Origines oubliées de 5 mots (P à T)

Il existe trois précédents articles dans lesquels je donne l’étymologie de cinq mots commençant par A à E puis de F à J et ensuite de K à O. Je poursuis maintenant cette liste en vous proposant cinq autres mots communs dont chacun commence par l’une des cinq lettres P à T.

Aurora

Il est étonnant de se rendre compte que bien des mots très usités et parfaitement clairs ont des origines obscures ou étranges, des sens autrefois bien différents de ceux qui ornent maintenant nos phrases. Une langue vivante comme le français évolue se transforme, dévie et foisonne, multiplie les sens et les définitions alors que d’autres s’éteignent dans l’oubli le plus total.

Lorsque j’écris la définition moderne d’un mot, j’utilise celle communément comprise aujourd’hui, la plus courante, peu importe les autres formes ou sens possibles pour un même mot. Je ne prétends pas qu’il n’existe que cette seule définition toujours en usage.

Voici donc ces cinq prochains mots accompagnés de quelques remarques personnelles.

P : piaffer (verbe intransitif)

Définition moderne : Se dit d’un cheval qui, sans avancer, frappe la terre en levant et en abaissant alternativement chacun des pieds de devant (et de derrière). Frapper le sol des pieds de devant. Piétiner.

Étymologie : Ses origines sont incertaines, peut-être est-ce une onomatopée. Cependant son sens original n’a rien à voir avec un cheval. Au début du XIIe siècle, « piaffer » au participe passé était utilisé pour décrire une façon de parler. Ainsi, « des paroles piaffées » signifiait autrefois « faire de l’embarras » ou « se donner de grands airs », « fanfaronner ».

Commentaire : Ce sens originel a été perdu sinon il est devenu extrêmement rare. Aujourd’hui, le sens figuré issu du sens propre moderne prédomine. Les expressions consacrées « piaffer d’impatience » et « piaffer à la porte » imagent bien ces deux actions, l’une étant de « ne plus tenir en place », de «taper du pied » et l’autre de « cogner avec insistance et fougue ».

Noter que cette impatience maintenant devenue la marque indélébile du verbe « piaffer » dans son sens figuré n’est pas présente dans les gestes d’un cheval qui piaffe, qui effectue un piaffer, nom tiré du verbe. Le fait que ce mouvement soit saccadé a donné l’idée, l’impression, d’une impatience. Quant au sens initial, il ne montre pas vraiment d’impatience, on comprend plutôt « placer quelqu’un dans une position délicate ou confuse, » « le déconcerter » ou « faire l’important ».

Q : querelle (nom féminin)

Définition moderne : Contestation, différend dispute, opposition vive et passionnée pouvant entraîner un échange d’actes ou de paroles hostiles.

Étymologie : Au XIIe et XIIIe siècle, la querelle avait un sens bien plus concret. Il s’agissait d’un procès, d’une plainte en justice. Une querelle était une plainte auprès des autorités ou par extension, les intérêts de quelqu’un dans un litige. On utilisait « quereller », la forme non pronominale du verbe.

Commentaire : Dans le sens actuel, aujourd’hui, personne ne va au tribunal ou devant une autorité quelconque pour se « quereller », mais pour présenter ses arguments et ses évidences. La querelle précède la demande de trancher le litige par un tiers.

En amour, les querelles sont fréquentes lorsque des conflits éclatent dans un couple. Elles se résument la plupart du temps à des joutes verbales, un désaccord, une divergence, une dispute, une polémique, une controverse, une scène. Entre des enfants, la querelle prend souvent un tournant physiquement violent sous forme d’altercation, d’empoignade, de bagarre.

R : robinet (nom masculin)

Définition moderne : Appareil placé sur un tuyau de canalisation et que l’on peut ouvrir et fermer pour régler le passage d’un fluide. Une valve.

Étymologie : 1285, figure ornant un instrument à cordes. 1401, Robin, robinet, nom donné au moyen âge au mouton, les premiers robinets étant souvent ornés d’une tête de mouton. Ou était-ce la forme du robinet qui ressemblait à celle d’une tête de mouton ? Les sources ne sont pas très précises et sont discordantes à ce sujet.

Commentaire : Au sens figuré, un robinet représente ce qui retient ou laisse passer un flux quelconque. De l’argent, des paroles, des idées, des mots, « c’est un vrai robinet » pour parler d’un bavard.

Et bien sûr, le robinet d’un jeune garçon se situe entre ses deux jambes. Il est l’un parmi de nombreux mots utilisés pour désigner un jeune ou un petit pénis.

Il existe un joueur français de football américain qui se nomme « Robin Mouton ». En ancien français, il se nommerait « Mouton Mouton », rien pour effrayer l’adversaire !

S : sage (adjectif et nom masculin)

Définition moderne : D’une manière habituelle, qui fait preuve d’un jugement sûr, de bon sens, qui est avisé, sensé, prudent dans sa conduite.

Étymologie : Origines incertaines. 1050, savie. Peut-être du latin populaire sabius ou sapius (sapiens) qui désigne une personne intelligente et raisonnable. Il pourrait aussi provenir du latin sapidus signifiant « qui a du goût » « de bon goût ». Au XVIe siècle nait l’idée d’un mode de vie éloigné des divertissements vulgaires. Dans les premiers écrits, le mot sage définissait une personne savante, érudite, mais aussi une personne de bon conseil. À cette époque éloignée, la connaissance semblait faire de pair avec la sagesse.

Commentaire : Il existe d’autres sens populaires au mot sage. On n’a qu’à penser à « sois sage » lorsqu’on s’adresse à un enfant, être « sage comme une image ». On le veut calme, qu’il cesse de grouiller. Le nom « sage » est ensuite repris au XXe siècle pour désigner des conseillers expérimentés, souvent institutionnels, « comité des sages », « conseil des sages », etc.

T : tuer (verbe transitif)

Définition moderne : Faire mourir quelqu’un de mort violente. Causer volontairement la mort de quelqu’un d’une façon rapide et directe.

Étymologie : Étrangement, ce mot aujourd’hui d’une parfaite clarté a des origines incertaines et son sens a divergé. À partir de 1130 jusqu’au XVIIe siècle, il signifiait « éteindre », tirant peut-être cette définition du latin tutare « éteindre » comme dans tutare candelam « tuer la chandelle », l’éteindre. Dès 1150, le sens « abattre » est pourtant aussi présent. En ancien français. « tuer » signifie d’abord « frapper », « battre » « assommer », comme le latin tundo. À ce moment, la mort semblait donc absente des intentions, seulement une conséquence possible d’actes violents. Maintenant, tuer ne laisse aucun doute sur le résultat final attendu. La mort est toujours au rendez-vous.

Commentaire : Je me souviens étant jeune, « tuer le feu » était une expression courante pour éteindre le feu de camp avant d’aller dormir. À l’époque, je croyais simplement à une métaphore, je ne la reliais pas à cette antique définition. Le verbe « tuer » est amplement utilisé, tant dans son sens propre que dans son sens figuré. Je pense à « tuer le temps ». S’il existe quelque chose qu’on ne pourra jamais tuer, c’est bien le temps ! En revanche, lui, il tue facilement. D’ailleurs, il tuera tout le monde. Tuer le temps pour l’empêcher d’avoir une emprise sur soi, c’est patienter en s’occupant à faire autre chose. Mais on ne pourra jamais le tuer, ni l’assommer, ni l’éteindre.

Pour conclure : 

Suis-je encore sage si je piaffe à l’idée de tuer cette querelle dans l’œuf, celle m’opposant à ce robinet à paroles ?

P pour placide

Ça faisait longtemps que je n’avais pas poursuivi ma série de mots commençant par une lettre précise. Voici des liens vers les mots commençant par les lettres D, Y et C.

Je répète mes règles, je propose mes propres définitions, mes propres sens, pas nécessairement ceux des dictionnaires. Évidemment, ils se rapprochent ou sont semblables, mais j’apporte à l’occasion des nuances d’usager francophone d’Amérique, des inflexions personnelles parfois subtiles que j’utilise dans mes écrits.

Le mot d’aujourd’hui : placide.

28378f1f2ac0125684d69907a96ea29e

Je l’ai choisi parce que je trouve que sa prononciation laisse déjà sous-entendre son sens. Malgré ses dernières lettres, rien n’est rapide dans le mot placide. Il reste en place. Pourtant, son étymologie ne le relie pas à ce mot, mais à deux autres racines latines encore plus évocatrices : « plaire » et « paix ».

Lorsque « placide » s’adresse à une personne, celle-ci prend des airs flegmatiques, imperturbables sans qu’elle soit bonasse ou attentiste. On pense à un individu patient, compréhensif, un professeur, un éducateur. Même si le dictionnaire parle de candeur, je vois plutôt de la tolérance.

fjord-saguenay-1-g-1.jpg

Un paysage placide baigne dans le calme, la sérénité, il est majestueux et nous montre ses plus beaux attraits. C’est une oasis, un refuge pour se refaire des forces, retrouver sa santé et son moral.

Placide est lié au mot paix et celle-ci ne s’obtient jamais sans compromis. Ainsi, être placide exige de la compromission, de l’accommodation. C’est la raison pour laquelle je l’éloigne de tout sens comportant de la naïveté.

Bien sûr, pour tous les va-t-en-guerre, la paix passant par les compromis est un concept inadmissible. Pour eux, ce comportement doit être associé à de la candeur, de l’ingénuité, de la fraicheur et de la simplicité (d’esprit). Voilà pour moi dans quel contexte certains utilisent le mot placide comme étant une faiblesse.

HD-Wallpapers-Nature-1080p-28.jpg

Évidemment, ma position s’avère tout autre. Je considère la placidité comme une force utilisée à bon escient, elle s’apparente à de l’indulgence. Elle exige de comprendre les autres sans nécessairement les approuver ni les encourager. Sa puissance est puisée dans l’expérience et dans une compréhension multifacettes des humains.

La placidité est réservée aux sages et puisque j’avance en âge, cet objectif m’interpelle de plus en plus. Ma fougue se transformera-t-elle un jour en placidité ? Deviendrai-je un sage placide ?

Et vous ?

reve-vieux-sage.jpg