Le musher

« Musher » se prononce à l’anglaise : mocheur [mɔʃœʀ], il désigne le conducteur d’un traineau à chiens. Cet article vous aidera à mieux reconnaitre les principaux types de meneurs dans une équipe et à mieux comprendre leurs différences et leurs rôles grâce à l’analogie avec un attelage de traineau à chiens.

J’ai longtemps été directeur d’une base de plein air. L’hiver, les clients pratiquaient le ski alpin, le ski de fond, le télémark, la raquette ou le patin. Certains, plus téméraires ou plus inconscients, allaient jusqu’à tenter l’expérience de la planche à voile sur glace.

Un hiver, j’avais embauché un animateur bien particulier, un musher, et bien entendu avec ses chiens qui étaient, eux, payés en croquettes de poulet. Son traineau faisait la joie de notre clientèle férue d’exotisme innu. Son travail était très exigeant, car entretenir, préparer et entrainer un attelage complet lui prenait tout son temps. On a souvent tendance à idéaliser certains métiers et celui de musher tombe dans cette catégorie. Il ne suffit pas d’aimer les chiens, d’en réunir une flopée et de les atteler au hasard pour obtenir une meute efficace capable de suivre les instructions prononcées par un humain se tenant derrière elle. Et oubliez le fouet qui ne servait autrefois qu’à générer un claquement supersonique, et surtout pas à flageller les tire-au-flanc.

Notre musher était constamment à la recherche de bons chiens qu’il cherchait à obtenir sans se ruiner, quitte à les entrainer plus longtemps. Il m’expliquait qu’un bon traineau est composé de bêtes au caractère et aux qualités bien différentes. De plus, le choix de la position de chacun dans l’attelage s’avère critique. Le gros de l’attelage sans compétence spécifique est placé au centre de l’attelage. Leur position exacte dépend des interactions entre eux. Jeunes avec vieux pour l’expérience et l’émulation, mâles avec femelles pour le désir de plaire, tout amalgame menant à augmenter leur capacité à tirer plus fort et plus longtemps était pris en compte.

Les plus costauds (swing dogs) sont installés plus près de traineau alors que les plus intelligents (team dogs) sont attelés juste derrière le chien leader. Ce dernier est toujours en tête de l’attelage. Ce chien ne fait pas partie des plus forts, bien au contraire. Sa principale qualité est de bien comprendre et d’obéir aux ordres du musher. Il est également le plus rapide afin de toujours rester devant les autres. Son intelligence ne mettra pas en danger l’attelage advenant un ordre pouvant compromettre la sécurité du traineau puisqu’il sait que le musher ne peut pas toujours tout voir. Le rôle crucial du leader fait généralement de lui le chien le plus dispendieux d’un bon attelage.

Au plus près du traineau sont attelés les chiens (wheel dogs) possédant la puissance brute. Grâce à leur grande énergie, ce sont eux qui parviennent à mettre le traineau en mouvement et à franchir les obstacles difficiles. Toutefois ces actions s’avèrent rapidement très épuisantes. C’est pourquoi, une fois en déplacement, le traineau doit poursuivre sa glisse sans s’arrêter, ce rôle étant dédié aux chiens du milieu. Ainsi, tous les animaux travaillent à maintenir l’allure en relayant leurs efforts selon les aléas du terrain pour garder le rythme sans mourir à la tâche.

Parmi les wheel dogs, une place bien particulière est réservée au chien dominant tous les autres, généralement le plus puissant et expérimenté, mais cela dépend surtout de son caractère. Situé au plus près du traineau, il observe et note le comportement de tous les autres chiens et si l’un d’eux ne s’avère pas à la hauteur de ses attentes, il règlera la situation lorsque le musher les détellera.

Un parallèle évident se trace entre un attelage de chiens et un groupe de travail efficace d’humains. Et il est crucial de comprendre une toute première distinction qu’ont entre eux le leader et le dominant. Si mener et diriger le groupe est laissé au leader, alors contrôler et maintenir ou rétablir une situation est la prérogative du dominant.

Le dominant, qualifié de chef de meute, parle peu et agit le moins souvent possible, mais il voit tout ce qui se passe et chaque intervention de sa part s’avère sans appel. Par sa grande expérience et son indicible influence, il amorce le travail et ensuite il comble les passages à vide. Il décerne les compliments tout autant que les mauvaises notes. On ne lui tient pas tête bien longtemps et même le leader se soumet à lui. Chacune de ses interventions en est une qui aurait pu être évitée.

Le leader, lui, sait garder le cap. Il reste fidèle aux ordres du directeur. Il réagit adéquatement si des obstacles se dressent devant l’équipe. Il peut les contourner sans oublier la mission première. Le reste de l’équipe le suit par convention et nécessité plutôt que par la crainte qu’il ne dégage pas. On se fie cependant à son jugement, et plus encore si un deuxième leader lui vient en appui, le soutient et le remplace parfois. Il évalue l’ensemble de l’effort fourni, mais sa place en tête de convoi atrophie grandement ses capacités à jauger le travail individuel des autres membres de l’équipe, et ce contrairement au chef de meute. Il fournit rarement la même énergie brute que le reste de l’attelage, sauf en de rares occasions.

On peut facilement s’apercevoir de l’avantage d’un travail d’équipe lorsque celle-ci est équilibrée. Dans une grande équipe, on ne saurait se passer d’au moins un leader, d’au moins un dominant et d’une bonne quantité de wheel, de swing et de team judicieusement agglomérés pour former des duos, des trios, des quatuors et plus, dont leur efficacité sera basée sur l’émulation, la bonne entente et même l’attirance.

Comme dirigeant, apprenez à composer de bonnes équipes et à distribuer les différents rôles aux bons individus. Comme dans les sports d’équipe, osez modifier vos combinaisons au fil des événements afin de trouver le meilleur amalgame du moment.

Comme équipier, sachez trouver votre place naturelle au sein de vos groupes de travail. Apprenez à acquérir graduellement de l’expérience. Apprenez à discerner les rôles officiels ou officieux des autres membres et à interagir en conséquence.

Si vous devenez le leader, ne vous méprenez pas sur ce rôle en vous croyant en droit d’imposer vos propres vues et idées aux autres. Ne cherchez pas à dénigrer le travail d’autrui même si leurs efforts apparents (ou même réels) semblent disproportionnés.

Une bonne équipe ne sera jamais formée d’individus aux qualités semblables. Ça prend de bons leaders et chefs de meute, mais il faut d’autres membres qui se contenteront des rôles un peu plus effacés, moins prestigieux, mais tout aussi importants pour obtenir un résultat d’ensemble correspondant aux attentes d’un musher (celui qui dicte les objectifs).

Dans les petites équipes de deux, trois ou quatre individus, il est crucial de définir ceux qui joueront le rôle de leader et de chef de meute. Ça évite à coup sûr des conflits si personne n’essaye de s’arroger tous les pouvoirs ou ceux qu’ils ne peuvent adéquatement les assumer.

Analysez les projets qui auraient dû réussir et qui échouent. Vérifiez la composition de leurs équipes et bien souvent vous tomberez sur la cause intrinsèque. Une équipe ayant trop ou trop peu de vrais chefs (leaders et chefs de meutes), une équipe trop peu polyvalente, une équipe grevée de conflits irrésolus et permanents, une équipe qui n’apprécie pas suffisamment le travail collectif composé de différents types d’efforts survenus à des moments distincts et effectués par divers individus.

Lors de la composition d’une équipe, énumérez les qualités primaire et secondaire de chaque individu afin de leur donner leur rôle principal, mais aussi un rôle auxiliaire. Leader, chef de meute, wheel, swing ou team, lorsqu’on maitrise l’art de bien comprendre ces rôles, on accroit fortement les chances de succès d’une équipe.

Soyez ce genre de musher qui sait estimer les distinctions individuelles afin de mener vos projets à la réussite qui ne saurait survenir en composant des équipes à votre unique image. Il suffit de bien se faire comprendre des leaders et le collectif suivra naturellement. Dans le cas contraire, laissez quelqu’un d’autre y veiller, car sachez-le, un musher ne s’arroge jamais le rôle de chef de meute puisque celui-ci doit faire partie intégrante des membres de l’équipe de travail.

Un dirigeant (musher) qui s’inscrit en tant que leader ou chef de meute commet deux erreurs. Conformément à ses pouvoirs intrinsèques, aux yeux des autres, il ne sera jamais un équipier égalitaire et s’il le devient, il ne pourra plus correctement effectuer son travail de dirigeant.

Pour ceux qui ont tout lu cet article, si aujourd’hui vous n’aviez qu’un seul rôle d’équipier à jouer à la perfection (humainement parlant), lequel vous conviendrait vraiment ? Musher, leader, chef de meute, wheel, swing ou team ?

Le contrôle de la qualité

Dernièrement, je vantais les exploits du rover martien Opportunity pour son extraordinaire périple sur le sol de notre voisine. Quinze ans de bons et loyaux services dans des conditions très difficiles puisque sa seule source d’énergie reposait sur quelques panneaux solaires régulièrement empoussiérés par le régolite de la planète, ou rendus inutilisables durant les hivers martiens.

Le robot a profité d’un design particulièrement fiable, mais peu de gens savent que les mérites de cette endurance reviennent également à l’équipe du contrôle de la qualité.

Durant la phase de conception, il existe une équipe spécialisée en doutes, en procédures, en listes de contrôle, en tatillonneries, en manque de confiance, bref, des Thomas de la pire espèce.

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Impossible de négocier avec eux, ils sont intraitables. Ce qui est demandé doit être fait et ce qui est fait doit être conforme à ce qui est demandé. Mais ça va plus loin. Ce qui n’est pas demandé est aussi analysé, testé et commenté. Ce sont des émules de Murphy. Tout ce qui risque de mal tourner finira par survenir. Alors, aussi bien tout prévoir, même l’imprévisible.

Et voilà une des raisons principales pour laquelle le rover et son frère ont dépassé toutes les attentes. Pour eux, prendre les ingénieurs, les techniciens, les analystes, les programmeurs en défaut fait partie du quotidien. Ils sont là pour tout voir, même l’invisible, surtout l’invisible.

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On peut bien faire les choses, c’est lorsqu’on se conforme à ce qui est demandé. On peut faire les bonnes choses, c’est lorsqu’on atteint le but exigé. Et lorsqu’on réalise parfaitement les bonnes choses, on a des chances de se retrouver avec un projet qui réussit au-delà des espérances.

Dans le terme «contrôle de la qualité», on trouve le mot qualité, mais également le mot «contrôle». Ce premier mot ne doit souffrir d’aucun complexe face au second. Pour obtenir un produit de qualité, il est impératif de la contrôler, mais il est tout aussi important d’être en contrôle du processus visant à évaluer sa qualité.Contrôler-arrêt-de-travail-798x510

Contrôler la qualité de quelque chose, il faut tout d’abord être en contrôle de son processus. Le mot contrôle fait foi de tout.

Pour ce faire, il existe des règles. On les appelle les «meilleures méthodes» ou les «meilleures pratiques» et dépendant du domaine dans lequel on évolue, on les adapte. Meilleures pratiques de laboratoire, de fabrication, de gestion, de codage, etc.

Les meilleures pratiques sont exigeantes, elles ne donnent aucun répit à ceux qui doivent s’y plier. Tout est documenté, expliqué, validé selon des techniques qui prévoient toutes les éventualités et qui donnent les actions à prendre pour chaque situation rencontrée. Rien n’est laissé au hasard ou à l’interprétation personnelle. C’est ainsi qu’on bâtit des produits qui dépassent les expectatives.

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Au bout du compte, utiliser les meilleures pratiques ne coûte pas vraiment plus cher, car elles évitent de pelleter les problèmes par devant, de les balayer sous le tapis, d’oublier des choses, de remettre aux calendes grecques, de s’empêtrer dans les fils, de tourner les coins ronds, d’inventer des portes de sortie, de se fier à des paroles, de perdre la trace, de croire plutôt que de prouver, de faire confiance, de rater une éventualité, de se croire plus fin que le hasard, de penser que certaines probabilités sont trop faibles pour survenir, de penser qu’aucune personne ne serait assez folle pour faire une telle chose, etc.

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Oui, les spécialistes en CQ rapportent à la maison un peu beaucoup de cette rigueur parfois qualifiée de maladive par ceux qui ne connaissent pas cette profession. Alors, avant d’emménager avec une telle personne, soyez avertis, car ce n’est pas toujours de tout repos!

Sincérité du questionnement

Quand on pose une question à une personne qu’on connait ou même à un étranger, on doit pouvoir accepter n’importe quelle réponse. Malheureusement, le désir inhérent des humains de tout contrôler pervertit cette supposée liberté donnée à l’autre de disposer de sa réponse, et ce malgré l’apparente ouverture de l’interrogation.

Poser une question n’est souvent qu’une façon de suggérer la réponse voulant être entendue, celle considérée comme représentant la meilleure, la plus pertinente, la plus sage. Remarquez comment certaines personnes s’empressent d’escamoter la réponse qui leur est offerte en coupant la parole de leur interlocuteur pour leur faire part de leur propre opinion sur le sujet discuté.

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Malheureusement, plusieurs croient détenir une solution pour chaque problème comme si chacun d’eux s’était construit dans la simplicité tout en ne possédant aucune variable, ou une seule. Leur question ne sert qu’à camoufler leur intention de contrôler l’argumentation dans l’inexorable direction privilégiée. Toute bifurcation les rendra mal à l’aise puisque leur raisonnement n’est resté que superficiel, sans nuances, absolutiste.

En tant qu’individus interagissant avec d’autres, nous devons nous abstenir de poser des questions dans le but de transmettre notre propre réponse. Questionner une personne n’exige pas d’en posséder une toute prête à lui fournir en complément. Une question ne représente souvent que le début d’un long processus.

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Tomber dans le travers décrit dans cet article constitue un manque flagrant de respect de la personne interrogée. Alors il vaut mieux ne rien lui dire. En revanche, si les rôles s’inversent et que vous reconnaissez cette tentative de manipulation à votre égard, n’ayez aucune pudeur ou gêne à faire savoir à votre interlocuteur que vous comprenez parfaitement ses intentions et qu’il peut mettre fin à son petit manège.

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Vous perdrez probablement une connaissance ou un ami, mais vous vous éviterez une forme d’esclavage intellectuel. Ne craignez pas ces conséquences, quoi qu’il arrive, n’y voyez pas un appauvrissement de votre vie sociale, mais un échange qui restera toujours à votre avantage.