Flocons manègent

« Ah comme la neige a neigé / Ma vitre est un jardin de givre »

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Ainsi s’exprimait le poète québécois, Émile Nelligan. Pays de neige et de froid durant plusieurs mois par année, notre pays est toutefois épargné de la plupart des autres types de catastrophes, si toutefois nous inscrivons le froid et la neige dans cette catégorie. J’ose le prétendre en considérant que plusieurs personnes en meurent chaque année, faute d’y avoir suffisamment prêté attention, à cause d’étourderies ou parce que les conditions météo ont eu raison de sans-abris devenus terriblement vulnérables lors de conditions rigoureuses. 

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Nous sommes préparés à vivre des moments plus difficiles et nos infrastructures ont été pensé en conséquence, mais surviennent des situations anormales nous rappelant que nous ne supportons pas longtemps le froid et que neige vire parfois son âme de blanche à noire. Il va sans dire, tout est une question de durée, de quantité et d’intensité.

La neige, c’est magique, surtout durant le temps des Fêtes lorsqu’un tapis blanc recouvre le triste sol noirâtre et qu’une farandole de flocons virevolte devant nos yeux, mais lorsque le blizzard se lève, lorsque les flocons se transforment en petites aiguilles cherchant à transpercer notre visage découvert, lorsque le froid colle nos parois nasales, lorsque la neige au sol crisse pour nous avertir de nous méfier d’elle, lorsque les congères grandissent à trois fois notre hauteur, lorsque les rues destinées à faire circuler plusieurs véhicules de front les enlisent, lorsque nos joues nous avisent que le froid les font rougir de honte pour ensuite les blanchir de peur, lorsque les têtes des clous éclatent sous la pression de l’écartèlement des planches, lorsque les véhicules n’ont plus la force de démarrer et préfèrent se laisser mourir sur place, la féérie blanche devient la furie blanche.

La Nature ne s’attaque pas à nous, on ne doit donc pas la traiter comme une ennemie. Il est de loin préférable de bien se préparer à ses débordements pouvant nous causer désagréments, difficultés ou dangers, tout d’abord en s’informant adéquatement des conditions météorologiques à venir et en se vêtant de manière appropriée.

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Cette année, l’hiver est survenu tôt. Neige début novembre, record quotidien de froid battu, voulait-il nous assommer ? Nous prendre à contre-pied ? Ou simplement nous aviser qu’il vaut toujours mieux être prêt à toute éventualité ?

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La planète change, nous devons, non seulement écouter ses signaux, mais surtout agir de la sorte. Nous aussi devons changer, à commencer par notre façon de penser. La planète Eden devient souvent et imprévisiblement violente. Restons en constant état de surveillance. Préparons nos kits de secours et de survie. Concevons des protocoles d’urgence et répétons-les. Ces gestes ne sont plus des délires de paranos. Ils sont une prévoyance distinguant ceux qui survivront de ceux qui périront. Vous comptez plutôt sur la chance que les catastrophes passent ailleurs ? Dans ce cas, vous n’auriez pas objection à me léguer vos biens advenant un coup du sort puisque celui-ci ne surviendra pas. Plus riche, j’irai ensuite croasser sur vos tombes.

Nuit blanche

J’arrive chez moi, il est 4 h du mat. Je dépose mes doigts sur les touches congelées de l’ordi. Je reviens de chez une amie, un trajet de douze minutes en été. Ce même temps n’a eu aucun effet sur le givre dans les fenêtres de l’auto. Je reconnais ce dépôt qui colle à toute surface. On a beau passer le grattoir, rien à faire, le givre se dépose plus vite qu’on peut le gratter. Je pars, tanné d’attendre sans effet visible sur la visibilité.

Je roule sur l’autoroute à trois voies. Suis-je au milieu ou est-ce que je frôle les garde-fous ? Tout est blanc, partout, y compris dans l’auto. L’air dans l’habitacle refuse obstinément de se réchauffer. Les lampadaires sur le pont ne fonctionnent pas, victimes du froid. Je me croirais en zone de combat. Où sont les lignes au sol ? Disparues sous une couche de givre. Malgré mes gants, mes doigts sont gelés. Je reste concentré sur la route où les voies sont indiscernables. Ce n’est pas mon premier hiver, je roule comme si j’étais en couple, avec espérance et aveuglement. L’heure avancée joue en ma faveur, les idiots sont rentrés. Ne restent seulement sur la route que LeCorbot et un ou deux loups solitaires.

Je stationne enfin l’auto. La clé de l’appartement est si froide qu’elle fuit entre mes doigts. Une opération de trois secondes m’en prend trente. Finalement, la porte cède devant mon insistance.

Je regarde par la fenêtre. C’est le brouillard de mer. On se croirait en pleine tempête de neige alors qu’aucun flocon ne tombe du ciel. L’univers est laiteux. Une vision de langes et de désarrois me convie à me réfugier sous la couette.

Je regarde une dernière fois par la fenêtre. Il fait de plus en plus blanc dehors. Je perds les autos dans le parking, ensevelies sous une couche d’ouate de frimas. L’humidité se transforme en glaçons microscopiques formant un rideau translucide comme une vitre de douche sous les jets brûlants, sauf que la température est à l’antipode.

Les lampadaires diffusent une auréole digne des saints représentés sur les vitraux de l’église au bas de la côte. Je me sens dans un film d’épouvante, pourtant je ne crains rien. Aucun monstre ne serait suffisamment idiot pour sortir par un temps pareil.

Je regarde le froid épaissir l’air, l’ère du frimas. L’hiver est froid, l’hiver est rude, l’hiver est québécois.