Maudite mégère de mer…le

Cette histoire n’est pas un conte. C’est un vendredi après-midi, je tente de relaxer au camping alors qu’il fait froid, humide, venteux et qu’il pleut. Bref, un temps idéal pour les canards, moins pour les humains. Comme à mon habitude, je commence à écrire quelques lignes sans trop penser au mauvais temps. La nature a besoin de pluie, je lui dois ma respectueuse placidité.

La pluie incite les vers de terre à sortir du sol, le temps idéal pour les merles de faire leur épicerie. J’aperçois un mâle juché sur un poteau de clôture. Il fait le beau, l’important, avec sa gorge bien colorée puisque nous sommes à la pariade. Il chante sans trop s’égosiller, je le soupçonne de vouloir attirer une compagne.

Et voilà justement une femelle qui atterrit sur la pelouse pas très loin du mâle. Elle est beaucoup moins flamboyante que lui, je la trouve même terne et hirsute. Le mâle quitte son juchoir pour aller se poser pas très loin d’elle. J’anticipe un début de cour, mais je me trompe. Je conclus très vite qu’ils forment déjà un couple et voici mes raisons de le penser.

La femelle ne fouille pas le sol, elle se contente « d’invectiver » le mâle sans discontinuer. Celui-ci n’y porte pas trop attention. Il se contente d’observer les alentours sans trop de conviction. Sa mission de découvrir de juteux lombrics semble plombée par les cris enroués de sa compagne.

Je me questionne. Comment un aussi joli jeune mâle s’est-il uni à cette espèce de mégère apparemment sur son retour d’âge ? Comme pour me conforter dans mon analyse, le mâle reprend sa position au sommet du poteau, il chante en dansant, probablement pour attirer une autre femelle sans partenaire. Malheureusement pour lui, aucune autre candidate ne pointe le bout de son bec. Tournée vers lui, la femelle au sol intensifie ses vociférations. Elle n’accepte pas du tout cette démonstration de masculinité.

Dépité, l’oiseau retourne au sol sans conviction. Sa détestable compagne s’en rapproche bourrée de reproches. La patience du mâle a-t-elle atteint sa limite ? L’élastique de la mienne est déjà bien étiré. À sa place, je l’aurais subitement planté là en m’envolant très loin d’elle pour ne plus y retourner.

C’est à ce moment précis que le mâle a un comportement que je n’aurais jamais imaginé. Avec le bout de son bec jaune vif, il lui donne quelques petits coups sur le sommet du crâne. Rien de violent, rien de bien méchant, juste une sorte de subtil signal qu’il en a plein le gésier et qu’elle ferait mieux de cesser ses récriminations.

Le message semble avoir été partiellement compris. La chipie espace ses cris par de longs silences sans toutefois y mettre définitivement un terme. Le mâle retourne se pavaner en hauteur au vu et au su de sa femelle. Sa fidélité ne lui est sûrement pas acquise. Il regrette certainement sa faiblesse d’avoir choisi cette détestable compagne.

Par la suite, je n’ai plus revu ce ménage bizarrement apparié. Le désagréable comportement de la femelle était-il dû à un état de santé dégradé comme ses plumes pouvaient le laisser supposer ? Le mâle s’était-il donné le mandat de rester avec elle à cause de son état fragile ?

Je n’ai pu faire autrement que de dresser un parallèle avec des couples d’humains. Je ne peux pas croire que les oiseaux et tous les animaux n’ont aucun sentiment comparable aux nôtres. Observer leurs comportements fournit la preuve du contraire.

Ici, l’indulgence et la patience du mâle étaient évidentes, et ce malgré ses désirs manifestes de copuler avec une pimpante jeunesse. À l’opposé, l’âge ou l’état de santé de la femelle semblaient causer ce comportement exaspérant. Je n’ai plus jamais constaté pareils agissements chez aucun autre couple d’oiseaux.

Voilà comment une journée des plus moche m’a procuré un éblouissant souvenir. Alors plutôt que de maugréer des insultes au temps, donnez-lui l’occasion de manifester des beautés inattendues. Car de la pluie naissent les plus jolies fleurs, pourvu que vous preniez le temps de les observer sereinement.

Allez, Terre, dis-le-moi !

Il existe quelques endroits au monde qui se partagent, s’échangent, se disputent le titre du plus vieux terrain de la Terre.

On a tout d’abord un craton en Afrique du Sud, l’Australie défend aussi chèrement sa vieillesse, tout comme le Groenland qui détenait la palme jusqu’à tout dernièrement avec un prélèvement âgé de 3,8 milliards d’années. Mais récemment, des géologues québécois ont rendu les trois autres pays jaloux.

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Je me souviens lorsque j’étais plus jeune et je croisais ce genre de rochers qui me semblaient bien étranges avec leurs veines ou taches blanchâtres circulant au travers d’une gangue d’un gris neutre, terne, triste, patiné. Instinctivement, je semblais déjà comprendre que cette roche était très vieille. Elle ne possédait à peu près aucun attrait, semblait fatiguée d’exister, elle avait cédé ses trésors primordiaux pour ne garder que l’ennui. Par contre, ce substrat paraissait extrêmement solide, dur, dense, inaltérable, et pourquoi pas éternel !

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Des prélèvements effectués au Nunavik dans le nord du Québec ont révélé un âge jamais atteint par aucun autre caillou sur Terre. Il serait âgé de 4,2 milliards, voire 4,3 milliards d’années alors que l’âge de la planète est estimé à 4,54 milliards d’années. C’est dire comment ces roches furent parmi les premières à apparaitre à la surface et à n’avoir jamais été recyclées ou totalement érodées.

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J’en ai parlé dans d’autres articles, au Québec le sol fait presque totalement partie du Bouclier canadien, une vaste étendue de roc solidaire issu du magma remonté près de la surface puis solidifié par lent refroidissement. C’est essentiellement du granit, une roche plutonique, c’est-à-dire qu’il ne s’est jamais produit d’effusion de lave. Le refroidissement du magma s’est effectué en profondeur, gardant ainsi une forme cristalline à plus haute densité.

Une datation précise et comparative avec les autres sites ailleurs dans le monde reste difficile. Dans le cas des roches du Nunavik, on y est allé avec la désintégration du samarium 146 aujourd’hui entièrement transformé en néodyme 142, un isotope stable.

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Cette découverte confirme quelques hypothèses comme l’âge de la Terre ou une autre suggérant qu’elle était à ses débuts une immense boule en fusion, que les continents ont émergé du magma bien plus tôt qu’imaginé autrefois et que des croûtes toujours visibles ont résisté à toutes les conditions ayant mené à la disparition des autres continents. On peut donc étudier la composition chimique de ces roches maintes fois milliardaires afin de mieux comprendre les origines de la formation de notre globe et les mécanismes naturels qui l’ont alors façonné.

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Étrange qu’un si jeune pays soit si vieux et qu’émergeant tout récemment de la dernière période glaciaire, il laisse maintenant apparaitre son âge vénérable. Nous, habitants de ce lieu, sommes-nous influencés par le sol sous nos pieds ? Percevons-nous sa solidité à toute épreuve ? Nous inspire-t-il son calme, son assurance, sa patience ? J’aimerais croire qu’il en soit ainsi, que nous, humains vivant à sa surface, devenons plus solides et plus sages à son contact. Une force tranquille que rien ne peut faire disparaitre. Une assise maintes fois éprouvée, mais toujours bien ancrée. Est-il possible qu’on devienne de meilleurs humains si l’on vit sur un meilleur sol ? Nous imprègne-t-il de ses qualités intrinsèques ?

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Le meilleur moyen de le savoir serait de lui poser la question. Il est probablement dur… d’oreille, mais je suis certain qu’il pourrait me répondre… à sa façon. Un rare petit séisme de faible amplitude pourrait constituer une bonne façon de me le confirmer.

Allez, Terre, dis-le-moi !

P pour placide

Ça faisait longtemps que je n’avais pas poursuivi ma série de mots commençant par une lettre précise. Voici des liens vers les mots commençant par les lettres D, Y et C.

Je répète mes règles, je propose mes propres définitions, mes propres sens, pas nécessairement ceux des dictionnaires. Évidemment, ils se rapprochent ou sont semblables, mais j’apporte à l’occasion des nuances d’usager francophone d’Amérique, des inflexions personnelles parfois subtiles que j’utilise dans mes écrits.

Le mot d’aujourd’hui : placide.

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Je l’ai choisi parce que je trouve que sa prononciation laisse déjà sous-entendre son sens. Malgré ses dernières lettres, rien n’est rapide dans le mot placide. Il reste en place. Pourtant, son étymologie ne le relie pas à ce mot, mais à deux autres racines latines encore plus évocatrices : « plaire » et « paix ».

Lorsque « placide » s’adresse à une personne, celle-ci prend des airs flegmatiques, imperturbables sans qu’elle soit bonasse ou attentiste. On pense à un individu patient, compréhensif, un professeur, un éducateur. Même si le dictionnaire parle de candeur, je vois plutôt de la tolérance.

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Un paysage placide baigne dans le calme, la sérénité, il est majestueux et nous montre ses plus beaux attraits. C’est une oasis, un refuge pour se refaire des forces, retrouver sa santé et son moral.

Placide est lié au mot paix et celle-ci ne s’obtient jamais sans compromis. Ainsi, être placide exige de la compromission, de l’accommodation. C’est la raison pour laquelle je l’éloigne de tout sens comportant de la naïveté.

Bien sûr, pour tous les va-t-en-guerre, la paix passant par les compromis est un concept inadmissible. Pour eux, ce comportement doit être associé à de la candeur, de l’ingénuité, de la fraicheur et de la simplicité (d’esprit). Voilà pour moi dans quel contexte certains utilisent le mot placide comme étant une faiblesse.

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Évidemment, ma position s’avère tout autre. Je considère la placidité comme une force utilisée à bon escient, elle s’apparente à de l’indulgence. Elle exige de comprendre les autres sans nécessairement les approuver ni les encourager. Sa puissance est puisée dans l’expérience et dans une compréhension multifacettes des humains.

La placidité est réservée aux sages et puisque j’avance en âge, cet objectif m’interpelle de plus en plus. Ma fougue se transformera-t-elle un jour en placidité ? Deviendrai-je un sage placide ?

Et vous ?

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