Négliger sa mission commerciale pour reluquer celle des autres

J’étais jeune, je venais d’acheter ma première minoune. Oui, au Québec, on appelle ainsi une auto usagée requérant beaucoup d’amour et de clés plates. Voulant m’équiper convenablement pour démonter mes roues, car je déteste cette barre pliée offrant peu de poigne et de torque, je vais chez le «Canadian Tire» le plus près m’acheter une croix pour déboulonner les roues avec plus de facilité. Malgré la mission plutôt évidente du magasin en question (tire = pneu en anglais), bien proclamée dans sa raison sociale, pas moyen de mettre la main sur cet outil. Par contre, je peux y acheter une cafetière, une coutellerie, du papier-cul, des friandises, mais pas la moindre croix métallique pour mes roues.

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Voilà quelques années, je me cherche des pattes de bois pour une table. Je vais chez l’entrepôt Rona qui est une quincaillerie et une cour à bois. Pas moyen de trouver des pattes de bois, par contre je vois des réfrigérateurs et des cuisinières qui pourtant se vendent partout ailleurs. Je suis certain que le Corbeil Électrique juste à côté ne tient pas des pattes de bois en stock. Où vais-je donc les trouver ces fameuses pattes? Nulle part, puisque celui qui avait pour mission de vendre du bois préfère maintenant vendre des électroménagers et beaucoup moins de bois.

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Cette nuit, je flaire l’orage. Je consulte le site web Meteomedia pour m’enquérir de leurs prévisions. Une alerte d’orages violents a été émise par Environnement Canada. Pourtant, je continue de lire des précipitations annoncées de moins d’un millimètre de pluie. Quelques instants plus tard, le ciel se déverse à grands coups de seaux d’eau sur la tête. Les prévisions météo sur ce site ne sont plus mises à jour. Elles ont été émises plusieurs heures auparavant, peu importent les événements réels qui surviendront par la suite. Ça ne prend pas un cerveau d’Einstein pour comprendre qu’un site censé être dédié à la météo devrait au moins donner des prévisions corrigées en fonction des événements actuels. Par contre, si je le désire, je peux regarder sur ce site web des vidéos de lions d’Afrique ou de fourmis d’Amazonie. Meteomedia paye donc des gens pour trouver des vidéos à mettre en ligne, mais pas des météorologues pour modifier les prévisions de la veille.

Ces trois exemples, j’en ai vécu des centaines, vous aussi, j’en suis certain. Ces stupidités planifiées et organisées par des technocrates visent à étendre l’offre pour la rendre apparemment plus attractive. Le problème est que leur stratégie fonctionne parce que personne ne boycotte ni ne dénonce ces mélanges des genres très peu pratiqués par les commerces de proximité.

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Je fais partie de ceux qui boycottent le plus souvent possible ces commerces dénaturés. Notre frustration devrait nous inciter à commettre de tels actes légitimes et intelligents, mais puisque ce comportement semble rarement adopté par les consommateurs mécontents, alors les commerçants en profitent pour négliger leur mission fondamentale et en reluquer d’autres en parallèle. D’autres missions économiquement plus avantageuses pour elles, pas pour nous.

Mais nous ne sommes pas importants à leurs yeux, seul notre argent l’est. C’est pourquoi nous devons leur faire payer ces choix ridicules en refusant de leur donner ce qu’ils convoitent le plus.

Néocapitalisme, risques et cancer

Ç’aurait pu être un article recensant une autre bêtise humaine et ses conséquences. Oui, cette locution dénote une réalité relativement commune puisque l’humain commet des bêtises à l’occasion. Il suffit d’agir trop rapidement, et voilà.

Mais là, je veux parler de la bêtise réfléchie, généralisée, institutionnalisée et instrumentalisée. La bêtise comme mode de vie, comme système économique et comme système politique. Il existe d’autres terminologies plus commodes comme le capitalisme moderne ou le néocapitalisme. J’en veux à toutes ces formes de modèles économiques qui ont découvert le moyen d’inverser les rôles joués par les clients et ceux tenus par les investisseurs. En s’attardant à analyser la situation, on voit rapidement poindre cette dérive et l’idiotie de ces modèles basés sur le principe du cancer économique.

Voilà deux symptômes de cette aberration. Tout d’abord, l’inversion des rôles. Aujourd’hui, l’investisseur, celui qui est censé prendre des risques, voit ses rendements garantis. Mais où sont donc passés ses fameux risques ? Ils n’ont pas disparu pour autant. La stratégie est basée sur l’offre avant la demande. Elle engendre le désir plutôt que le besoin et par conséquent, le risque est transporté du côté de la clientèle qui veut absolument se procurer le produit ou recevoir le service. L’absence de systèmes d’évaluation fiables permet de commercialiser des produits pourris. Les gens se découragent de demander un remboursement ou un échange (pour un modèle tout aussi médiocre !). Ils préfèrent bien souvent jeter leur achat aux poubelles en même temps que la serviette. Évidemment, l’érection de barrières visant à plier l’échine fait partie de la stratégie permettant de garder les aléas uniquement du bord du client. Il est ainsi devenu le détenteur du risque et l’investisseur celui de la garantie.

Pourtant, qui relève cette inversion, ce mélange des genres, cette tare de l’économie moderne ? Grâce à un bassin suffisamment grand, l’entreprise se permet de perdre la confiance des clients pourvu que celle des investisseurs soit préservée. Et voilà, le pont est lancé pour comprendre la seconde idiotie de ce système, la fameuse croissance. Dans ce système économique, une entreprise ne se contente pas de croitre, elle doit impérativement gonfler au-delà d’un seuil plancher fixé par ses investisseurs. Ainsi, tous les coups sont permis et surtout ceux qui ont pour but de flouer ses employés et ses clients ou de manquer à ses obligations sociales. Et lorsque la compagnie rend l’âme, elle emporte ses promesses non tenues et ses négligences dans sa tombe avec ses autres mensonges. Bien entendu, l’investisseur moderne connait la fin inéluctable de ce système et retire ses billes au moindre signe de faiblesse puisqu’il est pleinement conscient du mécanisme visant à l’enrichir en rendant les entreprises moribondes. Ainsi, son niveau de risque personnel reste minimal. Il transporte alors son cancer dans un secteur de l’économie encore vierge de ses exactions, car il s’agit bien d’un cancer qui se nourrit de la vitalité des autres pour continuer de détruire sans relâche ceux qui font sa fortune.

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