Collapsologue

J’ai appris que j’étais collapsologue. Rassurez-vous, je ne souffre pas de collapsite ou pire, de collapsose.

Être collapsologue, c’est tout d’abord croire que le monde tel qu’on le connait va s’effondrer. Ah! Là, vous me reconnaissez. Ouais, pour un gars qui a écrit des dizaines de nouvelles sur la fin du monde, il ne pourrait en être autrement.

En théologie, il existe le terme « eschatologie » pour signifier l’étude de la fin des humains et du monde. Il serait synonyme à collapsologie s’il ne regardait pas tout à travers des lunettes où un quelconque dieu nous punit pour nos actes. L’humain n’a pas besoin d’une entité bien-mal-veillante pour être puni, il le fait très bien tout seul. Mais parce qu’il applique son châtiment à ses voisins, il ignore sciemment qu’eux-mêmes font claquer leur fouet sur son propre dos. Et c’est la ronde stupide des châtieurs châtiés.

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Le collapsologue croit à l’effondrement de notre mode de vie et s’il s’y prépare adéquatement, il devient un survivaliste. J’ai déjà abordé le sujet ici même. Il s’y prépare, tout d’abord, psychologiquement. S’il possède des tendances de pédagogue, il en parle autour de lui, et si en plus il s’avère être un blogueur, il parvient peut-être à sensibiliser un public éloigné et élargi.

Ensuite, il acquiert des kits de survie, des vêtements appropriés et du matériel facilitant son autonomie. Il se monte des plans d’urgence. Comme outil, il ignore toute forme de technologie au-delà de celle intégrée dans une bonne vieille hache. Bon, ici j’exagère un peu, des allumettes, c’est sacrément pratique, mais vous comprenez le principe. Et d’ailleurs, je possède aussi du matériel pour allumer un feu sans allumette. Faque (ça fait que)…

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Le collapsologue est le dernier à vouloir l’effondrement de la civilisation, mais il le sait inévitable et surtout, il ne (se) le cache pas. Pour ceux qui en sont tout aussi convaincus et qui agissent comme si l’implosion ne surviendrait jamais, on a déjà inventé les mots autruche, jovialiste et niais dépendant de leur degré de négation et de la pauvreté de leur argumentation.

Pour les autres, les optimistes, ceux qui sont convaincus du contraire, il existe plusieurs catégories. J’en connais qui croient en l’humain, qui pensent sincèrement qu’il va finir par prendre les choses en main afin d’éviter les pires crises. Ils sont convaincus que les gens finiront par se lever et s’élever au-dessus de leur état bestial actuel. Que l’amour, la compassion, le partage, la sincérité et la bonté finiront par rassembler les humains autour d’un projet sérieux et réaliste. À eux, je lève mon chapeau, car mes facultés ne me permettent pas de penser ainsi, et j’espère de tout cœur qu’ils aient raison, même si je suis convaincu du contraire.

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Une autre catégorie est celle du genre monsieur Jemefousdetout, les dépensiers compulsifs, les pollueurs invétérés, les gaspilleurs éhontés, ceux pour qui le recyclage n’est qu’une perte de temps, la parcimonie un signe de pauvreté, qui croient que tout leur est dû, qu’ils possèdent tout en étant en manque de tout, que les autres personnes valent juste d’être à leur service, qui vivent sans remords de leurs abus les plus intolérables.

Vous les connaissez, ce sont eux qui nous ont amenés au bord du précipice et qui vous demanderont de vous y précipiter avant eux afin d’amortir leur chute. Ce sont eux qui ne veulent rien changer. Ils se reconnaissent facilement puisqu’ils se montrent comme des paons. On les retrouve dans chaque famille, dans chaque rue, dans chaque cercle d’amis, dans chaque bureau et usine et surtout, on les retrouve au sommet puisque ce sont des gens de pouvoir, ce sont nos dirigeants.

Respecter le pessimisme

Cet article se veut un plaidoyer en faveur du pessimisme, mais oserez-vous lire cet article? Votre jovialité légendaire vous l’interdit, c’est ça? Vous aimez lire des tas de slogans «hop-la-vie» pour vous aider à garder le sourire? Vous regardez des vidéos de chats tous les jours? Votre tableau Pinterest est rempli de jolis paysages et de photos de chats? Ouais, pour un oiseau comme moi, les chats, je les préfère dans la sauce aux prunes chez le Chinois. Vous traquez peut-être les pessimistes pour vous imaginer dépourvus de cette tendance.

Petit incitatif pour les optimistes audacieux, si vous persévérez dans votre lecture, vous verrez une belle photo de chaton à la fin de l’article.

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Mais si la vie est vraiment noire, ce que vous appelez un pessimiste n’est qu’un réaliste. Et si l’optimiste reste optimiste, en fait il joue à l’autruche.

On oublie souvent de décrire la réalité d’une situation avant de prétendre que le pessimisme est une mauvaise chose. On tient pour acquis que nous devrions tous rester optimistes en tout temps et en tout lieu.

Mais est-ce vrai? Lorsqu’on ne cesse de lire et de voir des horreurs, rester optimiste ne relève-t-il pas d’une pathologie qui consiste à vouloir à tout prix garder des lunettes roses dans la face? Faire semblant que tout est beau alors que c’est totalement faux n’est pas une qualité, en tout cas pas pour moi. C’est la pilule bleue de Neo dans la Matrice.

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L’optimiste encroûté ne changera jamais rien au monde qui l’entoure puisqu’il fuit la réalité à tout prix. Ce sont les pessimistes qui changent le monde, car ils sont rendus à un point où ils sont incapables de l’endurer tel qu’il est.

Le pessimiste n’ira pas se pendre au grand hunier. Cessez d’avoir peur du pessimiste capable de regarder la vérité en face. Si rien n’est fait, la situation restera telle qu’elle est, c’est-à-dire noire. Et c’est le pessimiste qui a raison. Le pessimisme est un mécanisme permettant à l’humain de faire sauter le bouchon afin que les choses changent et progressent.

Ici, j’apporte une nuance essentielle. Les gens confondent régulièrement le pessimisme avec le fatalisme, alors que ces deux termes sont totalement différents. Le fatalisme se retrouve autant chez l’optimiste que chez le pessimiste. Le fataliste se contentera de la situation actuelle. Il n’agira jamais, prétendant que rien ne peut changer. L’optimisme est souvent du fatalisme en version 2.0. Se farcir sempiternellement la tronche de vidéos de chatons et de slogans trempés dans le chocolat pour être en mesure d’endurer la vie sans rien faire pour la changer, c’est ça du vrai fatalisme. Oui, être fataliste, c’est aussi fuir la réalité en grimpant sur le dos de l’optimisme.

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Fuir la réalité est parfois une bonne chose, je le reconnais. Mais si on fait l’éloge de la fuite, le pessimisme devait alors être encensé. Il faut être courageux pour regarder les choses qui sont réellement noires en évitant de se plaquer des lunettes aux lentilles multicolores pour se faire croire que la situation est irisée de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

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Les seules vraies couleurs ne proviennent pas du type de lunettes que nous portons, mais de celles que nous peignons. C’est la seule façon de changer le noir véritablement et durablement. Faut-il, par contre, être en mesure de voir le fond noir de la toile. Avec des lunettes multicolores sur le nez, le besoin de peindre la toile noire s’affaiblit, se dégrade puis disparait. Et le noir, vainqueur, poursuit son règne, étend son hégémonie à tout ce qui l’entoure en distribuant des lunettes multicolores sous forme de slogans sirupeux et de chats qui ne sont pas en train de manger des oiseaux.

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L’optimisme, qualité par excellence, est bien souvent un défaut. Et le pessimisme qui est toujours considéré comme un défaut est bien souvent une qualité. Tout dépend de la façon que nous avons de mettre de la couleur dans nos vies.

Lunettes multicolores : magiclight.net ;
Peinture abstraite : amesauvage.com ;
Chaton réaliste : koreus.com ;