Cascades, confluents et boules de neige

Les trois termes tirés du vocabulaire aquatique illustreront des types d’événements cataclysmiques déjà survenus. Ils reviendront éventuellement nous frapper sous l’une ou l’autre de ces formes.

Notez que j’utilise ces termes de façon métaphorique et non scientifique. Ils ne me servent qu’à imager des phénomènes en les distinguant. Je m’attarde tout particulièrement à présenter des ensembles d’événements apparus simultanément ou quasiment au même moment et dont les effets furent cumulatifs.

La cascade

La catastrophe en cascade tire son origine d’une seule cause. Celle-ci dérègle un système qui en influence un autre et encore un autre et ainsi de suite. Si les effets s’accumulent, par contre les systèmes impactés en aval n’influencent pas ceux en amont. L’eau ne remonte pas la chute.

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Le confluent

J’appelle une catastrophe un confluent lorsque plusieurs événements surviennent quasiment simultanément, mais n’ont aucune origine commune. Cette rencontre fortuite ne se reproduira pas de façon semblable puisque rien ne relie les différentes causes. Un malheureux concours de circonstances viendront à bout de systèmes fragilisés par un événement primaire qui seront ensuite terrassés par le ou les suivants.

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La boule de neige

L’effet boule de neige est pernicieux, car il fonctionne sur le concept de la boucle de rétroaction positive. Un premier événement en entraine un deuxième qui amplifie les effets du premier qui amplifie les effets du second et ainsi de suite. Le cataclysme se nourrit d’énergies accumulées qui sont libérées sans aucun frein pour ralentir le processus. Sans contrôle, les conséquences globales restent méconnues, car difficilement calculables. On peut seulement présumer que celles-ci se retrouveront à l’intérieur d’une fourchette souvent très peu précise.

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Exemple possible d’une ancienne catastrophe en cascade

Le débat fait toujours rage au sein de la communauté scientifique à savoir si la crise du Crétacé-Tertiaire (K-T), celle qui a vu disparaitre les dinosaures voilà 66 millions d’années, est une catastrophe en cascade ou un confluent. Effectivement, on connait tous la principale cause, la chute de la météorite de Chicxulub. Cependant, à cette même époque, un événement géologique sans précédent est également survenu, la formation des trapps du Deccan en Inde dont j’abordais le sujet dans un autre article. Imaginez l’actuelle éruption du Kilauea, mais en milliards de fois plus importante. La masse de soufre éjectée dans l’atmosphère fut si grande qu’elle a éradiqué pratiquement toute la vie (restante).

Ces deux événements sont-ils survenus de manière indépendante ou l’un a-t-il engendré l’autre? Personnellement, dans ce cas précis, je ne crois pas au hasard, je pense au contraire au principe du tube de dentifrice. En comprimant un bout du tube, la pâte sort à l’autre extrémité. En s’écrasant au Mexique, la météorite a fait réagir la Terre à un endroit situé à l’opposé où sa croûte possédait une faiblesse qui a laissé fuir le magma mis sous tension. Ainsi, l’extinction massive K-T survenue voilà 66 millions d’années aurait deux causes, mais un seul événement aurait enclenché cette cascade.

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Exemple d’un cataclysme confluent survenu voilà 252 millions d’années

Un exemple de confluent serait l’extinction massive du Permien-Trias (P-Tr), la plus importante de toutes les extinctions ayant affecté la Terre et ses organismes vivants. Une fois encore, les scientifiques se chamaillent, mais il semblerait qu’au moins deux sinon trois événements indépendants se seraient ligués pour éradiquer presque toute la vie marine et terrestre. Des chaleurs atmosphériques infernales associées une fois de plus à un volcanisme débridé ayant créé les trapps de Sibérie auraient engendré une série d’effets absolument dévastateurs pour la biologie.

 

L’effet boule de neige surviendra-t-il instamment?

Le plus effrayant d’entre tous les types de catastrophes est probablement l’emballement, l’effet boule de neige. Il est fort possible que l’humain soit en train d’en modeler une qui prendra des proportions dantesques lorsqu’elle déboulera de la montagne.

La combustion des matières fossiles accroit le niveau de dioxyde de carbone dans l’air. Ce gaz augmente l’effet de serre qui hausse les températures terrestres et océaniques. Ça, nous le savons tous. En revanche, ce que nous ignorons ou ce que nous préférons ignorer c’est l’emballement très probable de l’effet de serre qui suivra (runaway greenhouse).

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Les chaleurs engendreront des feux de forêt planétaires alors que les arbres sont des puits à CO2 qui sera libéré en très grande quantité. Toutefois, il existe pire encore. Les pergélisols saturés de méthane fondront et laisseront fuir ce terrible gaz à effet de serre dix fois plus important que celui du dioxyde de carbone.

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Ce n’est pas la fin des conséquences. Les fonds océaniques jonchés de clathrates de méthane se réchaufferont suffisamment pour dégeler ces boulettes inflammables. En fondant, les clathrates projetteront dans l’atmosphère des milliards de tonnes de ce gaz infernal qui en profitera pour surélever encore plus les températures atmosphériques. Le CO2 et le CH4 se disputeront la prévalence des extinctions qui surviendront de cet emballement.

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Si la surchauffe thermique survient, rien ne l’exclut, notre espèce ne pourra pas y survivre, malgré toute notre technologie actuelle. L’humain étant optimiste de nature, pour ma part je le qualifierais plutôt d’irresponsable, au lieu de se préparer au pire préfère poursuivre sa route comme si elle se déroulait indéfiniment dans la même direction. Lorsque surviendra l’inévitable, il fera semblant d’être surpris, ça le disculpera à ses yeux. Mais qu’il fût idiot, innocent ou irresponsable, il sera mort dans tous les cas.  

Ce scénario est une des réponses possibles à la fameuse question posée par Fermi, mais là, j’empiète sur un autre article.

L’ile de la Réunion, point chaud

Rassurez-vous, lorsque je parle de point chaud à l’ile de la Réunion, il n’est pas question d’une situation politique explosive ou qu’il y fait froid.

Cette ile est le siège du piton de la Fournaise, un volcan dit de point chaud. Ce type de volcanisme est particulier puisqu’il agit comme une sorte de chalumeau à partir du manteau terrestre. Il a transpercé la croûte terrestre et déverse sa lave en effusions lentes, mais relativement régulières.

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Ce volcan est du même type que le fameux Kilauea à Hawaï et l’un des plus actifs de la planète. Il aurait formé les trapps du Deccan que je décrivais dans un récent article. On le croyait âgé d’environ 66 millions d’années justement à cause de la formation des trapps indiens. En fait, il serait beaucoup plus vieux. De récentes études suggèrent que sa formation remonte aux premiers âges de la Terre, à l’Hadéen, éon commençant aux origines de notre planète voilà 4,6 milliards d’années.

Ce panache de magma primitif ne se serait jamais mélangé au reste du manteau terrestre et perdurerait depuis tout ce temps, faisant de la lave s’écoulant en surface un témoin extraordinaire de la matière originelle de notre bonne vieille Terre.

Trapps du Deccan ou météorite de Chicxulub ?

Lequel de ces deux événements a éliminé 75 % des espèces terrestres, dont les gentils dinosaures, voilà 66 millions d’années? Est-ce la fameuse météorite de Chicxulub tombée au Yucatan au Mexique ou le supervolcan ayant généré ce qu’on nomme les trapps du Deccan en Indes?

Le combat a fait rage, fait rage et fera encore rage. Comme quoi, lorsqu’on attrape la rage, elle ne nous quitte plus. (Donc, c’est peut-être la rage que j’ai moi-même contractée!)

Les deux événements sont contemporains et avérés. Pour les trapps, ce n’est pas bien difficile à confirmer. Comme le montre la carte, le volcan a noyé 500000 km2 de l’Inde sous 2,4 km d’épaisseur de lave! On estime que le volcan a été actif durant au moins 30000 ans, mais aurait pu l’être jusqu’à 1 million d’années. L’âge exact de ces éruptions est mal défini, il se situerait aux environs de 60 millions à 68 millions d’années.

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Ce volcan ressemblait au Kilauea qui fait actuellement rage à Hawaï, mais en proportions incommensurablement plus importantes. Ce sont les émissions de gaz liées à ce volcanisme qui ont été dangereuses pour la faune et la flore mondiale de l’époque, pas la lave, sauf localement, évidemment. À cette époque, l’Inde se promenait bien loin de son lieu actuel et n’avait pas encore embouti le continent asiatique. Sa position devait correspondre à celle de l’ile de La Réunion.

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Trapps du Deccan aujourd’hui érodés

Quant à la météorite de Chicxulub, il en a été question un nombre impressionnant de fois, je n’en reparlerai pas en long et en large, à part pour dire que l’impact qu’elle a eu sur l’environnement est attesté. L’âge de la chute de la météorite de Chicxulub est connu avec une précision de plus en plus grande. S’il a longtemps été estimé à 65 millions d’années, aujourd’hui on parle plutôt de 66 millions d’années. Cette époque se situe donc dans la fourchette estimée antérieurement pour l’âge du volcan.

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Formation des cenotes par la météorite de Chicxulub

Voici mon opinion sur le sujet. Je pense que la météorite a occasionné la disparition des dinosaures non aviaires et autres espèces vivantes pour deux raisons. Premièrement en créant un hiver qui aurait duré plusieurs années, éliminant la végétation dont se nourrissaient les grands herbivores du Crétacé. Mais la chute de ce monstre aurait engendré l’ouverture du volcan indien qui aurait eu, lui aussi, son effet dans l’histoire des extinctions.

On oublie souvent que la Terre est une cloche. Lorsqu’un séisme survient, toute la cloche tinte, vibre, se déforme. Les mers de la Lune sont des épanchements importants de basalte qui auraient peut-être été causés par les météorites tombant sur sa face cachée.

Voilà comment un seul événement en aurait créé un deuxième qui, ensemble, auraient engendré la grande extinction Crétacé-Tertiaire (K-T). Je tiens ce raisonnement depuis plus de vingt ans. Évidemment, je ne suis pas outillé pour le prouver par des analyses, mais certains l’ont fait et en «octobre 2015, une datation encore plus précise des coulées de lave des trapps du Deccan, basée sur le rapport isotopique 40Ar/39Ar de l’argon, est obtenue par l’équipe de Paul R. Renne de l’Université de Californie à Berkeley. Les épisodes les plus importants et les plus continus d’émissions de laves du Deccan, représentant 70 % du total, sont datés de moins de 50000 ans après la chute de la météorite de Chicxulub. Cette coïncidence convainc les auteurs que l’épisode paroxysmal des trapps serait une conséquence de l’impact de la météorite de Chicxulub. Le choc de la météorite aurait induit une onde sismique énorme, équivalent d’un tremblement de terre de magnitude 11, qui aurait fragilisé la croûte terrestre de l’autre côté du globe, aux “antipodes” en longitude, mais pas en latitude. Ainsi, après l’extinction massive due à l’impact de la météorite de Chicxulub, les éruptions volcaniques du Deccan, avec leurs quantités énormes de gaz létaux expulsées, dont le sulfure d’hydrogène (H2S), auraient prolongé les effets du nuage soulevé par l’impact météoritique.»

Carte des trapps du Deccan : geowiki.fr
Photo des trapps du Deccan : 
fr.wikipedia.org
Carte des cenotes de Chicxulub : theyucatantimes.com