Les quatre expressions fétiches des Étatsuniens

Avertissement !

La lecture de cet article vous empêchera dorénavant d’écouter des œuvres étatsuniennes avec la même oreille. Elle peut entrainer, même à court terme, des agacements, voire de forts désagréments. Soyez avisé et abstenez-vous de poursuivre votre lecture au besoin. 

The Streets of Whiterun

Quatre boniments

Dans les séries télévisées ou les films étatsuniens – Je préfère ce terme à celui d’américain – on retrouve quatre expressions utilisées en abondance, sinon à outrance. Je vous les présente écrites en anglais et traduites en français.

« It’s complicated », « I am sorry », « Forgive me », It’s to protect you »

« C’est compliqué », « Je suis désolé », « Pardonne-moi », « C’est pour te protéger »

Vous les avez certainement reconnues, même si jusqu’à présent, elles ne vous avaient pas sauté à la figure. Malheureusement, maintenant ce sera le cas, plus aucune d’entre elles ne passera plus sous votre radar. Essayons maintenant de comprendre les raisons profondes pour lesquelles ces expressions sont utilisées avec une fréquence aussi élevée que les rayons gamma, ou pour les moins physiciens d’entre vous, que les vocalises hyper aiguës de Mariah Carey.

«C’est compliqué»

Commençons par ce premier bout de phrase très à la mode. Réponse prévisible pour la plupart des questions exigeant des explications d’un personnage ayant agi étrangement ou de façon nébuleuse. Les Étatsuniens préfèrent enfouir les raisons de leurs agissements sous une épaisse couverture de dénis, de démentis ou de silences. Pour eux, ils n’ont rien à justifier, pas même à leurs proches. Ils utilisent alors cette formule que je considère comme étant une impolitesse déguisée. En réalité, il faut interpréter cette expression de la façon suivante, « Va te faire foutre » ou « Tu me les casses ». Cependant, elle va beaucoup plus loin, car elle sous-entend également une vilaine insulte du genre : « Tu es trop stupide pour comprendre ». « C’est compliqué », c’est pas si compliqué d’y découvrir son sens caché.

«Je suis désolé»

Alors là, cette expression bat tous les records d’utilisation. C’est à croire qu’elle est dite par tous des Groot à la place de son légendaire « Je s’appelle Groot ». Tout le monde est constamment désolé de tout, y compris d’être désolé. Bien entendu, les personnages sont désolés lorsqu’ils se sont rendus coupables d’actions répréhensibles, mais aussi lorsqu’un malheur s’abat, même s’ils n’ont aucune participation, aucune responsabilité. En fait, ils pourraient bien terminer leur phrase de la façon suivante, « Je suis désolé de ne pas savoir quoi te dire ». Ils pourraient même être désolés qu’une pomme tombée d’un arbre se retrouve au sol, comme s’ils avaient dû posséder le super pouvoir de la faire flotter dans les airs, mais qu’ils ont oublié ce don à la maison avant de partir.

«Pardonne-moi»

Utilisée fréquemment à la suite de « Je suis désolé », « Pardonne-moi » tente d’enfermer les problèmes dans une capsule temporelle qu’on jette dans l’océan des oublis. Être pardonné, se faire pardonner, donne la légitimité au personnage de recommencer à dévier encore et encore. Je demande pardon, non pas pour exprimer des remords ni pour annoncer avoir pris de bonnes résolutions, comme dans « J’ai compris et je ne recommencerai plus », mais bien dans le sens « Si tu ne m’en veux pas, alors je pourrai refaire les mêmes stupidités ». Les Étatsuniens ne s’amendent jamais, puisque tous leurs gestes sont d’une certaine façon justifiés, sans toutefois devoir fournir d’explications valable grâce à l’utilisation de la première phrase, « C’est compliqué ».

«C’est pour te protéger»

Tous les silences, tous les mensonges et toutes les félonies trouvent une seule explication lorsque, mis au pied du mur, le personnage ne peut plus se contenter d’utiliser l’une ou l’autre des trois expressions précédentes et qu’il doive finalement fournir une bonne raison d’avoir commis des actes répréhensibles. Alors il utilise « C’est pour te protéger ». C’est bien connu, les Étatsuniens protègent tout le monde de tous les malheurs, y compris et surtout de ceux qu’ils ont eux-mêmes générés. Protéger un bébé, un jeune enfant, je peux comprendre. Protéger un adulte en lui mentant effrontément, en ne le tenant pas au courant des faits importants, ce n’est pas de la protection. Dans le meilleur des cas, on parle de déresponsabilisation et même pire, d’infantilisation. Les deux devraient uniquement être réservées à des personnes séniles ou démentes, pas à un ami, à un conjoint, à un collègue ou à un membre de la famille ayant ses facultés normales.

Le Far West

Il existe sûrement d’autres phrases, en plus de ces quatre, permettant de couper court à toute forme de dialogue, qu’elles soient issues d’œuvres étatsuniennes ou d’une autre culture. Cependant, mettre un point final au beau milieu d’une conversation ressemble très bien à ces cowboys nostalgiques du bon vieux temps où il suffisait de tirer une salve pour régler tous les problèmes.

Le nombre de tueries aux É.-U.A. démontre bien que la parole n’y a pas la cote pour résoudre les conflits. L’utilisation de ces quatre expressions n’aide en rien puisqu’elles sont toutes des fins de non-recevoir, une façon de s’esquiver, de fermer le clapet à ceux qui veulent sincèrement comprendre en vous écoutant. Combien parmi ces fous furieux n’ont eu dans leur vie pour toutes réponses à leurs questions légitimes que ces quatre courtes phrases ou, pire, des raclées ?

Le poison

Ça y est ! Le poison coule maintenant dans vos veines. Vous ne pourrez plus regarder et surtout écouter une œuvre cinématographique d’une manière innocente puisque maintenant vous connaissez les dessous de ces mauvais dialogues redondants. Lorsque vous entendrez l’une ou l’autre de ces insipidités, systématiquement vous penserez à ce satané Corbot et vous me maudirez… à tort…

… Puisque mon avertissement au début de l’article avait pour but de vous protéger, je suis désolé de vous avoir transmis cette affliction et pardonnez-moi d’être un oiseau de malheur, mais c’est compliqué pour moi de faire autrement.

Les 7 jours d’une grippe d’homme

On dit souvent que les hommes ressentent la grippe différemment des femmes. Si aptes à endurer des douleurs physiques aiguës, ils semblent pourtant incapables d’affronter honorablement cette maladie qui, sommes toutes, reste dans la très grande majorité des cas relativement banale aux conséquences mineures et aux séquelles plutôt inexistantes.

Plusieurs personnes avancent des explications d’ordre psychologique. Il n’en demeure pas moins que ce comportement de la gent mâle semble répandu, pour ne pas dire généralisé. Il transcende les générations, les cultures et les époques. Aujourd’hui, je n’apporterai pas ma contribution personnelle à l’édifice théorique, mais puisque je termine actuellement une grippe… d’homme, ma mémoire est fraiche pour vous rapporter assez fidèlement mes impressions des sept derniers jours. Voici donc la petite histoire de ma grippe d’homme en sept phases, une pour chaque jour.

Jour 1 —J’ignore — Le déni

La gorge me pique, j’ai de légers étourdissements, je sens un bandeau m’enserrer la tête, je frissonne occasionnellement, mais ce n’est pas la grippe. Tout au plus une irritation de la gorge par un polluant quelconque, la grippe, c’est pour les autres. Je pars travailler comme à l’habitude ce serait idiot de rater une journée de travail pour une simple supposition certainement fausse. Plusieurs personnes au bureau s’absentent ces temps-ci pour soigner une grippe, mais je refuse catégoriquement de relier ces cas à mes symptômes. Et même si j’ai effectivement chopé un virus, je suis fort et en santé, ça va passer rapidement.

Jour 2 —Je suis capable — L’optimisme

Je me rends à l’évidence, c’est bien une grippe. Une toute petite grippe, une grippette de rien du tout. Ça va passer tout seul si je fais attention. Je poursuis mes activités normales, mais je m’abstiens de faire des folies. Je me couche un peu plus tôt pour m’aider à guérir. Ainsi, je n’aurai pas besoin de prendre des médicaments, surtout que la grippe, on en soigne seulement les symptômes, alors je vais les endurer le temps qu’ils passent. Les symptômes changent rapidement et pas pour le mieux, je vis probablement l’apex de la maladie, demain ça ira mieux et je dirai adieu aux papiers-mouchoirs.

Jour 3 —Je ne suis pas capable — Le réalisme

La vache, elle est en train d’avoir ma peau. Je ne parle plus de symptômes, mais d’abominations. Ça ne fait que quelques jours et déjà je pense à un combat perdu d’avance. Je ne saurais nommer une seule partie de mon corps exempt de douleurs. Mon nez se compare à la fontaine de Trévi et mon gosier à du fil barbelé. Ma tête a cessé de fonctionner au moment où la pression interne a fait sauter les valves à idées. Je dévalise la pharmacie du coin et en rapporte tout objet dont l’étiquette comporte le mot «grippe». En arrivant à la maison, je prends une dose de tous les produits pour ne pas avoir à choisir et risquer de rater le meilleur. L’appel du lit est ma nouvelle vocation. J’y plonge en espérant m’en extirper plus en forme dès demain matin.

Jour 4 —Je ne suis plus capable — L’abandon

Il n’y a plus aucun espoir. C’est fini. La grippe fera une autre victime. Je ne sors de mon lit que pour remplir ma gourde et vider ma vessie. La chambre est jonchée de papiers-mouchoirs, d’emballages de médicaments et de désespoirs. Bien drogué, mes courbatures sont heureusement moins pénibles, mais les éternuements et les quintes de toux demeurent ininterrompus. Je regarde ma vie et je la trouve moche, inutile, misérable. Je dors et au réveil je me rendors. Si on m’avait dit que l’humain vivait cela, j’aurais refusé de naitre. Je peux me battre contre n’importe quel adversaire de ma taille, et même plus grand, mais pas contre ces guerriers microscopiques tortionnaires dénués de la moindre pitié.

Jour 5 —Je vais mourir — La fatalité

Seule consolation, l’agonie sera de courte durée, mais entretemps je dois encore subir cette torture incessante. J’ai perdu tout appétit ainsi que mon humanité. Je ressemble à une loque, à un zombie, à un ver de terre. Parce que j’ai vidé la réserve, je dois recycler mes papiers-mouchoirs et ça ne me dérange même pas. Mes seules occupations conscientes sont de boire de l’eau et d’uriner, je mange également quelques chips. Tant qu’à mourir, j’exauce mes dernières volontés. Du côté de la gorge, il y a amélioration, mais je mouche mes poumons et mon cerveau. Décérébré, foutue façon de crever. Mon seul exercice intellectuel encore possible, je peux encore prévoir mes flatulences. Ça m’encourage à penser que ma fin approche.

Jour 6 —Je survis — Une lueur d’espoir

Y aurait-il une vie après la grippe? J’ai mieux dormi que les nuits précédentes, d’épuisement, très certainement, mais au réveil j’ai un peu perdu de ce misérabilisme caractéristique des derniers jours. Mes savates trainent moins lourdement sur le parquet. Mon dos a un peu perdu de son quasi modo. Mon nez coule encore, mais la grande inondation semble vouloir se tarir. Je redécouvre la signification du mot appétit et même le sens de dévorer. Mes cinq sens n’affichent plus leur pancarte «hors d’usage». Je présume toutefois avoir plus d’énergie que la réalité et je redécouvre mon lit assez tôt dans la journée. Malgré ce début de journée en pétard mouillé, une flamme semble s’être toutefois rallumée au plus profond de mon organisme. Il ne me reste qu’à la protéger et à la faire croitre.

Jour 7 — Je prends du mieux — Le retour graduel à la normale

Malgré un sentiment de faiblesse toujours présent, mais grandement atténué, je réussis à vaquer à mes occupations plutôt normalement. Bien sûr, je me déplace encore avec ma boite de papiers-mouchoirs et ma bouteille de sirop contre la toux dans les mains ou les poches, cependant les quintes deviennent de plus en plus espacées. J’ai l’idée d’aller m’acheter un t-shirt avec l’affirmation suivante imprimée dessus: «J’ai survécu à la grippe». Je me retiens, car cette intention me semble encore prématurée, une rechute est si vite arrivée! Alors je m’abstiens malgré le sentiment de fierté d’avoir échappé de justesse à la grande faucheuse. Ça semble exagéré et pourtant je ne donnais pas cher de ma peau lorsque j’étais au plus mal. Vivre avec un bras coupé me semblait moins catastrophique que d’endurer cet ennemi invisible encore plusieurs jours. La nature est bien faite, malgré tout. Ces bestioles nanométriques semblent connaitre notre niveau de tolérance maximal qu’ils atteignent sans toutefois l’outrepasser. Bien entendu, s’ils tuent leur hôte, du même coup ils se suicident, une stratégie perdante qu’ils tentent certainement d’éviter. Le soir du septième jour, j’obtiens une preuve concrète de mon rétablissement en cours, je me sers un glencairn de scotch que je parviens à déguster, le coup de grâce donné à l’ennemi, l’état de grâce pour le survivant.