Expressions québécoises – 5

Pour mon dernier article de l’année, un sujet bien de saison et particulièrement pertinent en ce moment où un froid intense touche Montréal depuis plusieurs jours.

À l’heure où j’écris ces phrases, il fait -23 °C et une sensation de -30 °C sur la peau. À cette température, la neige au sol crisse sous les pas. Les narines se bloquent. L’air donne une sensation de brûlure aux voies respiratoires. Les joues rosissent avant de picoter, premier signe d’une éventuelle engelure.

Nous sommes sous l’influence d’un intense vortex polaire (voir photo) créant une immense poche de froid qui descend très au sud. Le cher président américain en profite pour se moquer du réchauffement climatique, oubliant les feux intenses qu’a une fois de plus connus la Californie.

L’expression est : « Fa frette » ou « Fa frette en ta… »

Malgré deux termes musicaux, la note fa et la frette d’un instrument à cordes, l’expression n’a rien à voir avec ce champ d’activité.

La signification est : « Il fait très froid », « On se les gèle », « Il fait froid en [rajouter votre juron préféré] ».

Le « fa » est le verbe « fait ». J’ignore totalement pourquoi le mot froid s’est transformé en « frette » lorsqu’il fait très froid, mais on obtient ainsi une échelle de froid commençant par « frais », puis « froid » et enfin « frette ».

Pour le « ta… », c’est la première syllabe d’un juron québécois tiré (comme toujours) des mots d’Église, en l’occurrence le célèbre « tabarnak » (tabernacle). Ce juron nous a même valu le surnom de « los Tabarnacos » au Mexique, à Cuba et en République dominicaine, les pays hispanophones d’Amérique où l’on va se détendre durant les mois où il fa frette en ta…

À mes lectrices et lecteurs, je vous souhaite une très joyeuse fin d’année 2017. Surtout, soyez prudents sur les routes et dans le lit avec votre nouvelle conquête.

Une fête païenne re-recyclée

Selon plusieurs études, Jésus ne serait pas né à ce temps-ci de l’année. Si l’on fête sa naissance à ce moment précis, c’est pour retrancher une fête païenne, celle du solstice d’hiver. En empiétant sur cet événement très important chez les peuples de l’époque, petit à petit les gens ont cessé de fêter l’un pour fêter l’autre. La transition a été assurée, car elle s’est produite sans heurts et sans dénigrement.

Et une fois de plus, la société bascule vers une autre célébration, celle de la fin de l’année. Cet événement astronomique qui ramène les saisons constitue en fait un retour aux origines. Bien entendu, on ne doute plus que le Soleil reprendra sa course ascendante dans les cieux, mais dans les faits, c’est bien de cet événement qu’il est question lorsqu’on parle de la fin de l’année. Le retour de l’ascension du Soleil et l’augmentation du temps d’ensoleillement.

Évidemment, cet événement astronomique ne met pas un terme à l’hiver puisque la Terre réagit lentement aux changements. Ça lui prendra bien trois mois avant que ses rayons soient suffisamment puissants pour retrouver les premières fleurs.

Alors, joyeux Solstice à tous les humains de la Terre et aux autres !

Photo : Le Soleil

Une randonnée en compagnie d’un émule du capitaine Kirk

Cet article est le prolongement du précédent.

Nous sommes cinq à louer un chalet dans les Laurentides pour la saison hivernale. Deux filles sont mes amies. Je ne connais pas les deux gars qui travaillent avec l’une d’entre elles. Aujourd’hui, il fait un froid sibérien, mais nous avons quand même décidé de faire une randonnée en ski de fond d’environ vingt-cinq kilomètres. Lorsque les températures sont très froides, l’habillement est critique. Ce n’était pas du tout une course, nous devions donc adapter notre vitesse à la personne la plus lente. En conséquence, brûlant moins de calories, des vêtements plus chauds sont requis, sans pour autant ressembler à des ours polaires. Les fondeurs inexpérimentés choisissent cette option lorsqu’il fait très froid. Ainsi emmitouflés, ils suent abondamment pour ensuite geler dans leur sueur. Mais l’inverse est encore plus problématique puisqu’un habillement insuffisamment chaud occasionne l’incapacité à conserver une température corporelle adéquate, entrainant potentiellement une dangereuse hypothermie. L’idée est d’apporter un sac à dos avec une pelure plus chaude à enfiler au moment des pauses et de l’enlever lorsque le corps dégage suffisamment de chaleur pour s’en passer. C’est peut-être embêtant d’arrêter souvent, mais la sécurité et le bien-être de tous prévalent lorsque la météo nous défie.

Le plus hardi des deux gars, que j’appellerai Michel, s’est vêtu plutôt légèrement et je crains qu’il le regrette, mais ma recommandation a engendré un ultimatum à l’effet de me mêler de mes oignons. Je n’ai plus qu’à me la fermer et observer la tournure des événements. Le fartage terminé, on s’élance sur une piste sans grands dénivelés afin d’accommoder les skieurs les moins expérimentés.

Nous avalons quelques kilomètres et je vois Michel s’impatienter de ne pas pousser la machine comme il l’espère, car il grelotte très certainement. Cependant, l’orgueil étant l’autre grande qualité des capitaines Kirk, il n’avouera jamais les conséquences de son entêtement précédent.

J’aimerais que sa situation m’indiffère, mais je garde un œil inquiet sur son état. Lui et moi savons la discussion que nous avons eue, mais succomber à la tentation de jouer du tournevis au fond d’une plaie purulente, même si le désir est puissant, est une réaction inappropriée dans l’immédiat. Il a amplement mérité son sort et pour l’instant, je me retiens d’en faire état. Mais chez les Kirk, ce fameux orgueil est un sentiment très persistant. Même après une idiotie, Michel se refuse encore à accepter tout sens commun, car l’aventure ne fait que commencer.

La piste mène à une rivière qu’il faut traverser pour poursuivre notre route. Au cœur d’un hiver bien québécois, traverser des cours d’eau reste une action délicate, car les rivières peuvent nous réserver des surprises à cause des courants camouflés sous les neiges. Il faut donc bien l’observer avant de la traverser, même lorsqu’il fait -30 °C. L’épaisseur de la couche neigeuse est importante, nous empêchant de jauger celle de la glace sous-jacente. En amont à notre droite, la neige ne montre aucune aspérité qu’aurait causée la présence d’un rocher ou un tronc d’arbre. En aval, par contre, malgré l’épaisse couche blanche, on distingue très nettement un bombement indiquant la présence d’un gros rocher au centre de la rivière. Tout juste en amont de l’obstacle, des tourbillons d’eau refluent et amincissent la glace. Il faut impérativement garder ses distances et adopter une ligne de trajet éloignée de ce rocher. J’avise donc mes partenaires du constat de la situation. Je leur propose également de traverser seul, plus en amont afin de jauger le niveau de danger. Ils pourront suivre mes traces si tout se passe bien et si aucun bruit ou renfoncement suspects ne sont survenus durant la traversée.

J’aurais dû m’y attendre, Michel décide en silence de faire exactement le contraire puisque les Kirk ne prennent jamais l’avis des autres. Au contraire, tout ce qui ressemble de près ou de loin à une directive, ils aiment la défier systématiquement. Il choisit donc de passer tout juste en amont du rocher, exactement là où le danger est le plus grand. Et ce qui doit arriver arrive. La glace cède tout bonnement sous son poids. Heureusement, ses réflexes sont plus intelligents que son raisonnement et il projette son corps vers l’avant, l’empêchant d’être totalement englouti. Le résultat est qu’il se retrouve quand même submergé jusqu’à la taille et incapable d’extirper ses skis maintenant pris sous la glace.

J’avoue qu’à cet instant, j’ai fantasmé à l’idée de le laisser poireauter dans l’eau glacée, car sa fronde nous met maintenant tous en danger. Quelqu’un doit s’en approcher afin de le secourir, et cette personne, ironiquement, je savais que ce doit être moi. Il est important qu’en tentant un sauvetage, la personne connaisse comment s’y prendre et garde son calme, quoi qu’il arrive. J’ai toujours préféré prendre l’initiative plutôt que de laisser une autre personne risquer une manœuvre qui s’avèrerait au bout du compte plus néfaste et qu’il faille secourir deux individus plutôt qu’un. Évidemment, le pire peut également m’arriver puisque je dois me rapprocher suffisamment de lui pour le déprendre de sa fâcheuse situation.

Je retire mes skis en m’allongeant sur eux en guise de luge improvisée. Je me rapproche perpendiculairement afin de rester sur la glace plus épaisse, suffisamment loin du rocher et des tourbillons. Il patauge pour tenter de libérer ses jambes, mais il ne fait que fragiliser encore plus la glace retenant le haut de son corps. Je sais par contre que lui demander de ne plus gigoter comme une crevette créerait l’effet inverse. Je me contente de lui demander de lever sa jambe droite le plus haut possible afin que je puisse atteindre sa fixation.

Mais plusieurs facteurs concourants la maintiennent hors de ma portée. Je parviens à toucher son ski avec un bras immergé jusqu’à l’épaule, mais mes doigts ne trouvent pas le déclencheur. Il est difficile à l’aveugle de savoir si les doigts touchent le ski devant ou derrière la fixation. Je ne veux pas m’attarder plus longtemps que nécessaire, car j’ignore toujours l’état de la glace sous mon poids, mais déclarer forfait obligerait quelqu’un d’autre à tenter la manœuvre. Si je suis incapable de toucher la fixation, je ne vois pas pourquoi un autre y parviendrait.

Je m’étire pour enfoncer mon bras le plus loin possible sous l’eau jusqu’à sentir mon oreille toucher la surface liquide. Rien. Puis, c’est au tour de ma joue. Encore rien. En désespoir de cause, je pousse jusqu’à ce que ma bouche et mon nez s’obstruent. J’espère très fort de ne pas avoir à immerger ma tête complète dans cette eau glacée où la perte de la chaleur corporelle est considérablement accélérée. J’atteins finalement la fixation et la déclenche avant que mes doigts soient totalement paralysés par le froid. Mon autre bras capture et lance le ski plus loin. Retirer le second ski s’avère plus aisé, une fois que mes doigts ont assimilé la manière d’exécuter la manœuvre. Michel rampe ensuite jusqu’à la berge avec interdiction de se lever. Bon, s’il s’était encore rebiffé, il aurait amplement mérité de perdre pour de bon son droit à la procréation. Agir stupidement en rafale, simplement dans le but de jouer au rebelle, c’est également narguer la mort et à ce jeu, elle finit toujours par gagner. Il avait heureusement compris avoir atteint son compte de conneries pour la journée.

L’émersion réussie, il reste maintenant à gérer ses conséquences. Ce froid cinglant allié à nos vêtements détrempés devient notre pire ennemi. La seule solution réside à skier vite afin d’atteindre une auberge marquée sur notre carte, mais elle se situe quand même à plus d’une dizaine de kilomètres de notre position actuelle. Malheureusement, nous devons séparer notre groupe pour privilégier la vitesse. Je déteste scinder ainsi un groupe, surtout dans ces conditions glaciales où les autres skieurs se font rares sur les sentiers. Un incident en entraine souvent d’autres et par grand froid, la gravité des problèmes décuple.

J’ai prodigué quelques conseils en enjoignant à mes amies de skier le plus calmement possible et de bien suivre l’itinéraire indiqué sur la carte. Mais malgré ces précautions, je ressentais de l’amertume à l’idée de les laisser derrière. Le seul des trois gars toujours au sec prend la commande de notre trio, puisque ses idées ne sont pas perverties par des vêtements détrempés, gelant la peau. De plus, en laissant la carte aux deux filles, nous devons nous diriger à l’à-peu-près, ce qui constitue un autre défi à relever, car il est hors de question de se tromper d’itinéraire. Nous devons atteindre l’auberge le plus tôt possible.

Je m’attends à être frigorifié en peu de temps, mais grâce à une dépense énergétique soutenue, le corps dégage suffisamment de chaleur pour repousser en partie le froid. Mais pour combien de temps ? Nous maintenons le rythme jusqu’à l’auberge, heureusement sans subir d’autres mésaventures. L’élément agréable de cet épisode est le moment où on se sèche tout près d’un bon feu de foyer avec un café bien chaud au creux des mains.

Je n’ai jamais reparlé de cet épisode avec Michel. Il ne m’a jamais remercié de l’avoir aidé. Avec ce genre d’individu, on n’obtient jamais de gratitude puisque ce serait avouer des erreurs de jugement. Il a toujours quelque chose à prouver, même à ceux qui n’en demandent pas tant. Cette recherche de l’amour ou de l’appréciation des autres, cette obnubilation pour le flamboiement, sans égards aux dangers qui rejaillissent sur leur entourage, ce type de comportement irréfléchi et surtout très égoïste m’a toujours causé beaucoup de perplexité, car il ne semble pas exister de solutions permettant de neutraliser leurs effets dommageables. Même une fois démasqué, il continue ce petit jeu d’arrogance qui le fait inévitablement passer pour un idiot.

J’ai laissé tomber l’air et les propos condescendants ou brutaux lorsque nous nous sommes retrouvés au chalet. J’ai préféré garder le silence, un silence d’autant plus lourd qu’il infantilise encore plus que des remontrances. On se met en colère contre quelqu’un qui aurait dû éviter ces imprudences. On se tait avec les abrutis incapables de distinguer le danger de la sécurité. Mon silence fut donc ma douce revanche.

Mettre son entourage en danger par des témérités absurdes et inutiles est représentatif d’un comportement à la capitaine Kirk. Pour toute personne malchanceuse ou ignorante du danger que représentent ces gens, dès qu’ils sont démasqués, le mot d’ordre se résume simplement. Fuis !

Photo: sepaq.com

Voilà, il neige

Lorsqu’on vit au Québec, la première neige de l’année nous avise que nous nous apprêtons à vivre quelques mois de froid, parfois même, intense. Mais cette prévision ne gâche pas le spectacle de ces flocons virevoltant gracieusement sous le vent en faisant disparaitre les surfaces sur lesquelles elles se déposent sous un silence monacal.

Ici, nous avons la fabuleuse chance de connaitre quatre saisons bien distinctes. Malheureusement, cet état de fait ne durera probablement plus bien longtemps. Les deux derniers hivers furent, heureusement, conformes à ceux de mon enfance. Je me souviens que mes potes et moi arpentions les rues du quartier en quête de voitures enlisées. On aidait les conducteurs à s’extraire des congères qu’on nomme ici « bancs de neige » en mettant nos nouveaux muscles au défi.

Il neige en ce moment à pleins ciels, mais ces jolis flocons blancs comme des boules de coton ne résisteront pas à la clémence actuelle des températures, car la politesse exige que la neige nous avertisse avant de nous ensevelir. Toutefois, je me souviens de certaines années où elle a manqué à ses obligations de courtoisie. Pas cette année.

Lorsqu’on consulte les cartes météorologiques des températures moyennes mondiales des deux derniers hivers, seul le Québec a été épargné par les hausses catastrophiques des températures. Cette année, je crains fortement que nous écopions comme la Sibérie, comme les pays nordiques européens et comme le Grand Nord qui, tous, se réchauffent à grande vitesse. Dans l’hémisphère nord, nous n’aurons plus bientôt que des souvenirs de ce temps où la Nature prenait quelques mois de repos.

La Planète a déjà connu de bien pires conditions et en soi, ce réchauffement peut être considéré comme de bon augure s’il permet d’accroitre le nombre de semaines par année de cultures locales. Durant ce temps, les pays nordiques seront moins dépendants des fruits et légumes provenant des basses latitudes, ce qui permettra d’accroitre l’offre mondiale. Mais, car il existe toujours une contrepartie, en brisant l’équilibre que la Terre avait atteint après le Grand Dégel, l’humain a propulsé sa planète vers un nouveau point d’équilibre totalement inconnu. Sera-t-il, comme certains météorologues le prévoient, suffisamment important pour causer la fonte de toutes les calottes glaciaires restantes ? C’est possible et même très possible, car un emballement des températures est de plus en plus envisageable.

Mais actuellement, cette neige est belle et je profite de ce spectacle aux antipodes des jeux de sons et lumières post-modernes étourdissants. Ici, seuls le silence et la monochromie ont droit de scène. Mes pneus d’hiver sont posés et j’ai placé mes pelles et mes balais à neige dans l’auto afin qu’ils me prêtent main-forte le temps venu. J’ai sorti mes parkas, bottes, foulards, tuques, gants et mitaines de leur coffre comme en prévision d’un rude hiver d’antan. Je sais toutefois qu’un jour ils vieilliront, totalement inutiles, comme des vieillards mis au rancart dans des hospices ternes et insipides. À l’instar de ces pauvres personnes mal aimées, mes outils hivernaux perdront leur raison d’exister. Certains d’entre eux seront envoyés au musée afin que l’humain se souvienne de ces temps où la neige avait modelé leur vie autrement. J’espère, sans trop y croire, que la Terre saura stopper l’emballement thermique catastrophique qui la fera ressembler à sa sœur Vénus où l’on ne fait pas frire des œufs à sa surface, mais bien, fondre du plomb.

Heureusement, cette année encore, la neige reprend du service. Notre planète se bat une fois de plus pour contrer nos stupides agissements posés en pleine connaissance de cause. Combien de temps lui reste-t-il  ? Jusqu’à ce qu’Elle en ait plein le dos. Mais qui veut vraiment savoir quand cela surviendra alors que nous pouvons sans contraintes vivre béatement notre imbécillité ?

Photo : lenavet.ca