À propos d’écoanxiété

Le premier ministre du Québec, monsieur Legault, soulignait durant son passage à la COP26 qu’il n’était pas anxieux, et ce malgré l’alerte lancée par le GIEC qui considère que nous sommes rendus à « minuit moins une » pour sauver l’humanité des changements climatiques.

Comment peut-on interpréter cet optimisme presque débordant ?

Peut-être qu’en bon père de famille, il veut se montrer rassurant et protecteur. En bon général, il tient à garder haut le moral de ses troupes.

Mais quand la maison brûle, le temps des sourires pepsodent n’a plus sa place. Sans paniquer, l’anxiété est certainement de mise afin de prendre les bonnes décisions sans encore une fois les reporter.

Ne pas être anxieux dans des conditions semblables s’apparente dangereusement à du scepticisme. Si M. Legault voulait être un premier ministre responsable, il demanderait à toute la population de cesser de prendre l’évolution du climat à la légère.

Bien sûr, quand une maison brûle, un bon père de famille extrait ses enfants du brasier pour les emmener en lieu sûr. Dans la situation actuelle, il n’y a pas d’autre endroit sécuritaire où nous évacuer. Puisque le réchauffement sévit à la grandeur de la planète et qu’on a oublié de s’équiper d’une planète de sauvetage, on ne peut que passer d’un brasier à un autre et c’est la raison pour laquelle il faut absolument devenir anxieux et même angoissé.

Quand on pourra se réfugier ailleurs que sur Terre, mon écoanxiété diminuera d’un cran. D’ici là, que personne ne vienne me dire qu’elle n’a pas sa place, qu’elle est exagérée ou qu’elle est contreproductive.

Monsieur Legault, si vous voulez vraiment agir en bon père, en bon citoyen et en bon premier ministre, il est plus que temps de devenir anxieux et de le faire savoir à la planète entière pour enfin assumer le leadership que personne ne veut, celui du sauvetage de l’espèce humaine.

Photo d’entête : PHOTO D’ARCHIVES STEVENS LEBLANC

Un orage passe

Le temps est à l’orage. Humide, suffocant, stagnant, l’air apparait translucide, voilé, indécis. Le tonnerre annonce l’entrée en scène imminente de la pluie subite et peut-être forte, mais déjà j’en doute.

Je me tiens à la porte, grande ouverte, pendant le temps où c’est encore possible. J’observe le ciel, comme pour y découvrir l’importance de l’orage. Je l’évalue de faible ampleur, mais qui sait puisque je suis conscient que mes yeux n’embrassent qu’une partie de la dépression? Les nuages ont pris cette teinte gris-bleu acier, caractéristique des cumulonimbus moyennement chargés, un autre indice en faveur d’un passage sans trop de dégâts. Je me fie également aux intervalles plutôt longs entre les grondements de tonnerre encore distants, pour l’instant.

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J’imite mon père décédé depuis longtemps déjà. Il ne manquait jamais une occasion de se planter dans le cadrage de la porte d’entrée pour regarder en action ces forces de la Nature. Aussi loin que mes souvenirs me le permettent, je me tiens près de lui, observant ses rares et brèves expressions. Stoïque mais pas dénué d’intérêt. Il ne dit rien, ou presque, souvent une seule phrase laconique par épisode. «Ça va passer en vent». «On va bientôt voir de gros clous». «L’orage se rapproche». «Il va nous éviter».

Il se trompait rarement, sinon jamais. Ou plutôt je ne me rappelle pas s’il se trompait. Ça n’a pas vraiment d’importance. Une fois sa prédiction avérée, il attendait un peu, puis il rentrait. Je n’aurais jamais osé rentrer avant lui… ou après lui. Je n’obéissais à aucun ordre, il agissait, je faisais simplement comme lui, comme un garçon avec son père, comme un père qui sait et le garçon qui lui aussi veut savoir.

Je regarde les nuages évoluer rapidement. Des éclairs apparaissent au loin. Le tonnerre ronronne moins, ses éclats deviennent plus craquants, signe que l’orage se rapproche. L’air est presque irrespirable tellement il stagne.

Quelques gouttes de pluie éparses précurseurs de l’ondée se manifestent timidement, comme des estafettes venues excuser l’arrivée intempestive d’un général tonitruant.

La direction du vent imminent décidera du sort de ma porte. L’effet Venturi consiste en un soufflet créé par les nuages bas qui poussent l’air accumulé sur une plus grande altitude devant eux, comprimant cette masse gazeuse et l’expulsant dans le sens de leur progression.

Ça y est, voilà l’air qui bouge et sa température qui dégringole, victime de la loi de la pression des gaz. En quelques secondes, j’apprécie déjà la chute rafraichissante du mercure et l’effet de cette baisse amplifiée sur ma peau par la légère brise.

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Une nuée plus sombre passe au-dessus de ma tête. Le vent se renforce, mais la pluie reste encore relativement sage. Un important éclair déchire le ciel juste devant moi, son pendant sonore le suit de peu. La tempête se rapproche, je le remarque également par les cimes des arbres au loin qui oscillent avec moins de grâce et plus d’emportement. La pluie devient moins timorée, je ferme la porte à contrecœur, je m’assois tout près pour en rater le moins possible malgré les vitres zébrées de coulisses qui font obstruction à mes observations.

Le tonnerre s’intensifie, je le sens presque à ma verticale, mais j’ai vécu bien pire. Jusqu’à présent, ma prévision s’avère, cet orage ne rentrera pas dans les annales. La pluie refuse de se déchainer malgré de subites et brèves sautes d’humeur. Les coulisses aux carreaux des fenêtres se transforment en un enduit coulant plus homogène. Paradoxalement, j’y vois mieux.

Le plus gros coup de tonnerre jusqu’à maintenant se fait entendre. Presque au même moment, la pluie cesse presque entièrement et le ciel au loin s’éclaircit de plusieurs tons. L’orage s’éloigne en ramenant les conditions atmosphériques précédentes. D’importance trop faible pour agir efficacement contre la canicule, je retrouve les chaleurs humides désagréables.

La pluie en rémission, je rouvre ma porte en pensant toujours à mon père. Il m’a transmis ce goût, ce plaisir d’observer les orages. Merci, papa, pour ce joli cadeau.