DOW – Avant-propos

Comme vous le savez probablement maintenant, DOW est l’acronyme du titre de mon tout dernier roman « Le domaine Ondana–Watermore ». Dans mon article précédent, je vous avais promis l’avant-propos. Or, le voici.

Avant-propos

L’écriture d’un roman dont tous les événements et les personnages sont purement fictifs exige de son auteur un labeur méthodique puisque sa mémoire ne lui apporte aucun secours. Tous les détails de l’œuvre, les lieux, les moments, les personnages, les objets, les dialogues et la trame historique étant inventés, les pièges augmentent quadratiquement en fonction de la longueur du récit, du nombre de personnages et de la complexité contextuelle.

Écrire une œuvre aussi volumineuse ne relève pas d’une décision préalable. Les sections ont simplement buissonné tout au cours de l’évolution de l’écriture. Je les ai ensuite raboutées pour créer le fil du récit et surtout, je me suis ensuite attelé à traquer et à corriger toutes les anomalies engendrées par une écriture percolée.

Mon travail quotidien de composition, d’assemblage, de révision et de correction m’a fait vivre une profonde solitude qui s’est étirée sur plusieurs années. Bien sûr, j’ai choisi cette existence et l’idée ne consiste pas à me plaindre, mais à être compris et, j’espère, à être pardonné.

Tout au long de cette aventure, je vous partage les pensées de la myriade de personnages peuplant ce livre, y compris durant l’action. J’ai extirpé leurs réflexions pour mieux vous les faire connaitre, car la vraie richesse n’est-elle pas d’accéder à l’esprit des gens ?

Conséquence directe de mes choix littéraires, ce livre est conçu pour être dévoré avec parcimonie. Il s’oppose volontairement aux œuvres haletantes qu’on termine en quelques heures et qu’on oublie après quelques jours. Sa longueur, sa densité et sa complexité constituent des choix assumés. Et n’espérez pas des répits de cogitation lorsque vous entamerez une partie bardée de dialogues. Qu’ils soient exprimés ou racontés, tous les détails acquièrent ici leur importance.

Voyez ce livre comme un éloge à la lenteur. Pour vous guider dans cette voie, je l’ai subdivisé en 223 sections réunies en 21 chapitres. Ayant moi-même horreur de couper court à ma lecture au beau milieu d’une intrigue, terminer une section avant de fermer le livre pour la nuit ne devrait ici vous prendre que quelques minutes.

Avant d’entamer votre lecture, équipez-vous d’un peu de persévérance, car quelques sections vous demanderont un plus haut degré de concentration. Allez, maintenant, amusez-vous !

Lir la quatrième de couverture

Si vous désirez me faire part de questions qui vous assaillent, laissez un commentaire.

Éloge de la lenteur

Depuis plusieurs années, je remarque en musique, mais aussi dans bien d’autres domaines, une accélération des tempi. On joue une œuvre comme si on allait faire ses emplettes. Tout jouer vite, seulement avec adresse.

Comme si la musique se contenterait d’une performance acrobatique. Et là encore, le Cirque de Soleil nous a habitués à la poésie des performances acrobatiques. Mais plusieurs musiciens croient à tort que jouer vite c’est jouer mieux.

Pour ma part, je ne vois là que le moyen de se débarrasser vite fait d’une obligation emmerdante. Et pourtant, les exemples foisonnent où la lenteur nous emporte dans d’autres univers et qu’autrement, l’œuvre n’est qu’enchainement inintéressant, voire déplaisant, de notes.

Cet empressement indésirable s’entend partout. Solistes, quatuors à cordes, mais aussi à l’orchestre où certains maestros ne se gênent pas pour dépasser les tempi, voulant faire différent. On accuse le compositeur d’avoir vécu à une autre époque où rien n’allait vite. Cette excuse pour bâcler une prestation musicale ne me convainc absolument pas.

Lors d’un concert d’Ivo Pogorelić présenté à Montréal voilà bien une vingtaine d’années, ce pianiste serbe de renom avait joué une œuvre de Chopin, j’ai oublié laquelle, à un rythme volontairement très, mais très lent. Il a d’ailleurs fait de la lenteur sa marque de commerce. L’exploration de cette lenteur délibérée force le musicien à remplir les espaces vides avec du ressenti dont une accentuation marquée des notes graves qui résonnent longtemps et qui augmentent le caractère sombre des œuvres. Chopin aurait-il apprécié ? C’est possible, car on sait dans quel état d’esprit ce génie se trouvait lors de certains concerts. De toute façon, l’objectif de Pogorelić n’était pas de recevoir une appréciation d’une personne morte ni même celle de son public. Il ne craint pas les mises en demeure pour avoir trahi la pensée de l’auteur. Cette exploration des vertus et des pièges de la lenteur m’a beaucoup plus satisfait que s’il s’était débarrassé de l’œuvre comme on lance une injure à la face de quelqu’un, sentiment souvent éprouvé à l’écoute d’autres performeurs bien plus inspirés par l’adrénaline que par la beauté de l’œuvre.

La lenteur détecte et dénude aussi bien le talent que son absence. C’est peut-être la raison pour laquelle cet empressement acharné à livrer une prestation devient presque la norme. Soyez attentifs à la lenteur. Lorsqu’elle se fait bien entendre, l’œuvre se bonifie de beautés insoupçonnées.

Bien entendu, les interprètes peuvent argumenter. Leur fonction ne peut être plus clairement définie. Ils interprètent des œuvres et la lenteur n’est qu’une parmi bien des façons de la jouer. C’est comme l’ail, en mettre partout et toujours devient rapidement déplacé. Je ne m’insurge pas contre les tempi rapides ou même accélérés, mais contre le bannissement de la lenteur comme si elle était devenue une tare à supprimer de la vie de ceux menant une vie trépidante, la seule valable dans ce monde. Tant que l’interprétation préserve ou refait une beauté à l’œuvre, elle aura atteint son objectif, celle d’avoir fait vibrer l’auditeur.