Le nez quantique

On a tous appris que le sens de l’odorat fonctionne comme un système de clés-serrures.

Draugen

Les molécules détectables s’insèrent dans des récepteurs capables de reconnaitre leur forme spécifique.

Ce paradigme a été inventé en 1894 par le chimiste allemand Emil Fisher et il a perduré pendant plus d’un siècle. L’idée des clés-serrures était séduisante, car au moment de sa création, la physique quantique n’avait pas encore été élaborée. Elle le sera à partir de 1900 jusqu’à approximativement la fin de la décennie 1920.

En fait, aujourd’hui encore, cet ancien concept de réceptacle à géométrie variable reste largement diffusé même s’il a été à maintes reprises mis à mal par d’éloquents contre-exemples. Le plus connu est celui du ferrocène et du nickelocène, deux molécules de taille et de forme rigoureusement identiques et qui pourtant, engendrent des odeurs bien distinctes.

Noter que l’odorat humain peut compter sur 347 différents récepteurs olfactifs travaillant de concert. Cela signifie que nous ne distinguons pas seulement 347 odeurs différentes, mais bien 2347 combinaisons différentes (multipliez 2 par lui-même 347 fois), plus que le nombre d’atomes dans l’Univers. Le principe de clé-serrure n’est pas vraiment compatible avec l’idée de déclencher plus d’un récepteur par molécule odoriférante.

Alors comment fonctionne notre odorat si ce n’est pas comme une clé qui s’insère parfaitement dans une serrure faite pour elle ? Pour dépasser ce paradigme d’une autre époque, il faut comprendre certains principes de la physique quantique.

À l’échelle des atomes, ceux-ci n’ont pas une localité et une vitesse bien définies. Cela est dû au principe d’indétermination (d’incertitude) qui fait d’une particule un mélange indissociable d’onde-corpuscule ayant la possibilité statistique de se retrouver n’importe où dans l’univers. Un objet quantique comme un atome ou une molécule n’a pas de frontière bien délimitée et son énergie est définie par sa fréquence plutôt que par sa masse et sa vitesse.

Une molécule (odorante) est une onde avec une fréquence de vibration propre ! Étonnant de penser que notre nez ne capte pas une forme moléculaire, mais bien sa fréquence. Cela explique que certaines molécules distinctes aient des odeurs indiscernables puisque leur fréquence de vibration est commune, preuve de cette nouvelle façon de comprendre les odeurs face à l’ancienne basée sur des clés-serrures.

Ces fréquences vibratoires se situent dans l’infrarouge moyen. On ne peut pas les voir et elles sont trop ténues et hors limites pour être perceptibles par nos récepteurs cutanés ou par notre œil. En fait, comprendre que l’odorat est sensible aux ondes infrarouges moyennes explique le gap qu’il y avait dans le spectre des fréquences sensibles par nos différents sens. En effet, cette nature quantique du sens de l’odorat remplit précisément un vide dans le spectre des fréquences détectables par les autres sens du corps humain.

Œil : spectre visible = 0,4 – 1 µm;
Odorat : infrarouge moyen = 1 µm – 3 µm;
Peau : infrarouge lointain = 3 µm – 1000 µm;
Eau : microondes et ondes radio = 1 mm – 100 km;
Oreille : ondes sonores = 10 km – 10 000 km.

Quelle conséquence le quantique apporte-t-il ?

Une conséquence majeure découle de ce changement de paradigme. Si l’odorat détecte les ondes infrarouges émises par les molécules et non directement ces molécules, la conséquence la plus évidente est la vitesse de propagation des odeurs. Une molécule n’a pas besoin de se déplacer spatialement pour être perçue par notre nez puisque ses ondes électromagnétiques infrarouges le font à la vitesse de la lumière. Cela explique comment il est possible de détecter des odeurs dont les molécules n’auraient jamais eu le temps de se diffuser.

Il suffit d’une seule molécule pour générer une onde se propageant quasi instantanément à l’échelle des distances planétaires. Le problème de savoir comment la molécule diffuse vers notre nez devient caduc. Son onde le fait parfaitement bien. Auparavant, je ne comprenais pas comment les requins réussissaient à sentir l’odeur du sang sur de très longues distances alors qu’il n’y avait aucune chance qu’une seule molécule ait pu voyager aussi loin aussi rapidement.

Évidemment, comme tout détecteur, chacun des 347 récepteurs de notre nez possède son degré de sensibilité. Une onde d’amplitude inférieure au niveau faisant réagir ceux d’entre eux qui y sont sensibles ne sera peut-être pas détectée, sauf si l’effet tunnel, une autre bizarrerie de la physique quantique, en décide aléatoirement autrement.

Grâce à la dualité onde-corpuscule des molécules, le transport des odeurs est un phénomène non pas mécanique comme on le croyait autrefois, mais quantique. Les odeurs ne se propagent pas à la vitesse de diffusion des gaz, mais à la vitesse de la lumière. Le concept de clé-serrure a été battu en brèche et il est important de cesser d’y faire référence.

Cet article a été largement inspiré des travaux du professeur Marc HENRY de l’Université de Strasbourg.

La surprise des galaxies primordiales

Je fus parmi ceux qui corrigeaient la date de mise en orbite du fameux télescope James Webb dans l’article principal sur Wikipédia. J’ai par la suite abandonné cette lassante activité, car je n’en voyais pas le bout. Avec environ 340 points critiques comparativement à une cinquantaine pour d’autres télescopes spatiaux, chaque point critique étant un élément d’échec complet de la mission advenant un malfonctionnement partiel ou complet, on comprend (un peu mieux) la décennie de retard et le budget de vingt fois supérieur à celui prévu initialement. Heureusement, l’attente en valait la peine et plus personne ne chipote sur les coûts « astronomiques » après avoir constaté ses premières images et résultats tout bonnement époustouflants.

Je dois signaler le magnifique travail de la fusée Ariane 5 qui a doublé l’espérance de vie du télescope spatial grâce à la précision de son tir. Ainsi, il pourra nous abreuver plus longtemps d’images à couper le souffle lorsqu’on les compare avec celles des autres télescopes. J’insiste également sur le fait que le James Webb ne succède pas au célèbre Hubble puisque le premier observe dans les longueurs d’onde infrarouges contrairement au second qui voit principalement dans la portion visible du spectre électromagnétique.

Et justement, grâce à cette différence fondamentale, James Webb peut voir tout un tas de trucs laissés dans le noir jusqu’à présent, car l’expansion de l’univers décale la lumière émise par les objets célestes vers des longueurs d’onde plus longues. Donc, ce qui se trouvait autrefois dans le spectre visible peut maintenant être observé uniquement en infrarouge. Et plus on remonte loin dans le passé, donc au plus près du Big Bang, plus les objets s’observent, non plus en rayons visibles, mais en infrarouge éloigné.

Et du coup, à des distances immensément éloignées, une surprise de taille nous attendait. Alors qu’Hubble nous montrait au mieux de ses capacités des galaxies ayant un degré de mochitude élevé (j’ai emprunté ce terme à David Elbaz), James Webb nous fait voir des galaxies bien plus immenses que prévu et apparemment mieux formées.

Les astrophysiciens n’y comprennent plus rien. Leurs modèles de formation des galaxies viennent de voler en éclats, car selon ceux-ci, les plus vieilles d’entre elles devraient plus ressembler à celles présentées par Hubble qu’à celles observées par James Webb.

J’ai lu quelque part que ces résultats remettaient même en cause la théorie du Big Bang alors que rien n’est plus faux. Une multitude d’autres évidences n’ayant rien à voir avec les galaxies primordiales ne sont aucunement réfutées ni même ébranlées par ces nouvelles images. Oui, les astrophysiciens doivent absolument refaire leurs modèles de formation des galaxies. Ils devront peut-être même revoir l’âge de l’Univers actuellement estimé à 13,8 Ga, mais en aucun cas le télescope James Webb n’a pris en défaut le principe du Big Bang.

L’étendue et la qualité de nos connaissances dépendent de la fabrication de nouveaux instruments complémentaires et de plus en plus performants. Puisque le vénérable Hubble vit actuellement sa dernière phase active, on devra bientôt lui fournir un véritable successeur. Pour ce faire, la NASA planche actuellement sur le télescope spatial Nancy-Grace-Roman dont sa mise en orbite initialement prévue pour 2025 est maintenant planifiée en 2027. Tous espèrent que l’expérience acquise avec le Webb permettra d’éviter dix années de retard. Deux suffiront amplement à éprouver notre patience.

JWST, la seule constante : les reports

En 2013, je corrigeais un article sur Wikipédia en lien avec le lancement du futur télescope spatial James Webb. Prévu pour 2014, il venait d’être repoussé en 2015. Puis ce fut 2018, 2020 et maintenant la NASA le planifie pour le 30 mars 2021. Son budget a déjà dépassé les 8,8 milliards USD et il reste toujours cloué au sol.

Quand un projet s’enlise, le résultat final risque souvent de décevoir. Voici quelques écueils probables.

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Lorsque l’instrument d’observation scientifique deviendra disponible, la technologie aura tellement évolué qu’il faudrait le recommencer.

Si d’autres reports surviennent, la fusée Ariane V qui devait l’amener dans l’espace aura probablement pris sa retraite.

Sa remplaçante ratera peut-être sa mise en orbite au point de Lagrange L2 du système Terre-Soleil.

Un défaut majeur causé par des changements mal contrôlés de dernière minute le condamnera peut-être à la stérilité.

Le télescope exécutera plus de manœuvres de correction de position que prévu réduisant d’autant sa durée de vie active.

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Contrairement à Hubble, son prédécesseur toujours opérationnel qui pouvait être réparé depuis l’espace, le JWST restera inatteignable à cause de son éloignement de la Terre (1,5 million de km), ce qui le rendra inutile en cas de panne quelconque, y compris d’ergol (carburant).

Scientifiquement parlant, chaque report du lancement du JWST s’avère être une catastrophe. Tous nos instruments astronomiques fonctionnent en partenariat avec les besoins des scientifiques. Les plans et les protocoles de recherche sont conçus en fonction des outils actuellement disponibles, mais aussi ceux à venir.

La complémentarité des télescopes à notre disposition est essentielle pour le succès de beaucoup d’études et lorsqu’un seul d’entre eux retarde sa mise en activité, il en résulte l’abandon de centaines de travaux de recherche majeurs.

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Pour ceux qui l’ignorent, contrairement à son prédécesseur, le télescope JWST ne captera pas tous les photons des longueurs d’onde visibles. Il trouvera sa niche à partir de l’orange, du rouge et jusque dans l’infrarouge proche et moyen. Sa sensibilité, par contre, sera des milliers de fois meilleure que les plus performants appareils actuels.