La société humaine a franchi une étape charnière de son évolution le jour où elle a commencé à chasser en groupe. Ces sociétés de chasseurs-cueilleurs l’ignoraient, mais ils venaient d’inventer la fragilité individuelle.
Cueillir sa nourriture reste un acte solitaire et semblable pour tous les cueilleurs. À ce niveau d’évolution, un acte sociétal est tout de même faisable, celui de mettre les denrées en commun pour les distribuer selon une équité ou selon un mérite quelconque.
On peut se comporter de la même façon à la chasse. Tuer une perdrix ou un lièvre s’effectue individuellement. Toutefois, tuer un bison ou un mammouth est une autre paire de manches. Sans spécialisations, certaines pour attirer la bête, l’isoler, pour la rabattre en enfin pour l’abattre, la chasse aux gros gibiers resterait inefficace. Chacun s’occupant d’une tâche distincte, elles sont mises en commun dans un processus global permettant au bout du compte d’attraper la proie et de gagner, ce faisant, le droit de recevoir une part du gibier.
D’une chasse à l’autre, les individus amélioraient leur technique, savaient choisir et appliquer les meilleures méthodes lorsque les conditions changeaient. Ils acquéraient ainsi un rôle pratiquement indispensable, mais en contrepartie ils devenaient quelconques sinon médiocres dans les autres spécialités.
Chaque humain étant différent, l’efficacité d’un groupe augmente avec celle de chaque spécialisation. Accomplir certaines tâches précises parmi un ensemble possible devient un atout non négligeable pour la communauté. Les besoins globaux ainsi que les talents naturels des nouveaux membres définissaient leur futur rôle.
Maintenant, il est devenu impensable de vivre de manière autonome, nous devons tous nous fier aux autres. Même les ermites ayant décidé de vivre retirés et de ne se nourrir que de leurs chasses, pêches, cultures et cueillettes utilisent des tas d’outils fabriqués par notre société, des graines provenant d’elle et des vêtements issus des métiers à tisser. Ils échangent leurs surplus contre d’autres denrées ou équipements impossibles à obtenir ou fabriquer dans leur milieu.
La spécialisation n’a cessé de grandir avec le nombre d’humains peuplant la Terre. On peut dire que le niveau technologique croit en fonction du nombre d’individus. Acquérir autant de compétences variées aussi complexes et si rapidement avec le dixième de notre population n’aurait pas été possible. Le temps nécessaire à atteindre le même niveau d’achèvement aurait été multiplié par un facteur bien plus grand que dix. Imparfaitement imagé par le concept du tas de sable, pour qu’il croisse, une base de plus en plus vaste s’avère nécessaire. L’imperfection de cette image provient de l’angle de la pente, environ 30° pour le sable, variable pour les connaissances accumulées.
Plus les spécialisations deviennent grandes, plus elles fragilisent les individus, car des disparitions soudaines de leurs besoins engendrent l’inutilité et l’improductivité immédiates des citoyens s’étant dédiés à les combler. L’impossibilité de se parfaire rapidement dans d’autres spécialités qui prennent parfois plusieurs années à acquérir engendre ce qu’on nomme le chômage systémique et ses dangers croissent au fur et à mesure de la surspécialisation des métiers.
La formation continue s’avère alors la seule planche de salut pour réduire les risques d’obsolescence. Elle ne constitue pas un luxe, mais devient une nécessité dans la plupart des domaines de spécialisation.
Le temps est révolu depuis longtemps où nous passions nos années de jeunesse à apprendre un métier qui nous suivrait ensuite toute notre vie. Dès notre sortie de l’école, nous devons immédiatement penser à y retourner. Ce perfectionnement constant doit s’inscrire dans une planification régulière, au même titre que la famille, les amis et les loisirs. Ceux qui y adhèrent garderont toute leur pertinence au cours de leur vie active de travailleur au sein d’une société hyper technologique. Les autres, la chance déterminera leur sort en fonction d’aléas totalement hors de leur contrôle.
Il me semble que l’individu solitaire ne soit pas une réalité historique. D’emblé les premiers hommes étaient en groupe, pour cueillir, pour chasser etc. Par contre la vrai nouveauté c’est la spécialisation, soit en d’autre terme la division du travail. Mais peut être que se spécialiser c’est aussi se réaliser? Ne vaut il pas mieux un très bon peintre mauvais en musique qu’un musicien banal moyen en peinture? La fragilisation ne viendrait elle pas justement du fait que l on peine a se spécialiser mais que paradoxalement on vie dans une société qui nous fait croire que l’on pourrait être autrement ? Avant les paysans ne rêvaient pas d’etre des princes, ils savaient que leur descendance serait paysanne. Aujourd’hui tout le monde croit pouvoir devenir président de la République.
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L’individu n’a jamais été historiquement solitaire, mais il pouvait s’adonner à des tâches solitaires non spécialisées comme la cueillette, la pêche et la chasse au petit gibier qui ne nécessitaient pas d’être plus spécialisé que ses semblables faisant le même travail. Se spécialiser permet effectivement de se démarquer des autres et sans cet élan, nous serions restés au stade des grands singes.
C’est vrai qu’aujourd’hui les gens rêvent qu’ils peuvent s’élever au-dessus du rang social de leur lignée parce que les probabilités ne sont pas nulles que cela survienne, elles sont même relativement bonnes grâce à l’enseignement obligatoire. Quant à devenir président de la République, c’est comme la loterie. Le problème avec ce jeu consiste dans le fait que des gagnants existent réellement. Rien au départ n’interdit un Français de gagner le gros lot ni de parvenir jusqu’au Palais de l’Élysée. Sous la monarchie, un espoir semblable n’existait évidemment pas.
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S ‘adapter sans cesse ou disparaître ! Toujours d’ actualité . La chasse en groupe fut je pense une adaptation nécessaire pour notre « évolution ».
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