F comme dans français

Voici le temps venu de m’attaquer à une autre lettre de notre alphabet et à un mot commençant par celle-ci. Aujourd’hui, dans ce onzième article de la série, je traite de la sixième lettre et d’un mot pas ordinaire.

Pauvre f ! Une lettre qui en souffre, s’il en faut. Sa graphie majuscule (F) l’expose à tomber sur le côté, déséquilibré par un centre de gravité trop élevé et une asymétrie difforme peu esthétique. Seul le P partage ses mêmes défauts et tous les deux se ressemblent étrangement. Le F me fait penser à un E raté ou à un P tronqué parce qu’écrit trop près de la bordure du papier.

Et encore plus étonnant, le p remplace souvent le son du f lorsqu’il est associé à un h comme dans les mots francophone, éléphant, camphre et phallus. Phallait phichtrement se phoutre du f pour le transphormer si phréquemment et phrénétiquement en ph !

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En français, 3519 mots commencent par cette lettre, dont 616 adjectifs, et pas les moindres. Fabuleux, fameux, fantastique, faste, fécond, féérique, fervent, fiable, fin, fleuri, formidable, fort, fougueux, frais, franc, friand, fructueux, fruité, fulgurant, futé, le f semble fait pour formuler des finesses et des flatteries.

On ne peut toutefois faire abstraction de son autre face lorsqu’il est fâché, factice, fadasse, faiblard, faillible, fallacieux, falot, famélique, fantoche, fauché, fautif, faux, félon, fétide, fielleux, flasque, flétri, foirard, foutu, frauduleux, frelaté, frigide, fripé, fruste ou futile. L’hypothèse d’un f fin est donc réfutée.

523 autres adjectifs se terminent par un f, la plupart adoptant la terminaison -if au masculin.

La sonorité du f est une fricative labiodentale sourde. Autrement dit, c’est un frottement, un souffle formé par le resserrement du canal vocal et l’utilisation simultanée des lèvres et des dents pour émettre des basses fréquences. Son symbole phonétique international n’est rien d’autre que le f minuscule (f). Le f s’amuït lorsqu’il termine un mot comme dans bœuf, cerf, nerf ou clef. On le prononce comme un v en liaison avec quelques mots comme dans neuf heures.

Le mot le plus court contenant le plus de f est fieffé puisque aucun mot ne contient quatre f, mis à part un anglicisme ou deux que je récuse.

L’alphabet de l’OTAN utilise le mot Foxtrot pour désigner la lettre F. Elle vaut 4 points au Scrabble français.

En majuscule, c’est le symbole du farad, une unité utilisée pour exprimer la capacité des condensateurs électroniques. Elle est issue du grand physicien Michael Faraday. L’usage des degrés Fahrenheit (°F) tend à disparaitre, mais reste encore l’unité principalement utilisée aux É.U.A. pour désigner les températures ambiantes. En chimie, on représente le fluor par la lettre F, mais auparavant elle était utilisée pour désigner le fer qui a dû ensuite se contenter du symbole Fe.

En mathématiques, il présente surtout une fonction f(x), c’est-à-dire qu’on entre des valeurs dans la fonction et il en ressort d’autres valeurs.

En musique anglo-saxonne, le F signifie la note fa. Écrit en minuscule italique (f) au-dessus de la portée, il faut la jouer forte, ff fortissimo, et fff c’est le plus fort possible.

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Évidemment, le f ne peut qu’être important pour le français et il n’est pas fortuit d’avoir choisi ce mot pour le représenter. Tous les francophones le savent, et a fortiori les étudiants dont leur langue maternelle diffère, la langue française n’est pas des plus simples. Plus facile cependant que le latin dont elle découle, elle demeure tout de même remplie de conjugaisons complexes, d’exceptions inattendues et de difficultés nombreuses et étonnantes issues de son histoire riche et passionnante, mais également d’académiciens élitistes et retors qui l’ont compliquée parfois à outrance.

Aujourd’hui, le pire ennemi du français reste le français et surtout sa façon d’évoluer. Lisez l’article « Dictionnaires réactifs : langue bâtarde » pour savoir ce que j’en pense. Autrefois très influent auprès des autres langues, dont l’anglais, aujourd’hui le français traine de la patte et se montre incapable de réagir vivement et adéquatement aux bousculades causées par la flopée des termes anglais issus de la technologie, des sciences et de la culture hégémonique actuelle autrement qu’en les empruntant.

Heureusement, le français continue tout de même d’évoluer, mais cette évolution ne prend pas les mêmes orientations partout où cette langue est parlée. L’insertion graduelle de mots issus d’acronymes locaux la régionalise en fragilisant son internationalisation.

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L’autre horreur est l’insertion dans les dictionnaires officiels de mots issus du verlan, un argot inutilisé par une grande partie de la francophonie. Il vaudrait mieux s’en tenir à un lexique exclusivement dédié au verlan et expulser des dictionnaires ces termes qui n’apportent aucune différence dans la signification du mot écrit à l’endroit.

Utiliser le terme chelou plutôt que le mot louche m’indispose en tant que francophone amoureux de sa langue. Et je saute les plombs lorsque des films traduits en français font un usage immodéré du verlan et des acronymes locaux parisiens lorsque le rayonnement de la traduction de l’œuvre se veut mondial.

Vous pourriez m’accuser d’être paradoxal puisque j’ai écrit une série d’articles intitulés « Expression québécoise… ». Voir la page Thèmes sur mon site pour les retrouver tous. Certains de ces mots et expressions ont été homologués et apparaissent maintenant dans les grands dictionnaires français. Chaque mot accepté doit obligatoirement exprimer une idée différente et unique par rapport aux autres entrées, une notion absente des mots en verlan qui constitue simplement un principe de codage.

Les mots québécois et les expressions qui en découlent et que je présente sur mon blogue visent à les faire connaitre en enrichissant le vocabulaire et la langue, pas à globaliser des régionalismes uniquement utiles aux gens vivant dans une certaine réalité politique délimitée. Je m’en tiens aux mots et expressions pouvant être utilisés par tout le monde et qui apportent une compréhension de notre histoire, parfois avec un peu d’humour.

Pour terminer cet article fondamental sur le f et le formidable français qui nous unit tous, partout où nous vivons sur la planète, soyons des amoureux respectueux de cette langue belle, riche, imagée et capable de fantastiques trouvailles lorsqu’elle est finement travaillée. Elle nous emporte, nous fait rêver, et voyager, nous fait pleurer, nous fait réfléchir, partage nos idées, nos opinions et surtout, elle nous fait vivre en communauté. Soyons fiers d’être francophones, soyons généreux avec les francophiles, soyons indulgents et pédagogues envers les gens cherchant à la parler ou à l’écrire, soyons avisés dans nos choix lorsque nous la parlons et encore plus lorsque nous l’écrivons.

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À l’instar du f qui montre une grande fragilité, notre langue est sans conteste vulnérable. Puisque le français nous unit tous, il est possible de garantir sa pérennité en travaillant de concert. Ainsi, nous transformerons le fluet f en un F ferme et fructueux qui ne se laissera pas affaiblir par les forces fluctuantes à l’affut de ses failles pour refréner sa diffusion.

Il ne suffit pas d’être francophone, nous devons tous être des indéfectibles francophiles, amoureux de notre langue commune, bref, de fervents fanatiques du français.

Voilà, filez, c’est fini.

Expressions québécoises – 4

L’expression est : « courir la galipote ».

En français, il existe le galipot et les galipettes, mais pas la galipote.

Le galipot [galipo] est une résine exsudant des arbres résineux ou encore un produit destiné à imperméabiliser les coques de bateaux fabriqué à partir du galipot des arbres.

Les galipettes sont des cabrioles. Ce sont aussi des jeux coquins, des ébats où les pirouettes ne ressemblent en rien à celles de notre enfance. Faire des galipettes avec une jolie partenaire, ça tient son homme vert.

La signification de « courir la galipote » est : « Multiplier les rencontres amoureuses d’un soir ». «  Sortir et flirter tout ce qui bouge ».

En ce sens, « galipote » semblerait plus tenir des galipettes que du galipot, mais l’analyse ne se termine pas ici.

Quand on court la galipote, on picole. On boit pour flirter et on flirte pour frayer.

Académiquement, c’est mener une vie de débauche, plus spécifiquement axée sur des amours sans lendemain.

Le correcteur Antidote admet le mot galipote comme québécisme.

Courir la galipote n’est pas toujours gage de succès. On peut très bien courir la galipote sans marquer une seule touche. C’est plus dans l’intention que dans le résultat qu’on court la galipote. Pour certains plus habiles, le dénouement est plutôt assuré. Pour d’autres, ils auront beau courir la galipote, ils rentreront tout de même bredouilles.

En anglais, le mot galipot existe également. Il est parfois écrit « gallipot». Certains le prononcent comme galipot en français alors que d’autres prononcent le t, exactement comme pour le mot galipote. Il tire ses origines du mot français galipot et signifie la même chose, a pitch.

Il est donc possible que « galipote » provienne de la prononciation du mot galipot par des anglophones dont nous aurions calqué leur prononciation. D’ailleurs, la plupart des anglophones prononcent mon nom en insistant sur le t à la fin (Lecorbote).

Quant à la relation entre une résine et le fait de s’envoyer fréquemment en l’air, il se peut que pour fabriquer du galipot, il faille courir d’arbre en arbre afin d’en recueillir une quantité suffisante. Ainsi, on court après les conquêtes comme on court après le galipot. On court la galipote.