Je repousse d’une journée la publication d’une série de trois articles prévus aujourd’hui et les jours suivants afin d’en insérer un tout nouveau consacré au sujet discuté dans les commentaires liés à l’article d’hier sur l’alchimie. Aujourd’hui j’aborderai donc l’alchimie de l’être ou de l’âme.
J’avoue avoir été pris de court par certains lecteurs qui ont abordé l’alchimie d’un angle de vue que j’avais négligé, faute d’y avoir réfléchi, c’est l’alchimie appliquée à notre intériorité, à notre être, à notre âme.
Je remercie particulièrement Vénus ainsi qu’Ibonoco et La plume fragile pour avoir apporté leur contribution à l’article en inscrivant des commentaires, il s’en est trouvé enrichi et, conséquemment, mes propres réflexions sur le sujet.
Je vous les livre aujourd’hui à chaud, à peine sorties du haut fourneau, sans dégrossissage, sans ébarbage, sans laminage ni autre finition. Qu’importe, puisque les pensées restent toujours à être refaçonnées de toute façon.
La question à laquelle je me suis attaqué consiste à savoir si l’alchimie de notre âme peut réellement exister ou si ce n’est qu’un usage abusif d’un terme qu’il faudrait remplacer par un ou plusieurs autres mieux adaptés aux processus de la gestion de nos douleurs psychologiques. En clair, peut-on réellement transmuter du mal en bien dans un contexte de guérison morale ?
Tout d’abord, je pense qu’il existe plusieurs mécanismes permettant de traiter le réservoir de douleurs que l’humain peut porter. L’alchimie est-elle l’un de ceux-là ? Nous y verrons plus clair après avoir discuté des autres.
L’écornage ne diminue pas nécessairement l’ensemble du réservoir de mal. Il lime les pointes et émousse les tranchants. Il rend les douleurs moins aiguës, moins amères, moins violentes, donc plus endurables à court terme. « Je me change les idées », « je m’efforce de ne pas y penser ».
L’érosion use le mal sur le long terme, c’est la mémoire qui fait disparaitre peu à peu les détails, les surfaces, mais le noyau douloureux résistera à toute érosion. Tant qu’on pense encore aux maux subis, peu importe de quelle façon, ils existent encore, ils vivent toujours au fond de nous et n’ont pas disparu.
La dilution viendra à bout des parties de douleurs arrachées à notre âme qui se noieront dans une mer de n’importe quoi. Loisirs, drogues, exercices, voyages, travail, la dilution ne fait rien disparaitre, elle ne fait que masquer le mal, le camoufler, le répandre en tentant de le faire disparaitre dans un bassin bien plus grand, mais la quantité de mal ne diminue pas. On entendra alors les fameuses phrases « je suis passé à autre chose » ou « je me suis trouvé une grande passion ». Mais notre mal, lui, n’est pas passé à autre chose, il ne s’est pas encore transmuté.
L’évaporation laisse entendre que le niveau de ce fameux bassin réussit à être réduit par élimination progressive, pourtant rien n’est moins sûr, car le mal, comme le sel, même dilué, ne s’évapore pas. « J’ai fait la paix avec moi-même », « je lui ai pardonné », « j’y pense de moins en moins ». Mais dans un système clos, l’évaporation n’est pas une disparition, elle ne fait que transporter certains éléments ailleurs et peut arroser des jardins fleuris de pluies acides.
Dois-je parler de l’illusion ? S’inventer un nouveau passé exempt des sources de douleurs afin de tenter de faire disparaitre celles accumulées. Ou s’inventer une nouvelle personnalité réfractaire à la douleur, insensible, intouchable. Une spirale, qu’elle attire vers le bas comme le maelström ou vers le haut comme la tornade, finit de toute façon par disloquer les imprudents ayant cru y trouver remède à exterminer leur mal.
Une autre façon de traiter le mal est de ne pas s’y attaquer directement, mais de s’attaquer à ses conséquences, à nos comportements envers les autres et nous-mêmes. Ainsi, à la sortie du réservoir emmagasinant nos souffrances, nous y installons un inverseur. Le mal s’écoule du réservoir, passe à travers l’inverseur et il en ressort du bien. Cependant, ce système d’inversion doit être alimenté en énergie pour bien fonctionner et cette source finit toujours par atteindre ses limites. Le système inverseur se corrode, se corrompt, s’obstrue à force de transformer du mal en bien. Il en résultera de l’écœurement, de la fatigue, de l’épuisement puis de la dépression. Le mal aura trouvé le moyen d’user les parties tendres et de s’y substituer.
Certains rajoutent à leur inverseur un amplificateur afin de transformer un peu de mal en beaucoup de bien. Il va sans dire qu’une telle surréaction ne fera que saturer leurs circuits encore plus tôt. Les effets risquent d’être catastrophiques, car leurs réactions se retrouvent rapidement hors de contrôle. Crises de pleurs et même de violence, sentiment d’être totalement incompris, bipolarité, l’amplificateur ne fait pas que déranger, il nuit gravement à la santé mentale. On peut résumer ce mécanisme par ces deux adages : « Plus, c’est trop » et « le mieux est l’ennemi du bien ».
Cette amplification peut également se produire sans ajout d’un inverseur. On obtient ainsi le syndrome de la mégère de Cendrillon ou d’Anakin Skywalker. Leur mal devenu leur maitre, ils s’alimentent du côté obscur pour inonder l’univers de tous les maux possibles en croyant en vain réduire ou faire disparaitre leur propre réservoir de douleurs. Jalousie et égoïsme ne transmuteront jamais leur propre mal puisque leur réservoir de douleur se remplit à même les douleurs qu’ils engendrent chez les autres. Ils ont conçu un système autoreproducteur de malheurs pour eux-mêmes et une source de ténèbres pour tous les autres.
À bien y réfléchir, aucun de ces mécanismes ne fonctionne vraiment adéquatement pour diminuer de façon réelle, permanente et positive la réserve de nos douleurs morales. Les conséquences s’avèrent parfois pires que le mal initial à combattre. L’alchimie pourrait-elle alors représenter la véritable solution à la présence des maux de nos âmes et à leur élimination définitive ?
Dans l’article précédent, je définis que l’alchimie des éléments chimiques est en fait de la radioactivité qui transmute un élément pur en un autre élément pur. Je délaisse les concepts de noblesse, de richesse, de rareté ou d’utilité des éléments détruits ou créés. Ce sont des concepts purement humains. Chaque élément chimique trouve ses fonctions et ses utilités à la grandeur de l’Univers et notre piètre jugement à cet égard ne pèse rien.
Cette radioactivité n’est pas instantanée, chaque isotope de chaque élément chimique radioactif possède son propre rythme de désintégration. Il en serait de même pour l’alchimie de l’âme.
Je ne discuterai pas de la nature du mal ni du bien, sauf en termes de douleur et de bonheur. Peut-on prendre une réserve de douleurs en l’amenant à se tarir graduellement en produisant des résidus de nature différente ?
Si la transmutation de nos douleurs peut réellement exister, on remarquera que, dépendant de la nature de chacune d’elles et de leur provenance, il existera des taux de désintégration différents.
La transmutation devra différer des autres mécanismes discutés plus avant : inversion, amplification, camouflage, dilution, illusion, évaporation, érosion, amnésie, écornage, etc.
L’alchimie de l’âme consiste donc en une véritable guérison qui engendrerait une source radiante capable d’influencer positivement le sujet et ceux qui le côtoient.
Mon verdict : Je crois maintenant possible de produire un phénomène d’alchimie de l’âme réduisant nos réserves de douleurs en les transmutant en autre chose de moins corrosif. Cependant, je doute que certains mouvements populaires puissent faire mieux que de donner des outils généralistes qui s’avèreront assez rapidement limités et même inadéquats.
Sans en connaitre aucun, je gagerais que la majorité confond l’alchimie de l’âme avec l’un ou l’autre des différents mécanismes présentés dans cet article.
La véritable alchimie de l’âme est très certainement un exercice de haute voltige et les guides compétents aussi rares que les plus précieuses pierres radioactives enfouies dans la croûte terrestre. La plus grande prudence est de mise.
Doutez des formules trop simplistes, qui s’appliquent à tous, qui apportent un bien-être quasi instantané, qui vous noient dans une mer d’individus semblables, qui ne vous donnent pas la place la plus importante et qui ne respectent pas votre individualité, votre histoire personnelle, votre nature profonde.
Gardez toujours votre liberté de jugement, sachez reconnaitre rapidement les fausses alchimies de l’âme afin de débusquer les charlatans pour ne conserver que les bons guides et les bonnes techniques.
Rappelez-vous également que les anciens alchimistes avaient tort en regard à la pierre philosophale et à la rectification. On peut très bien transmuter la nature des choses sans devoir recourir à des éléments extérieurs ou à des procédés complexes. Suffit parfois de savoir où poser son regard, le plus formidable outil alchimique, et peut-être la seule véritable pierre philosophale.