Je reviens de mon pèlerinage annuel au SLM (Salon du livre de Montréal). Première constatation, avant même d’avoir atteint la salle d’exposition principale, la salle au palier inférieur antérieurement dédiée aux livres pour enfants a fait place à une garderie. Immédiatement, je m’interroge et je me réponds du même élan. Les livres pour enfants partageront la salle principale avec la littérature adulte.
Non, c’est plus qu’un partage, c’est une invasion hégémonique. La salle principale est devenue une immense arène où les enfants courent partout. Afin de mieux refléter le changement, le Salon du livre de Montréal pourrait changer son nom pour le « Salon du livre pour enfants de Montréal ».
Il n’existe plus aucune rangée où les bds, les livres-jouets, les livres de donjons et dragons, de magiciens, de licornes et autres personnages jeunesse sont absents.
D’un côté, je suis heureux de l’intérêt porté aux livres par ce jeune public. D’autre part, où puis-je maintenant flâner et bouquiner sans me faire bousculer toutes les trois secondes ? Le Salon du livre et peut-être le livre en général se rajeunissent. En retranchant la place autrefois occupée par la littérature adulte, que peut-on apprendre sur l’avenir du livre littéraire ?
Les livres au contenu essentiellement textuel s’achètent maintenant sur le web et disparaitront peut-être totalement des salons axés sur le visuel. Comme partout ailleurs, l’image a remplacé le mot et tue progressivement son mode de diffusion autrefois de prédilection, le simple livre. Pour les adultes, subsistent maintenant des livres de cuisine et autres livres pratiques aux belles photos alléchantes, des livres humoristiques, des biographies illustrées de vedettes populaires ou des autobiographies accompagnées d’une panoplie de photos croustillantes, voilà maintenant l’essentiel du contenu du Salon. Soit un salon pour enfants, soit un salon présentant du divertissement aisé, des piles et des rayons d’incultures, de la malbouffe intellectuelle, à l’instar de ce qu’on retrouve dans le mainstream du web, le livre semble avoir pris le même tournant menant vers les niveaux inférieurs.
Doit-on s’en inquiéter ou s’en foutre ? Dans la vie, tout évolue. La culture littéraire ne fait plus simplement perdre du terrain au profit de l’image, elle se fait littéralement anéantir par celle-ci. Est-ce un changement de paradigme ? Nos communications deviendront-elles exclusivement imagées ? On peut y voir plusieurs avantages dont l’éclatement de la barrière des langues, l’assimilation bien plus rapide d’une nouvelle connaissance par une présentation massivement parallèle plutôt que sérielle comme dans les chaines de mots où l’on doit les lire en suivant la séquence prédéfinie, un à la fois et les uns après les autres.
Par contre, les présentations sérielles sous forme de textes resteront toujours plus précises que les images. Les textes ne mourront pas, mais je sens que les images les remplaceront partout où cela s’avérera possible. Les textes deviendront des éléments d’accompagnement, comme lors des expositions d’œuvres picturales et sculpturales où des petits cartons nous donnent des informations précises ne devant subir aucun processus d’interprétation.
Les mots seront condamnés à véhiculer du savoir dur et ce sera la fin de la littérature… jusqu’à ce que des doctorants d’un futur lointain étudient notre époque et découvrent toute la richesse que nous pouvions véhiculer avec des chaines de mots. Ils seront subjugués par l’étonnant pouvoir que nous savions donner à ces chaines de caractères, et ce sans l’aide d’images. Ils publieront leurs découvertes et supputeront que nous pouvions voir des images uniquement grâce aux mots.
La plupart des gens ne les croiront pas, pensant qu’ils déraillent, qu’ils inventent n’importe quoi et les traiteront d’illuminés. « Tout le monde sait depuis toujours que les mots ne peuvent pas servir à remplacer des images ! » Depuis leur plus tendre enfance, et ce depuis des siècles, ils auront appris que seule une image peut remplacer une autre image, les mots ne servant qu’à la partie technique.
Mais des études plus approfondies prouveront ces assertions. Les gens riront de l’inefficacité crasse de ce mode d’acquisition archaïque où l’on assimilait un seul mot, une seule information à la fois. Certains tenteront de faire revivre cet art perdu et caractérisé par sa lenteur en faisant l’éloge de son étonnante capacité à créer du contenu visuel à partir d’une description mot à mot.
La littérature retrouvera un semblant de place parmi les autres arts. Toutefois, elle aura perdu son tranchant et une grande partie de son pouvoir d’intéresser les masses, un art archaïque.