La véracité des personnages

Composer un roman peuplé de plusieurs personnages oblige l’auteur à imaginer des caractères différents et à les rendre plausibles. Il n’est pas possible de tout tirer de ses propres expériences ou des gens qu’on a déjà connus, enfin pas en ce qui me concerne. Il faut alors inventer des vies.

Lorsque je forge un univers, chaque créature n’appartient qu’à elle. C’est ni moi, ni une ex-copine, ni un ami ou ennemi actuel ou passé. Pour que l’histoire soit réaliste, l’exercice m’oblige à ressentir comme eux, avec leur façon de voir leur passé et leur histoire, avec leur caractère unique, leur beauté intérieure, mais aussi avec leurs défauts et leurs vices.

La méthode la plus facile pour générer aisément un personnage quelconque est de plaquer une sorte d’étiquette dans son dos. L’auteur lui donne seulement une portion de vie. Après avoir composé une foule de personnages fictifs, je perçois immédiatement cette ellipse de la part de certains auteurs. Ça évite de s’attarder à rendre l’individu un peu plus complexe, un peu plus réaliste, un peu plus humain. Du même souffle, ça permet évidemment à l’auteur de garder une distance émotive avec ceux qu’il n’aime pas, qu’il déteste ou qu’il refuse de regarder en pleine face.

Plonger au cœur de l’atrocité, du malheur, de la douleur, des afflictions, de la méchanceté, de la perversité n’est pas chose facile. Créer des demi-vies simplifie bien des choses et permet surtout de s’assurer de conserver cette fameuse dualité du bien et du mal si chère aux gens. La laideur humaine nous horripile naturellement. Il est facile de jouer sur ce sentiment. On presse le bouton et les poils du lecteur se dressent instantanément. En polarisant son histoire, l’auteur engendre un flux dans un sens unique. 

Cette façon d’écrire un roman dénote l’incapacité de l’auteur à s’immerger totalement dans la nature de ses créations. En ne présentant qu’une seule facette ou les seules facettes en lien direct avec l’objectif primaire du livre, l’écrivain réductionniste s’évite les tourments de l’immersion prolongée dans les noirs arcanes de la nature humaine et attire une interprétation unanime du lectorat sur la beauté ou la laideur de ses sujets. Présenter un carton tout noir ou tout blanc ne porte pas aux nuances, mais aucun individu réel n’est totalement uniforme.

L’autre manière d’aborder le réductionnisme des caractères en version légèrement améliorée est la rédemption. Pensez aux films Star Wars et au père de Luke Skywalker comme porte-étendard de ce style. Il est totalement méchant, sauf à la toute fin, une invraisemblance à s’en décrocher les côtes. Bien sûr, dans cette saga exclusivement axée sur le bien et le mal, il est difficile de ne pas réduire les personnages puisqu’il faut les installer dans un camp ou dans l’autre en ne laissant quasiment rien entre les deux.

Une autre technique couramment utilisée dans les polars est le monstre tapi au fond d’une personne apparemment ordinaire. Là encore, la dualité reste à l’honneur. Puisque le jack in the box surgit soudainement à la fin, l’auteur et son lectorat ont peu l’occasion de marcher en compagnie du loup pendant qu’il reste déguisé en mouton. 

Inventer un personnage crédible oblige l’auteur à lui créer un passé complet et complexe. Il ne doit pas naitre au moment où son nom est écrit pour la première fois. Dès les premières lignes traitant de cette personne, le lecteur doit avoir l’impression qu’il est de chair, d’os et de sentiments. Si l’auteur parvient rapidement à crédibiliser l’existence du personnage, le lecteur comblera les zones d’ombres ou de silence avec son imagination. L’auteur insufflera une vie complète dans la tête du lecteur sans devoir toute la raconter dans ses moindres détails.

N’ignorez pas la complexité des vies de vos créatures. Elle multiplie les interprétations possibles et c’est exactement, selon mon point de vue, une des grandes qualités d’un bon roman, la véracité de ses personnages.

Guide d’interprétation des cris du Corbot — 1

Ce guide me servira pour inviter les lecteurs à s’y référer lorsque leur interprétation ne correspond pas, ou risque de ne pas correspondre, à l’esprit de mes textes.

Je voudrais tellement que cet article soit le dernier de sa série, mais je ne m’illusionne plus depuis belle lurette, raison de sa numérotation.

Pour cette entrée en matière, comment interpréter correctement mon cri lorsque je fais référence à l’humain ou à l’humanité, surtout lorsque je décris ses pires défauts. Plusieurs de mes lecteurs pensent que je généralise, que je globalise les humains, que j’arase leurs différences. Rien n’est plus faux.

Je me sens malheureusement obligé d’expliquer certains fondements de ma pensée, même ceux qui me semblent les plus évidents. Oui, j’ai été éberlué de constater que bien des gens ne font pas ou ne veulent pas faire la différence entre une probabilité et une généralité. Je vais donc l’expliquer ici même à l’aide d’un support visuel.

Courbe-Gauss

Parmi les courbes de ce graphique, l’une d’elle montre une généralité où tous les humains sont identiques sur un point, celle qui ne montre aucune diversité, la ligne de couleur cyan. Ce graphique serait adéquat si la question était de savoir par exemple combien de cerveaux ont les humains. Affirmer que les humains ont un cerveau, c’est émettre une généralité représentée par la courbe cyan ayant une probabilité de cent pour cent sans écart type.

Par contre, si la question posée permet un grand nombre de réponses et si l’échantillonnage est élevé, il apparait systématiquement la fameuse courbe en cloche, la courbe de densité de Gauss. Elle présente la distribution des humains et les probabilités de trouver la majorité d’entre eux, de situer les pires et les meilleurs en rapport avec une question précise.

Dans la réalité, cette courbe n’apparait jamais aussi parfaite, mais elle s’applique partout, peu importe le sujet traité, dès que le nombre d’individus est élevé. Et à 7,3 milliards d’humains, on ne se trompe pas sur la quantité mise en examen. Il est facile de constater la différence entre une distribution et son contraire, une généralisation.

Dans mes articles, je ne généralise jamais un comportement lorsque je décris « l’humain ». Je concentre habituellement mon attention autour du pic de densité. Mais il y a des exceptions et je peux également décrire des comportements d’individus qui se situent tout au bas de la courbe, soit les pires de leur espèce. Dans ces circonstances, j’utilise encore la formule « l’humain » pour parler d’eux. Est-ce une faute ? Si l’on s’entend sur le principe de la courbe en cloche, il faut interpréter mes croassements en conséquence. Les pires humains sont des individus faisant également partie de l’humanité. Et concernant l’humanité que je décris dans plusieurs de mes articles, voici ma position.

Les humains sont égaux, mais n’influencent pas leurs semblables de façon égale. Souvent, ce sont les pires qui détiennent le pouvoir et ils dirigent l’humanité là où ils le veulent, sans égard aux volontés des autres et peu importe leur nombre. Lorsque j’utilise le terme « humanité », je ne cherche jamais à décrire individuellement chacun des humains. Je décris le mouvement global de l’humanité orienté par très peu d’individus.

Vous savez maintenant comment interpréter les cris du Corbot lorsqu’il écrit « humain » ou « humanité ». Alors j’aimerais bien en terminer avec la fausse idée que je cherche à mettre tout le monde dans le même bac. 

Dans mes futurs articles, je ne rajouterai aucune précision qui, à mon avis, est superflue car triviale. Dorénavant, lorsque les lecteurs exprimeront cette opinion, je les référerai à ce texte.

Cependant, je me questionne sur cette propension à considérer mon opinion comme une généralisation des humains, une compression outrancière de la courbe de Gauss. Mon comportement serait parfaitement inapproprié et surtout inexact. Mes pensées s’élèvent bien au-dessus de ce niveau simpliste de raisonnement, n’en déplaise aux pistoleros de la critique.

Rejeter en bloc le fondement de mes textes par cet argument équivaut à les mettre dans un gros sac vert pour en disposer plus facilement, tout cela parce les cris du Corbot dérangent.

Nous désirons tous se savoir au-dessus de la moyenne, surtout très au-dessus de la moyenne. La réalité se veut rarement aussi condescendante, alors l’esprit cherche une échappatoire. Interpréter inadéquatement les cris du Corbot apporte inconsciemment l’issue par laquelle il est possible de se défiler en douce.

Cette généralisation qu’on me prête, elle ne m’appartient pas, alors je la retourne à leur propriétaire.

Faire une différence

Hier, avez-vous fait une différence constructive dans la vie d’une ou de plusieurs personnes ?

Si vous êtes parent d’un ou de quelques enfants mineurs, vous avez la possibilité quotidienne de faire une différence importante dans leur vie. Si vous travaillez à l’extérieur, vous avez des collègues, vous avez la possibilité quotidienne de faire une différence dans la vie d’une personne de votre entourage. Si vous écrivez régulièrement sur votre blogue, vous avez également cette possibilité.

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Il s’avère difficile de quantifier le poids de nos écrits. Je me sens obligé ici de mettre un peu de côté les blogueurs qui relayent de l’information sans analyse, sans enrichissement, sans opinion. L’auteur initial des textes qui sont retransmis quasiment intégralement a une influence sur des gens qui les ont reçus grâce à plusieurs courroies de transmission différentes, mais la courroie ne produit rien de neuf. Ce n’est pas elle qui fait la différence malgré d’autres vertus qu’on peut lui trouver, dont celle d’être un bon diffuseur. Un diffuseur qui ne possède pas de matière à diffuser ne peut que se gratter la tête et d’autres parties de son anatomie. En relisant l’exergue de ce texte, vous comprendrez pourquoi il contient la particularité « constructive » qui doit être interprétée dans ses deux modes.

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Faire la différence en montrant l’exemple est une bonne façon. Tout le monde n’est pas un adepte des mots. Tenter de comprendre ses propres paroles avant de les faire avaler à d’autres est aussi une bonne façon de faire la différence en évitant de proférer des âneries. On peut donc faire une différence en ne faisant rien plutôt qu’en énonçant des stupidités, mais elle ne sera pas vraiment constructive, elle sera juste non destructive.

Pour faire une différence constructive, il faut réfléchir à ce qu’on fait et à ce qu’on dit. Mais qui prend le temps de réfléchir par les temps qui courent ? Pas les gens qui courent. Pour réfléchir, il faut s’arrêter, observer, accumuler, comparer, analyser et synthétiser l’information qui nous provient de partout. Cet exercice prend du temps et du temps d’accalmie.

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Prenez le temps, du temps pour revisiter votre journée qui se termine ou qui s’est terminée la veille. Demandez-vous pour qui et comment vous auriez pu faire une différence constructive. Si vous avez raté votre chance, pas grave, il y a plein d’autres journées remplies d’autres occasions à venir. Vous aurez amplement la possibilité de faire une différence positive dans l’existence d’une autre personne. Mais si vous ne prenez pas le temps de comprendre comment vous auriez pu y arriver, ne vous attendez pas à faire une vraie différence lorsque l’occasion se représentera.

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Je décrète donc que les vidéos de chats distribuées à tous vos abonnés ne constituent pas un geste constructif dans la journée de quelqu’un. Trouvez mieux que ça, je vous en prie !

 

Éloge de la lenteur

Depuis plusieurs années, je remarque en musique, mais aussi dans bien d’autres domaines, une accélération des tempi. On joue une œuvre comme si on allait faire ses emplettes. Tout jouer vite, seulement avec adresse.

Comme si la musique se contenterait d’une performance acrobatique. Et là encore, le Cirque de Soleil nous a habitués à la poésie des performances acrobatiques. Mais plusieurs musiciens croient à tort que jouer vite c’est jouer mieux.

Pour ma part, je ne vois là que le moyen de se débarrasser vite fait d’une obligation emmerdante. Et pourtant, les exemples foisonnent où la lenteur nous emporte dans d’autres univers et qu’autrement, l’œuvre n’est qu’enchainement inintéressant, voire déplaisant, de notes.

Cet empressement indésirable s’entend partout. Solistes, quatuors à cordes, mais aussi à l’orchestre où certains maestros ne se gênent pas pour dépasser les tempi, voulant faire différent. On accuse le compositeur d’avoir vécu à une autre époque où rien n’allait vite. Cette excuse pour bâcler une prestation musicale ne me convainc absolument pas.

Lors d’un concert d’Ivo Pogorelić présenté à Montréal voilà bien une vingtaine d’années, ce pianiste serbe de renom avait joué une œuvre de Chopin, j’ai oublié laquelle, à un rythme volontairement très, mais très lent. Il a d’ailleurs fait de la lenteur sa marque de commerce. L’exploration de cette lenteur délibérée force le musicien à remplir les espaces vides avec du ressenti dont une accentuation marquée des notes graves qui résonnent longtemps et qui augmentent le caractère sombre des œuvres. Chopin aurait-il apprécié ? C’est possible, car on sait dans quel état d’esprit ce génie se trouvait lors de certains concerts. De toute façon, l’objectif de Pogorelić n’était pas de recevoir une appréciation d’une personne morte ni même celle de son public. Il ne craint pas les mises en demeure pour avoir trahi la pensée de l’auteur. Cette exploration des vertus et des pièges de la lenteur m’a beaucoup plus satisfait que s’il s’était débarrassé de l’œuvre comme on lance une injure à la face de quelqu’un, sentiment souvent éprouvé à l’écoute d’autres performeurs bien plus inspirés par l’adrénaline que par la beauté de l’œuvre.

La lenteur détecte et dénude aussi bien le talent que son absence. C’est peut-être la raison pour laquelle cet empressement acharné à livrer une prestation devient presque la norme. Soyez attentifs à la lenteur. Lorsqu’elle se fait bien entendre, l’œuvre se bonifie de beautés insoupçonnées.

Bien entendu, les interprètes peuvent argumenter. Leur fonction ne peut être plus clairement définie. Ils interprètent des œuvres et la lenteur n’est qu’une parmi bien des façons de la jouer. C’est comme l’ail, en mettre partout et toujours devient rapidement déplacé. Je ne m’insurge pas contre les tempi rapides ou même accélérés, mais contre le bannissement de la lenteur comme si elle était devenue une tare à supprimer de la vie de ceux menant une vie trépidante, la seule valable dans ce monde. Tant que l’interprétation préserve ou refait une beauté à l’œuvre, elle aura atteint son objectif, celle d’avoir fait vibrer l’auditeur.