Le trou noir s’en vient !

Titre alarmiste, je sais. J’aurais dû titrer «L’image du trou noir s’en vient». Voilà à peine plus d’une semaine, j’écrivais un article dans lequel je cassais du sucre sur le dos de l’équipe de l’EHT pour avoir promis l’image réelle d’un trou noir en 2017, puis en 2018, et ensuite pour avoir gardé le silence depuis près de 9 mois.

Vous pourriez croire que mon article de la semaine passée était «arrangé avec le gars des vues» (expression chère à mon père lorsque la fin d’un film tombait un peu trop bien, afin que le bon gars puisse toujours gagner, sans égard à l’improbabilité des événements). Qui sait si mon article était véritablement dû à la chance pure, à une probabilité réaliste ou si j’ai profité d’informations non publiques?

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Dans moins de deux jours, l’équipe de l’EHT a convié la presse internationale à une annonce exceptionnelle. Ça ne prend pas la tête à Papineau (expression québécoise consacrée) pour comprendre ce qu’ils veulent nous révéler. Ils vont nous montrer une image du trou noir qui se terre au cœur de notre Galaxie, le fameux Sgr A*. Tout le suspens ne se situe pas à ce niveau, mais ce à quoi l’image du trou noir ressemblera. Bien des gens ont misé sur le fait qu’on ne verra rien de semblable aux belles simulations numériques et je suis pas mal en accord avec ceux-ci.

Mon scepticisme ne se situe pas au niveau de l’existence du monstre galactique situé en plein cœur de la Voie lactée, je suis pas mal certain qu’il existe réellement. Je me questionne sur son apparence, sur ce que révèlera l’image prise de lui.

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Noir. Le trou noir sera noir, me direz-vous. Ce serait plutôt logique qu’un trou noir réputé pour ne rien recracher de ce qui a traversé son «horizon des événements», lumière incluse, paraisse noir. Et pourtant, un trou noir de cette masse, 4 millions de Soleils, qui bouffe des nappes de gaz ayant eu le malheur de s’aventurer trop près, risque de nous surprendre.

Tout d’abord, on en sait très peu sur sa vitesse de rotation. Comme tout ce qui se trouve dans l’Univers, ce trou noir tourne sur lui-même. Son environnement immédiat est affecté par cette vitesse de rotation et le résultat pourrait nous surprendre.8300758-3x2-700x467

Il faut savoir que cette image n’est pas un instantané, mais un montage très complexe de données diverses prises par tout un tas de télescopes différents, à de moments différents, à des longueurs d’ondes différentes, couplés en interféromètres simples ou multiples.

Ensuite, j’ai toujours douté de l’exactitude des représentations théoriques des effets relativistes. Quelque chose me dit que la vraie vie fera apparaitre une complexité bien plus grande et donc un trou noir bien moins évident à décortiquer et à analyser.

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Et enfin, même avec tout le respect qu’on doit à ce cher Einstein pour ses équations qui ont révélé la potentielle existence de ces monstres galactiques aux couleurs du Corbot, les trous noirs fricotent aussi bien du côté relativiste de la physique que du côté quantique et c’est là tout son intérêt. Cet objet unique en son genre réussit à exister en poussant les deux théories antagonistes dans leurs derniers retranchements.

Exprimé autrement, le trou noir établit un pont qui n’existe pas actuellement entre nos deux théories et seulement pour cette raison, l’image qu’on s’attend de lui ne peut pas parfaitement lui ressembler.

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Dans moins de deux jours, on en saura un peu plus sur Sgr A*, mais il faut également s’attendre à ce que nous nous forgions tout un tas de nouvelles questions à son sujet. C’est ainsi que progresse la science, par théories et par preuves observationnelles, et on recommence sans jamais voir la fin.

Si l’équipe de l’EHT a réussi un petit miracle et qu’elle nous dévoile une image à la hauteur des attentes, on le saura assez rapidement. Si elle est seulement parvenue à obtenir un résultat duquel aucune conclusion ne peut être tirée et ainsi à renvoyer la balle vers une autre expérience encore plus ambitieuse, on le saura aussi.

Soyez toutefois certain que je ne manquerai pas l’occasion de commenter le contenu de cette conférence de presse dès que j’aurai le temps de l’analyser suffisamment pour écrire quelque chose de personnel et, espérons-le, intelligent, à son sujet.

C’est la faute aux ondes gravitationnelles

Il existe une nouvelle mode depuis quelque temps, celle de placer les mots «ondes gravitationnelles» partout où l’on voit des rides ou des vagues. Les nuages forment des moutons parallèles, c’est l’effet des ondes gravitationnelles. Des rides dans des dunes, les ondes gravitationnelles. Des rides sur l’eau, les ondes gravitationnelles.

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Les ondes gravitationnelles ne sont pas visibles à notre échelle et ne laissent pas de traces apparentes de leur passage. Elles déforment l’espace d’une manière microscopique lorsqu’elles se propagent à la vitesse de la lumière. Depuis peu, on les détecte en faisant voyager un rayon laser entre des miroirs distants de plusieurs dizaines de kilomètres et l’on réussit à peine à mesurer une variation infinitésimale de cette longueur. Si elles faisaient des vagues dans des dunes, soyez certain que nous serions en train d’être pulvérisés par deux trous noirs en coalescence dans la banlieue proche de la Terre.

Alors, non, les ondes gravitationnelles ne font pas rider les dunes ni ne dessinent des rouleaux dans les nuages. De bien grandes bêtises proférées par des gens ignorant tout de ce phénomène qui fut prédit par Albert Einstein un an après avoir complété sa théorie de la relativité générale. Il publia un article à ce sujet dans une revue scientifique en 1916, mais il a quand même toujours fortement douté de leur existence, changeant plusieurs fois d’idée par la suite. Une fois de plus, son instinct ne l’avait pas trompé.

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Les ondes gravitationnelles ne ressemblent pas aux ondes électromagnétiques connues qui utilisent les photons pour transporter l’énergie. Ce sont donc des ondes de gravitation qui déforment l’espace-temps lorsqu’elles irradient à partir de leur lieu d’origine.

Il est raisonnable de penser qu’une particule joue le même rôle que le photon, dans leur propagation, ce serait le graviton. Lui aussi se déplacerait à la même vitesse c que son homologue électromagnétique. Mais si les ondes gravitationnelles ont été récemment détectées et confirmées, il n’en fut pas de même pour le graviton qui reste une particule hypothétique.

Les déformations spatiales exigent de l’énergie, on ne plie pas l’espace gratuitement. Ainsi, deux trous noirs qui se tournent autour avant de fusionner perdront une partie de leur masse transportée sous forme d’énergie par les ondes gravitationnelles.

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La première détection d’ondes gravitationnelles a eu lieu le 14 septembre 2015 par les trois détecteurs LIGO et les scientifiques ont pu le confirmer le 11 février 2016, un siècle après la parution de l’article d’Einstein. Mais ce qui a rendu cette détection si spectaculaire est le fait d’avoir situé dans l’espace le lieu d’où provenait la production de ces ondes.

Couplée à d’autres observations résalisées par des télescopes traditionnels détectant des effets électromagnétiques complémentaires, ensemble, elles ont permis de découvrir la fusion de deux trous noirs de 36 et 29 masses solaires survenue à une distance de 1,3 milliard d’années-lumière. Il en est résulté un trou noir de 62 masses solaires. Ils ont donc perdu 5 % de leur masse, l’équivalent de trois fois la masse de notre Soleil, transformée en énergie qui a déformé l’espace jusqu’à nous. À leur arrivée sur Terre, le train d’ondes a fait osciller nos dimensions spatiales de seulement quelques zeptomètres (10-21 m). C’est tout dire sur la difficulté de mesurer ces variations infinitésimales de compression et dilatation d’espace.

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Depuis, d’autres détections ont eu lieu, confirmant la première tout en donnant du pep à d’autres détecteurs en cours de construction. Bientôt, nous posséderons tout un réseau de détecteurs capables de bien mesurer et localiser les sources de ces émissions.

Mais soyez assuré et rassuré, aucun phénomène visible n’est causé par le passage de ces vagues d’espace-temps et il vous est impossible de les sentir.