La différence entre précision et exactitude

La précision et l’exactitude sont-elles des termes identiques, interchangeables ? Bien qu’ils paraissent synonymes, ces mots disent pourtant deux choses bien différentes même si dans le langage de tous les jours, nous utilisons allègrement l’un et l’autre pour désigner à peu près le même genre de résultat. Afin de bien comprendre la différence fondamentale entre ces deux termes, analysons des impacts de balles sur quelques cibles. 

Les deux cibles de gauche montrent des tirs précis puisque toutes les deux ont des impacts en un seul regroupement serré. Les deux cibles à droite, en revanche, ont des impacts distribués, donc imprécis.

Les deux cibles en haut ont des tirs centrés, donc exacts, mais celle de droite souffre de moins de précision que celle de gauche.

Les cibles du bas montrent des tirs inexacts puisque le centre a été raté dans les deux cas. Celle de droite n’est pas plus ou moins exacte que celle de gauche, mais par contre elle est plus imprécise.

Correction de l’exactitude (le biais)
Lorsque les tirs sont inexacts comme dans les deux cibles du bas, il existe ce qu’on appelle « un biais » d’autant plus important que la distance moyenne des tirs par rapport au centre de la cible est élevée. Un biais est constant. Peu importe la précision des tirs, le centre de la cible sera systématiquement raté. Ce biais doit être prioritairement éliminé en désaxant la lunette ou la position du tireur. Grâce à une correction de la visée, les tirs deviennent exacts, mais ils peuvent encore se montrer imprécis.

Correction de la précision
Corriger la précision est un tout autre problème. Pour obtenir un haut taux de précision, chaque tir doit s’effectuer en préservant toutes les conditions des tirs précédents si celles-ci sont restées inchangées. En revanche, si des variations dans les conditions sont survenues, c’est là où le talent et l’expérience du tireur entrent fortement en ligne de compte.

Instruments scientifiques
Précision et exactitude s’appliquent à bien d’autres domaines que le tir sur cibles. Par exemple, en science, les instruments de mesure possèdent eux aussi ces deux caractéristiques.

Calibrage
Grâce à un calibrage utilisant un échantillon étalonné, on élimine premièrement le biais de lecture pour obtenir la meilleure exactitude possible. L’appareil doit donner une excellente mesure pour multitude de lectures même si dans un premier temps l’écart-type entre ces mesures est plus important que désiré.

Amélioration
Ensuite, pour améliorer la précision et ainsi réduire l’écart-type, il faut tout d’abord éliminer les variations des conditions environnementales. Position stable, température invariable, pression constante, distance fixe, etc. Ainsi, il est possible de réduire l’imprécision en stabilisant les paramètres environnementaux. Que restera-t-il ensuite ? Peut-on encore faire mieux ? Eh bien, certainement !

Jouer sur l’environnement
Contrôler l’environnement améliorera la précision mesurée, donc le rapport signal sur bruit (S/N : Signal to Noise ratio), mais il restera toujours un bruit de fond important. Et le réduire ne représente pas une mince tâche.

Bon rapport Signal/Bruit
Piètre rapport Signal/Bruit

La température et la pression constituent les deux plus grands ennemis de la précision. La température est en réalité une mesure de l’agitation moléculaire. En diminuant la température au plus proche possible du zéro absolu (0 K ou -273,15 °C), les molécules constituant le détecteur se figent et génèrent alors moins de bruit intrinsèque à l’instrument. Ensuite, en vidant le milieu de toute matière, on évite les perturbations causées par les molécules ambiantes.

Mais le vide créé technologiquement sur terre est bien plus imparfait que celui trouvé dans l’espace. C’est pourquoi l’envoi d’appareils de mesure dans le vide spatial, comme au point de Lagrange L2, permettant de les protéger des rayons solaires, devient parfois absolument nécessaire pour obtenir la précision requise pour mesurer de très petites variations de signal.

Un bruit récalcitrant
Placer un appareil de mesure dans des conditions idéales, éliminera-t-il toute source de bruit ? Eh bien non ! Il existera toujours un bruit résiduel fondamental qu’absolument rien ne pourra éliminer. Ainsi, la précision d’une mesure n’atteindra jamais des sommets absolus. Ce bruit provient des fluctuations quantiques inhérentes à tout ce qui existe. Nous parlons ici du fameux principe d’indétermination (incertitude) de Heisenberg. Donc, le rapport signal sur bruit sera toujours bloqué à une valeur limite infranchissable et quoi qu’on fasse, rien n’y fera, les lois de la physique quantique étant immuables.

Un exemple, le JWST
La localisation choisie pour opérer le télescope James Webb au point de Lagrange L2 ainsi que son coût exorbitant s’expliquent plus aisément lorsqu’on connait les principes d’exactitude et de précision. Sans l’optimisation de ces deux critères, les objectifs scientifiques poursuivis par les scientifiques ne seraient jamais atteints.

Quelle bonne nouvelle ! Il semblerait que ce fameux rapport S/N soit meilleur que celui prévu par les scientifiques. Ainsi, JWST est non seulement exact, mais également plus précis. On pourra le pousser à voir des objets célestes encore plus éloignés ou encore plus petits avec un minimum de flou.

Cycles des ajustements
Remettre son travail cent fois sur le métier, il faut souvent accumuler plusieurs cycles de calibrage-amélioration (exactitude-précision) avant d’obtenir les performances escomptées.

Un autre exemple, valable inversement pour les deux sexes
Tous les hommes le savent, les femmes s’avèrent difficiles à comprendre, à cerner. Nous sommes en présence d’un cas de mesure où l’exactitude et la précision sont au cœur du problème. On peut devenir meilleur à regrouper certaines phrases sous différents thèmes. On améliore ainsi la précision de nos interprétations, mais sont-elles exactes pour autant ? Je dirais, rarement. On peut correctement regrouper ses déclarations, c’est quand même possible d’avoir tout faux sur leur sens exact. On parle effectivement d’un biais d’interprétation.

Et comme en physique quantique, peu importe les efforts déployés pour tout comprendre de la femme, il restera toujours une zone d’ombre impossible à éclaircir. Ce sont ses fluctuations intrinsèques où son bruit devient beaucoup plus grand que la clarté de son signal.

Il n’en sera jamais autrement, faire du bruit, crier, ne sert donc qu’à masquer le véritable message parfois trop subtil ou sensible pour le proférer avec force et conviction. Comprendre sans rien dire reste une lubie impossible à concrétiser. On ne parle plus de comprendre, mais d’accepter.

Alors, chérie, j’aurai beau améliorer mon écoute aux limites du possible, si tes paroles inutiles, le bruit dans ta conversation, dépassent largement les phrases importantes, je ne parviendrai jamais à te comprendre, et ce peu importe mes efforts. Et crier n’améliorera rien, bien au contraire !

Mais si l’on se donne plusieurs cycles pour s’améliorer l’un l’autre, je te promets que nous arriverons à de bien meilleurs résultats. Je te comprendrai plus souvent même si tu ne t’exprimes pas toujours de la même façon, pourvu que tu laisses tomber toutes ces phrases ayant pour seul effet de noyer le poisson dans une mer de futilités.

L’image du trou noir

Ça y est, l’équipe de l’EHT y est enfin parvenue. Une image réelle d’un trou noir supermassif a été rendue publique après d’importants délais sur l’échéancier initial. Vous l’avez probablement vue, elle orne également le sommet de cet article. Elle s’est répandue comme une trainée de poudre pour rapidement faire le tour de la planète. Je suspecte seulement la tribu amazonienne de la vallée de la rivière Javary ou celle de l’ile North Sentinel en mer d’Andaman de l’avoir ratée. À part ça, tout le monde en a entendu parler.

Des exploits technologiques multiples et sensationnels ont permis ce tour de force pourtant assez prévisible, car malgré le succès de la mission, malgré l’exotisme de cette image, l’équipe n’a finalement que très peu prouvé de choses qu’on ne savait déjà.

En fait, cette image ne prouve rien de nouveau ou de différent, pas même l’existence des trous noirs. Nous sommes si conditionnés à croire aux seules preuves visuelles qu’on ignore que les vraies preuves de l’existence de ces monstres stellaires ont été récoltées depuis un certain temps sous d’autres formes. Mais voir, c’est croire et l’équipe de l’EHT a profité de notre façon primitive d’aborder la vérité pour réaliser un événement médiatique planétaire.

Les gens formant cette équipe savaient exactement là où pointer leurs instruments afin de réaliser cette image. Ils connaissaient déjà avec certitude l’existence de ce monstre supermassif au centre de la galaxie M87. Et non seulement ils connaissaient son existence, ils connaissaient également sa position exacte, sa masse (6,5 milliards de fois la masse de notre Soleil) et ses dimensions précises. Donc, du point de vue strictement scientifique, ils n’ont absolument rien découvert.

Nous connaissons cet étrange phénomène cosmique qu’est le trou noir depuis plus d’un siècle. C’est bien Albert Einstein qui, en élaborant sa formule de la relativité générale, a permis de comprendre comment les trous noirs pouvaient exister. Cependant, contrairement à bien des déclarations faites en ce sens, le grand homme ne les a jamais prédits. C’est un dénommé Karl Schwarzschild qui a résolu les équations pour une étoile et qui a découvert qu’en deçà d’un certain rayon, la gravitation génère un espace temps si courbe qu’il crée une singularité, un point de densité infinie dans un rayon nul. Einstein croyait en ses équations, mais pas aux trous noirs. D’après lui, la Nature possédait un mécanisme qui devait empêcher ces anomalies d’apparaitre. Il avait tort puisque les trous noirs existent bel et bien.

D’ailleurs, il faut savoir que cette image ne montre pas du tout un trou noir. Stricto sensu, un trou noir est un point infiniment petit et parfaitement noir de surcroit. Donc personne ne photographiera jamais un véritable trou noir. Mais alors, que montre cette foutue image si ce n’est pas un trou noir? Elle montre les effets causés par un point infiniment dense sur son environnement. Le trou noir est donc bien là, mais c’est un point plus que microscopique tapi au cœur de toute cette sphère noire environnante.

Et cette partie noire dans l’image, ce n’est pas le trou noir? Non. Ce noir n’est même pas un objet, ce n’est que du vide entourant le trou noir qui, je le répète, est infinitésimalement petit. Cette région noire est occasionnée par deux phénomènes créés, évidemment, par la présence d’un trou noir. La partie la plus centrale, environ le tiers du rayon, c’est ce qu’on appelle l’horizon du trou noir, ou l’horizon des événements. Tout ce qui s’approche d’aussi près du centre ne pourra jamais échapper à son attraction gravitationnelle, pas même de la lumière. C’est pourquoi la noirceur de cette sphère est totale et absolue et est d’autant plus grosse que le trou noir central possède une masse importante. La partie noire plus externe, on l’appelle, à tort, l’ombre ou l’ombrage du trou noir. On ne voit pas de démarcation entre les deux zones noires. Je dis «à tort» puisqu’un point infiniment petit ne peut faire qu’une ombre infiniment petite. On aurait été plus avisé d’appeler cette zone «la démarcation» du trou noir.

Le halo orange autour de la zone noire est son disque d’accrétion. Un trou noir en rotation aplatit sous forme de disque toute masse gazeuse ou solide qui a eu le malheur de trop s’en rapprocher. Il avalera cette matière un peu à la fois, faisant grossir sa masse et la surface de la sphère noire inconsistante l’entourant.

Vous vous dites peut-être que c’est une analyse digne du Corbot. En précisant certains faits, je semble vouloir dégonfler à tout prix l’importance du succès. Non, je le ramène simplement là où il doit se situer dans l’échelle des événements marquants. Ce cliché ne méritait pas les éloges dithyrambiques du genre: «Il y a eu un monde avant cette image et il y en a un autre après».

Holà! Wo les moteurs! Calmez-leur le pompon à cette équipe ou à la meute de journalistes en quête de la primeur du siècle. Le seul véritable grand succès de l’EHT est d’avoir réalisé un interféromètre des dimensions de notre planète possédant la résolution et la sensibilité nécessaires pour débusquer cet objet céleste. Elle n’a pas inventé l’interférométrie non plus, elle a simplement amélioré ses capacités par des techniques innovantes. C’est d’abord et avant tout un succès purement technique, pas scientifique. Je ne lui enlève aucune valeur, mais je refuse qu’elle s’arroge ou qu’on lui attribue la paternité de la première preuve de l’existence d’un trou noir, vraie image, mais fausse preuve de surcroit.

Bon, ça vous explique peut-être pourquoi j’ai tant attendu avant de vous faire part de mon opinion. J’ignorais, évidemment, comment les journalistes traiteraient le sujet, même si je m’en doutais un peu. J’ai lu et entendu beaucoup de bons articles et reportages. J’ai également été témoin de bien des stupidités. Faut croire qu’elles viennent comme les chaussures, toujours en paires, les uns sans les autres.

Je croyais que l’équipe dévoilerait tout d’abord une image de Sgr A*, le trou noir formant le cœur de notre propre galaxie, beaucoup plus petit que celui de M 87, mais autrement plus près de nous. Cela viendra probablement bientôt. L’image qu’elle a préféré montrer s’avérait probablement plus nette que celle de Sgr A* et pour une première, l’équipe a choisi la plus impressionnante des deux.

L’EHT continue ses travaux et espère encore augmenter la qualité de ses images. Le trop attendu télescope spatial James Webb viendra changer la donne lorsqu’il daignera enfin flotter dans l’espace bien loin de la Terre. La résolution de l’interféromètre s’améliorera d’un facteur aussi important que celui de l’EHT sur ses prédécesseurs. Et là, peut-être, commencerons-nous à réaliser de véritables percées scientifiques en ce qui concerne la frontière actuelle de nos connaissances sur la physique des trous noirs.

JWST, la seule constante : les reports

En 2013, je corrigeais un article sur Wikipédia en lien avec le lancement du futur télescope spatial James Webb. Prévu pour 2014, il venait d’être repoussé en 2015. Puis ce fut 2018, 2020 et maintenant la NASA le planifie pour le 30 mars 2021. Son budget a déjà dépassé les 8,8 milliards USD et il reste toujours cloué au sol.

Quand un projet s’enlise, le résultat final risque souvent de décevoir. Voici quelques écueils probables.

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Lorsque l’instrument d’observation scientifique deviendra disponible, la technologie aura tellement évolué qu’il faudrait le recommencer.

Si d’autres reports surviennent, la fusée Ariane V qui devait l’amener dans l’espace aura probablement pris sa retraite.

Sa remplaçante ratera peut-être sa mise en orbite au point de Lagrange L2 du système Terre-Soleil.

Un défaut majeur causé par des changements mal contrôlés de dernière minute le condamnera peut-être à la stérilité.

Le télescope exécutera plus de manœuvres de correction de position que prévu réduisant d’autant sa durée de vie active.

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Contrairement à Hubble, son prédécesseur toujours opérationnel qui pouvait être réparé depuis l’espace, le JWST restera inatteignable à cause de son éloignement de la Terre (1,5 million de km), ce qui le rendra inutile en cas de panne quelconque, y compris d’ergol (carburant).

Scientifiquement parlant, chaque report du lancement du JWST s’avère être une catastrophe. Tous nos instruments astronomiques fonctionnent en partenariat avec les besoins des scientifiques. Les plans et les protocoles de recherche sont conçus en fonction des outils actuellement disponibles, mais aussi ceux à venir.

La complémentarité des télescopes à notre disposition est essentielle pour le succès de beaucoup d’études et lorsqu’un seul d’entre eux retarde sa mise en activité, il en résulte l’abandon de centaines de travaux de recherche majeurs.

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Pour ceux qui l’ignorent, contrairement à son prédécesseur, le télescope JWST ne captera pas tous les photons des longueurs d’onde visibles. Il trouvera sa niche à partir de l’orange, du rouge et jusque dans l’infrarouge proche et moyen. Sa sensibilité, par contre, sera des milliers de fois meilleure que les plus performants appareils actuels.