchestre Métropolitain (OM) part en tournée européenne.

L’Allemagne, les Pays-Bas et la France accueilleront l’Orchestre Métropolitain dans les prochains jours. Hier soir j’étais en salle, ici à Montréal, pour entendre presque l’intégralité des deux programmes qu’ils exécuteront au cours de leur tournée avec leur chef vedette, le Québécois Yannick Nézet-Séguin.

Ils partageront la scène avec différents solistes, dont la contralto Marie-Nicole Lemieux, une autre compatriote mondialement célèbre. Hier soir et durant la tournée, elle chante Les nuits d’été de Berlioz, six pièces qui exigent un registre étendu, mais également une grande variété d’émotions que la diva rend admirablement bien grâce à la puissance et aux subtilités tout en douceur de sa voix. Nézet-Séguin adapte parfaitement son orchestre aux couleurs de la soliste et l’ensemble est tout simplement admirable.

Le Concerto pour main gauche de Ravel exécuté par Alexandre Tharaud n’avait pas ce même fini. À plusieurs reprises, le concertiste a tapé du talon pour remplacer l’appui de sa main inutile et le chef a semblé surpris à quelques moments par la fougue et le tempo mal contrôlés du soliste qui, à l’évidence, n’en faisait qu’à sa tête. Malgré ces quelques ratés, l’œuvre ne manquait pas de caractère, mais requiert quelques ajustements qui, je l’espère, se feront avant la tournée.

Le concerto pour violoncelle no 1 de Saint-Saëns fut et sera interprété par le jeune Jean-Guihen Queyras. Cette fois, l’orchestre et le soliste étaient parfaitement à l’écoute l’un de l’autre. On a pu apprécier la tessiture de l’instrument bien contrôlé par Queyras. Si l’on peut reprocher à Tharaud d’y avoir mis trop de cœur et pas suffisamment de retenue, on peut dire l’inverse de la performance de Queyras. Un petit peu plus de vigueur n’aurait pas fait de tort. Toutefois, je préfère de loin une œuvre admirablement bien interprétée, même si elle manque un soupçon d’émotion, à l’inverse.

Une fois l’exécution des trois solistes terminée, l’orchestre s’est attaqué à La Mer de Debussy. Bon, je l’avoue, cette œuvre m’a toujours laissé plutôt froid, mais j’avais hâte de voir ce qu’en ferait Nézet-Séguin. Il réussit souvent à faire des miracles avec des œuvres dont une bonne lecture a semblé échapper aux autres chefs. L’interprétation sans faille de l’orchestre qui répond aux moindres subtilités exigées par Nézet-Séguin vaut la peine d’être entendue. Et comme toujours, les finales sont spectaculaires et rodées au quart de tour. Malgré cette impressionnante interprétation, l’œuvre demeurera malheureusement dans ma colonne des mal-aimées. Je ne ressens toujours pas, ou si peu, la fameuse mer dont il est censé être question. Debussy serait-il resté loin des flots, bien campé sur la terre ferme ? Je n’en serais pas étonné outre mesure puisque sa Mer semble terriblement manquer de consistance. Peu importe les qualités du chef et de son orchestre, il ne peut malheureusement pas réécrire l’œuvre.

Soulignons également l’usage du spectaculaire contrebasson là où les œuvres le demandaient.

Le rappel, par contre, les Variations Enigma d’Elgar valent le spectacle à elles seules malgré leur brièveté. C’est là que s’exprime tout le génie de Nézet-Séguin. On retient difficilement ses larmes devant la beauté de cette interprétation dosée intelligemment, avec une compréhension intime et absolue de son créateur et de son œuvre.

Je souhaite à l’Orchestre Métropolitain, à son chef Yannick Nézet-Séguin et aux concertistes le succès qu’ils méritent. Je mets ici le lien vers la programmation de leur tournée. Et si un jour vous avez l’opportunité d’aller à un concert de Nézet-Séguin et de son Orchestre Métropolitain, ne laissez surtout pas passer votre chance.