Troupeau fluvial

À hauteur de Montréal, les seules baleines qu’il est possible de voir sont des individus perdus et souvent malades. Ce ne sont donc pas ces mammifères marins qui ont dérangé ma concentration ce matin, mais un énorme troupeau de kayaks, dont plusieurs spécimens partageant la même carapace. Bien qu’on n’aperçoive que deux appendices au maximum, il suffit d’attendre que la bête sorte de sa carapace pour apercevoir les autres servant surtout à leur locomotion sur la terre ferme. Ces animaux sont effectivement capables de se déplacer aussi bien, sinon mieux, sur terre que sur les eaux.

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Lorsque les individus se retrouvent en groupe, les femelles poussent des cris stridents afin d’encourager les mâles à accélérer, ou à tout le moins à ne pas relâcher leurs efforts. Durant les déplacements, il est donc rare d’entendre le cri des mâles qui préfèrent attendre d’accoster pour faire les jars auprès des femelles.

Certains mâles s’affrontent dans des combats qui heureusement font peu de victimes. Leur stratégie consiste à s’emparer d’un objet cylindrique et de le frapper contre celui de son adversaire en entonnant un chant ou en criant de façon très représentative. Parfois, ils s’échangent des prises de mains qu’ils secouent jusqu’à ce que l’un des deux adversaires déclare forfait. Chacun se tourne alors pour défier un autre mâle jusqu’à ce que la joute ait vu s’affronter toutes les paires d’individus. À de rares occasions, les mâles s’affrontent en se frappant légèrement le torse, mais pas suffisamment violemment pour y voir un combat visant à blesser.

Durant la démonstration de force des mâles, les femelles se tiennent en bande en se frottant les museaux, en poussant des gloussements, tandis que quelques-unes poussent des cris stridents d’alerte. Le troupeau semble ne pas trop écouter ces vigies un peu trop inquiètes, ne sentant probablement aucun danger dans les environs.

Les individus des deux sexes se réunissent ensuite pour avaler tout ce qui se trouve dans les environs. Étant omnivores, les kayaks avalent aussi bien des fruits et des légumes que des morceaux de viande qu’ils conservent et transportent dans leur carapace. En revanche, ils ont fait la fine gueule sur les insectes environnants, probablement à cause de l’abondance d’autres sources protéinées qu’ils avaient apportées dans leur carapace.

Le troupeau est manifestement constitué de couples, mais je n’ai assisté à aucun accouplement. J’ai cependant aperçu des couples d’individus du même sexe et pourtant cela n’était pas dû à une sous-représentation de l’un des deux, puisque j’ai entrevu aussi bien deux mâles que deux femelles se frotter le museau et utiliser quelques-unes de leurs pattes pour gentiment entourer une partie quelconque du corps de leur partenaire. C’était plutôt touchant à voir, à croire qu’il y aurait une sorte d’amour entre certains individus !

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Le mâle alpha, celui menant le groupe, n’a fait aucune tentative d’ensemencer les femelles. Il s’est contenté de parader fièrement parmi les couples, comme si tous les mâles et femelles lui appartenaient.

J’ai également constaté un comportement très étonnant. Les individus les moins habiles sur l’eau recevaient l’aide d’un membre du troupeau visiblement expérimenté. Il se maintenait derrière tous les autres individus et allait apporter son aide à ceux qui se laissaient distancer. Sur terre, il a semblé poursuivre ses leçons en passant le plus clair de son temps avec les mêmes individus. Il gesticulait beaucoup en imitant les mouvements de ses pattes antérieures lorsqu’il se déplaçait sur l’eau avec sa carapace. Fascinant ! On aurait vraiment dit un professeur avec ses élèves !

Après leur repos sur la berge, le troupeau s’est remis en route. Je les ai vus retraverser la rivière à bonne cadence, tous à la queue leu leu, en direction opposée. Puisqu’ils ont utilisé leurs réserves de nourriture enfouies dans leur carapace plutôt que de manger les aliments qu’ils auraient pu trouver sur place, j’ignore totalement la raison de ce déplacement. Je crois qu’ils exercent leurs muscles, probablement pour une longue migration. Effectivement, je n’ai jamais vu un spécimen de kayak durant l’hiver, même sur la terre ferme. La gelée des eaux les incite donc à disparaitre dans des lieux plus accueillants pour satisfaire leurs habitudes nautiques.

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J’ai pu également constater que les kayaks avaient adopté un individu d’une autre espèce. Plutôt que de revêtir une carapace, la partie molle de cette bête ressortait totalement de sa partie dure flottante. Je crois qu’il fait partie de la famille des boards. Debout sur ses pattes postérieures, l’animal secouait violemment une branche dans l’eau et ce faisant, il réussissait à se mouvoir, mais avec peine à comparer aux kayaks mieux balancés et dont leur centre de gravité très bas augmente la stabilité. Cependant, l’unique représentant de cette espèce au sein de la flottille est toujours resté bien entouré, preuve de son acceptation parmi le troupeau de kayaks.

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On reconnait les kayaks à leur forme allongée et à leurs couleurs généralement très vives. Dominance marquée des rouges, des orangés et des jaunes pour leur carapace, en revanche, leur partie molle montre une étonnante palette permettant de distinguer facilement les individus les uns des autres.

Les origines du mot kayak restent nébuleuses, même si certains prétendent qu’il imite le bruit émis par un troupeau en déplacement. Personnellement, je n’ai pas perçu précisément ce son. Au mieux, j’ai entendu une femelle émettre à répétition quelque chose qui ressemblait à « sékoa yak sékoa yak » lorsqu’elle a posé le pied dans les fèces d’un animal quelconque, probablement celles d’un chien. Elle courait ensuite partout comme une poule sans tête. La bête a heureusement fini par se calmer sans se blesser.

Le nombre total d’individus de cette espèce sur notre territoire serait en augmentation constante depuis plusieurs années. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter pour l’instant. Sa chasse reste tout de même interdite en toute saison. On ne lui connait aucun prédateur, son épaisse carapace le protégeant efficacement.

Prof 101

Le sujet de cet article m’a été inspiré par Mimika [lespetitesastucesdemimika.com]

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Je m’émerveille toujours lorsque je vois une personne comprendre une notion qui semblait nébuleuse, trop compliquée, incompréhensible, insaisissable. Puis soudain, grâce à une explication, une comparaison, une analogie ou une image, la lumière de la compréhension surgit en éblouissant son visage, la rendant plus lumineuse que le soleil. 

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Parfois, la magie opère dans le sens contraire. Une personne a toujours cru et considéré qu’un truc fonctionnait de telle ou telle façon et, tout à coup, sortant d’un chapeau, la vraie explication vient la frapper en plein front. Ce qui lui avait semblé simple et évident lui montre tout à coup ses vraies couleurs. Instantanément, des liens se tissent avec d’autres éléments et certaines pièces manquantes d’un grand puzzle viennent tout à coup d’apparaitre comme par enchantement et prendre place sans effort dans la grande trame des connaissances qui, quelques fois, avait été tissée de travers.

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Un professeur a l’immense privilège d’être assis aux premières loges pour voir ces transformations survenir. Les gynécologues et les sages-femmes aident les mères à accoucher de leurs bébés. Un prof aide les gens à enraciner les connaissances dans le meilleur terreau possible et aussi à les faire accoucher de leurs meilleures idées. Elles sont toutes deux des naissances, des con-naissances fraichement mises au monde.

Frapper sur la tête d’un clou n’incruste pas les connaissances, les répétitions oiseuses ne font qu’affaiblir le clou qui finira par plier. Les liens tissés entre les différents éléments de connaissance s’avèrent certainement plus efficaces que les scies répétées ad nauseam. Diversifier les points de vue est certainement l’un des exercices les plus complexes qu’un prof est appelé à exécuter. S’il possède sa matière à fond, il sera en mesure d’alterner les angles de vues, de varier les perspectives, sans jamais perdre le fil, ni le nord de la matière à enseigner.

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Un exercice encore plus périlleux pour le prof que des exercices de changements de perspectives, ce sont les analogies. La Nature est bien faite et parfois, les règles gagnantes dans un domaine de connaissances peuvent être transposées dans un autre domaine. Toutefois, les analogies bancales pleuvent bien trop souvent. Et plutôt que d’aider l’étudiant, elles risquent de l’embrouiller définitivement. Si un étudiant éprouve des difficultés à comprendre un principe quelconque, ce n’est certainement pas en l’enlisant dans de mauvaises comparaisons qu’il en sortira meilleur.

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Un prof qui ne possède pas sa matière sera souvent incapable de dévier de son cursus et frappera la tête des clous sans arrêt, espérant que sa trente-neuvième tentative sera la bonne. S’il est animé de bonnes intentions, il cherchera une analogie. Toutefois, sans compréhension approfondie de sa propre matière, chercher une explication dans un autre domaine encore moins maitrisé est voué à n’engendrer que des absurdités.

Et vous, étudiant, lorsque vous subissez ces mauvais enseignements, vous vous traitez de cancre pour ne pas comprendre la matière enseignée, ni comprendre l’analogie, ni comprendre le lien (souvent inexistant) reliant l’une à l’autre.

Un professeur compétent a respecté trois règles primordiales de l’enseignement.

1. Il possède la matière qu’il enseigne dans le domaine d’études en question.
2. Il possède la matière qu’il n’enseigne pas dans le domaine d’études en question
3. Il possède la matière qu’il n’enseigne pas dans d’autres domaines d’études.

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Un prof aux connaissances trop étroites cognera sur la tête des clous et il se verra incapable de forger des analogies pertinentes. Il ne pourra pas mettre les connaissances en perspective, les attacher les unes aux autres, en extrapoler les effets sur les prochains niveaux de connaissances. Il se bornera à jouer le rôle de perroquet.

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L’enseignement se rapproche d’être un art, car il semble si facile lorsqu’il est exécuté avec maitrise et il semble si laborieux lorsqu’un néophyte s’y risque.

Mais attention, un bon prof n’est pas qu’une encyclopédie. Si l’étendue et la variété de ses connaissances sont essentielles, plusieurs autres facteurs influenceront le succès ou l’échec de leurs transmissions.

J’en parlerai dans un prochain article.

Écriture cursive

Écrivez-vous encore cursivement ?

Oui, vous savez, l’écriture avant les traitements de texte ? Ça ne vous dit rien ? L’écriture avec un stylo ou un crayon ou mieux encore, avec une plume ? Non, pas une vraie plume avec ses barbes et ses barbules. Une plume fontaine, oui, une plume qui coule comme une fontaine. Mais qui cesse de couler quand on la relève. Tiens, ça me donne une idée pour ma copine et ses… enfin, je m’égare.

L’écriture cursive, les lettres attachées. Attachées, pas emprisonnées, pas prises en otage non plus. Il faut donc tout vous expliquer. Regardez l’image en tête, c’est de l’écriture cursive. Euh, imitée par un ordinateur, c’est vrai.

Je me suis rendu compte que je perds, ou j’ai déjà perdu, la capacité d’écrire cursivement. Les lettres ne s’écrivent pas suffisamment vite par rapport à ma vitesse au clavier. Donc j’écris une lettre sur deux ou elles finissent par toutes se ressembler. Un L, un T sans barre, un I, c’est l’enfer par la suite d’essayer de me relire. J’abandonne et je me concentre pour recomposer le texte à l’ordi, c’est plus rapide.

J’ai entendu dire que bientôt, l’écriture cursive ne sera plus enseignée. Je n’ai rien contre. Elle deviendra un sujet universitaire classé dans la section des écritures codées. Ce n’est plus bien grave. Les Égyptiens ont bien perdu la connaissance de leurs hiéroglyphes durant des millénaires et on a bien réussi à retrouver leur sens en lisant la pierre de Rosette. Des universitaires ont fait le boulot de déchiffrage et aujourd’hui ces dessins antédiluviens n’ont plus de secrets.

Êtes-vous nostalgique de l’écriture cursive ? Pas moi, parce que depuis longtemps, je n’écris plus en lettres attachées. J’écrivais les lettres de mon écriture cursive en les détachant les unes des autres. Je trouvais ma méthode plus rapide que de dessiner les queues entre les lettres.

Alors, gardez bien vos polices de caractères qui imitent l’écriture cursive, vos descendants deviendront peut-être le Champollion de leur temps.