N comme dans Noir

Je poursuis ma série d’articles dédiés à un mot commençant par une lettre précise. Aujourd’hui, je m’attaque au « N » et à son mot associé, le « noir ».

La lettre « N » est la quatorzième lettre et la onzième consonne de l’alphabet. Elle est une consonne nasale alvéolaire voisée et son signe dans l’alphabet phonétique international (API) est [n]. Il est simple à prononcer ce qui le fait apparaitre dans de nombreuses langues.

Dans le système international (SI), le N est utilisé pour l’unité du newton, une mesure de force. Quant à sa lettre minuscule n, elle apparait comme le facteur multiplicatif « nano » valant un milliardième (10-9) de l’unité. Ainsi, nN signifie nano newton.

Le tableau périodique des éléments utilise la lettre N pour désigner l’azote, nitrogen en anglais. Sept autres éléments chimiques ont des symboles commençant par N dont les plus connus sont le néon (Ne) et le nickel (Ni).

On utilise le n ou le N comme abréviation dans plusieurs domaines. N désigne le nord, les nombres naturels (ℕ) ainsi que la quantité de neutrons. Les deux isotopes de l’uranium, 235U et 238U ont bien sûr le même nombre de protons, celui de son numéro atomique valant 92. Cependant, ces deux isotopes ont un nombre de neutrons N = A – Z, soit le nombre total de nucléides (A) moins le nombre de protons (Z). Donc, N = 143 neutrons et N = 146 neutrons pour les deux isotopes les plus connus de l’uranium.

Quant à la lettre minuscule n, en mathématique elle sert généralement à désigner un nombre quelconque comme dans n + 1, 3n, √n, etc.

Dans mon dictionnaire, je recense 1 951 entrées commençant par cette lettre et parmi celles-ci, une seule aura l’honneur d’être traitée dans cet article, le mot « noir », dont sa prononciation est [nwaʀ].

Petit mot de quatre lettres, le noir est souvent considéré comme étant une couleur alors qu’il est exactement son inverse, une absence totale de couleur. La confusion provient souvent des encres noires utilisées en peinture et en imprimerie. Afin d’alléger cet article, je ferai un abus de langage en utilisant sciemment le terme « couleur » avec « noir » puisque de toute manière, il n’existe pas de noir parfait, à une seule exception près.

Un noir dit parfait ne réfléchit ni n’émet aucune lumière visible et le seul objet ayant cette unique propriété dans la nature est un trou noir. Mis à part cet objet céleste exotique, il existe sur le marché une peinture capable d’absorber 99,4 % de la lumière visible. Son nom commercial est « Musou Black ». Pour un objet conçu par l’humain, en l’occurrence par les Japonais, il fracasse tous les records d’albédo avec une valeur de 0,006. Attendez-vous cependant à débourser un montant non négligeable, mais tout de même accessible, pour un flacon de seulement 100 ml de cette peinture particulière. Je partage un lien YouTube qui vous fera voir son énorme pouvoir absorbant.

Dans la nature terrestre, le noir est la couleur de la nuit mais aujourd’hui, peu importe l’endroit où nous nous tenons, il existe bien peu de chance que nos yeux ne voient absolument rien. La Lune, les étoiles ou la pollution lumineuse quasi généralisée parviennent presque toujours à éclairer un pan de notre environnement. Les bâtonnets de nos yeux s’habituent graduellement à la noirceur nocturne et même si les formes révélées restent floues, leur mouvement devient aisément visible. Heureusement, car nos ancêtres utilisaient très souvent cette sensibilité pour survivre aux attaques des prédateurs possédant, eux, une excellente vision nocturne.

Les corbeaux sont les oiseaux emblématiques de la couleur noire même si l’irisation de leurs plumes les fait souvent apparaitre bien plus colorés. J’ai écrit un article traitant d’une légende amérindienne à ce sujet. Malheureusement, ces oiseaux sont également devenus un symbole de mauvais présages, de fourberie et de multiples dangers. Pensons également aux chats noirs pour les superstitieux. Pourtant, les êtres qui devraient se méfier le plus des chats noirs sont les corbeaux, pas les humains.

En astrophysique, on utilise le mot « noir » pour qualifier une forme d’énergie et de matière bien spéciales. La matière noire et l’énergie noire représentent ensemble environ 95 % de tout le contenu de l’univers. Le qualificatif « noire » signifie ici notre absence totale de connaissance sur la nature de ces deux constituants et non pas leur manque de couleur. C’est-à-dire qu’avec tout notre attirail scientifique et tous nos cerveaux actuellement à disposition, nous connaissons moins de 5 % de tout ce que notre univers nous offre ! C’est bien le cas, en astrophysique, nous pataugeons dans le noir total.

En physique, on nomme « corps noir » un objet absorbant toutes les ondes électromagnétiques. Il les accumule sous forme calorifique et il restitue cette énergie en émettant un rayonnement dit de corps noir. Chauffez un morceau de fer et il émettra ensuite une lumière de couleurs caractéristiques. Noir, rouge sang, rouge cerise, orange, jaune et ensuite blanc, au fur et à mesure que la température du four s’élève, la couleur émise blanchit.

Cependant, les bleus et les verts restent des couleurs inconnues du fer chauffé. Au début du XXe siècle, ces absences étaient totalement incomprises. Et selon la théorie physique en vigueur à ce moment-là, un corps émettant en lumière ultraviolette verrait son énergie de radiation atteindre une valeur infinie ! Heureusement, grâce à Max Planck et ensuite à Albert Einstein, ce mystère fut définitivement résolu en 1905. Ce phénomène radiatif compris signa la naissance de la physique quantique, soit la lumière à énergie quantifiée (discrète) plutôt que continue. On parle des quantas de lumière ou autrement dit de façon plus moderne, des photons.

Dans le monde du symbolisme, le noir est la contre-couleur du blanc. C’est aussi vrai aux échecs, en chevalerie et ailleurs. Le chevalier blanc est preux, chaleureux et vertueux. Le chevalier noir est agressif, froid et fourbe. Étrange que le noir soit froid alors qu’un objet noir devient bien plus chaud qu’un blanc s’ils sont exposés à la même source énergétique.

Le néant primordial est symboliquement noir, de même qu’on considère le noir comme étant négatif ou passif. Aujourd’hui, l’endeuillé porte le noir, mais c’en fut autrement il n’y a pas si longtemps. Et même si le noir signifie la mort, il symbolise également la couleur d’un terreau fertile, donc la vie à naitre.

Dans la nature, le noir est abondant puisque le charbon est noir. Le diamant, lui, est transparent. Pourtant, ces deux objets sont composés du seul même élément chimique, le carbone (C). On peut considérer celui-ci comme ayant (au moins) deux pans totalement opposés. Le carbone vulgaire se transforme en matériau noble sous certaines conditions extrêmes de température et de pression, mais le diamant soumis à une température élevée (≈1 000 °C) devient du simple dioxyde de carbone (CO2) ou autrement dit, du carbone oxydé par l’air ambiant durant le chauffage. On fabrique donc un gaz à effet de serre en brûlant du diamant ! Mais soyez sans crainte, mis à part dans les entrailles de la terre, je doute qu’il existe de telles sources, n’est-ce pas ?

Mis à part les expressions et cooccurrences avec « noir » que j’ai précédemment employées, il en existe une panoplie d’autres qui utilisent le symbolisme de négativité ou de mystère et dans une moindre mesure, la couleur. Parfois, ces caractéristiques s’entremêlent au sein de la même expression.

Expressions :
Visa le noir, tua le blanc ; broyer du noir ; avoir un fun noir ; manger son pain noir ; demeurer dans le noir.

Cooccurrences : 
Roman noir ; liste noire ; boite noire ; caisse noire ; marché noir ; or noir ; marée noire ; messe noire  ; travail au noir ; noir de monde ; misère noire ; humour noir ; mouton noir ; regard noir ; bête noire ; fureur noire ; noirs desseins ; chanson noire ; etc.

Avec toutes ces expressions utilisées quotidiennement, pas étonnant que le noir soit devenu le champion toutes catégories de la mort, du mal, du mauvais, de la misère, de l’occulte, du secret, du mystérieux et de l’insondable.

Et que dire de l’archétype moderne du noir, le corbeau (LeCorbot !) ? Peut-il prendre toutes ces formes négatives de caractères ? Trempe-t-il naturellement dans des combines aussi sulfureuses qu’intrigantes ? Se délecte-t-il des misères et des laideurs humaines ?

Si vous lisez beaucoup des 678 articles que j’ai composés et édités ici même, vous obtiendrez sûrement quelques réponses à ces questions. J’ai reconnu, admis, accepté et partagé avec vous des éléments sombres de moi-même. Vous pourrez évaluer ce Corbot public en tout point semblable à une partie du vrai Corbot. Pour l’autre restée jusqu’ici tapie dans le noir, lisez bien tous les caractères noirs de mes prochains articles, peut-être y découvrirez-vous d’autres fragments de ma personne enfouis au sein de quelques noirceurs littéraires ou placés parfaitement en évidence à la lumière éclatante d’un traité limpide.

Car le noir ne peut pas exister sans s’opposer au blanc. Comme je le mentionnais dans un article précédent, placez un amas multicolore de feuilles dans une pièce entièrement dépourvue de lumière et, faute de celle-ci, elles apparaitront toutes noires. Seule une lumière parfaitement blanche permet de les distinguer correctement et seule son absence totale les rend toutes identiques.

Nous sommes l’une de ces feuilles colorées. Parfois, il est bien d’être distingués et parfois il vaut mieux se fondre dans la masse. Se plonger dans le noir total ne s’avère pas pire et ne vaut pas moins qu’être éblouis par un éclat lumineux, car les deux savent nous rendre aveugles.

Symbolisme du corbeau

Je continue la présentation du symbolisme du corbeau avec une vision occidentale et orientale du même oiseau. Vous pouvez lire le premier article traitant de sa couleur et d’une légende amérindienne lui étant associée en cliquant ici.

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L’Orient et l’Occident ont souvent des visions et des symbolismes diamétralement opposés d’une même chose ou d’un même animal. Le corbeau ne fait pas exception à ce schéma antipodal.

Probablement à cause de sa couleur l’associant au deuil, probablement à cause de son cri rauque, le corbeau en Occident a plutôt mauvaise réputation. À la tour de Londres, on garde des corbeaux sur la pelouse en leur rognant une aile, ce qui les empêche de voler, mais pas de marcher. Ce moyen peu respectueux des oiseaux a pour objectif de rehausser l’aspect funèbre de cette tour-prison. Lorsque cet oiseau est en colère, les plumes de sa gorge se hérissent et lui donnent un air résolument menaçant.

Sur la photo, notez l’irisation de ses plumes qui passe souvent inaperçue. Beaucoup d’oiseaux la voient beaucoup mieux que les humains, ce qui en fait un oiseau «coloré» à leurs yeux.

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En Orient et plus particulièrement en Chine et au Japon, l’oiseau noir est symbole de gratitude filiale, car cet oiseau nourrit père et mère. Au Japon, il exprime l’amour familial. Les jeunes Japonais à l’école primaire apprennent et chantent cette chanson :

Pourquoi le corbeau chante-t-il ?
Parce que dans la montagne
Il a un enfant chéri de sept ans
Le corbeau chante
Mon chéri ! Mon chéri !
Il chante
Mon chéri ! Mon chéri !

Le croassement du corbeau se dit « kâ kâ » en japonais et « chéri » se dit « kawaii ».

On note principalement qu’en Occident, on regarde surtout l’apparence de l’oiseau tandis qu’en Orient, ce sont ses comportements qui importent.

Ça en dit long sur ces deux cultures !

Photos : shotsofscience.com ;
wingsunfurled-web.com ;

 

La couleur du corbeau

Ce n’est un secret pour personne, le corbeau est noir, pour preuve, même les aveugles le voient ainsi. Cependant, vous serez surpris d’apprendre que ce volatile n’a pas toujours affiché cette couleur. Voilà très longtemps, le corbeau était tout blanc. C’est du moins ce que dit une légende amérindienne.

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Ayant le plus grand respect pour les légendes, les corbeaux (même différemment orthographié) et les Amérindiens, je serais bien mal avisé de les contredire. Alors vous devez savoir qu’au début du temps des humains, le corbeau était tout blanc. Je ne vous donnerai pas le contenu entier de cette légende, seulement ce qui se rapporte à sa couleur.

 

Afin de l’offrir aux humains, Corbeau voulait voler le feu à Aigle Gris qui le gardait jalousement dans son tipi. Toutefois, sa chaleur ne lui permettait pas de l’emporter. Il prit alors une branche qu’il plaça dans le feu et lorsqu’elle se fut embrasée, il la récupéra et s’envola par le trou de fumée au sommet du tipi.

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Mais en chemin, la fumée s’échappant de la branche vint noircir son plumage blanc immaculé qui devint tout noir. Et puisqu’un malheur ne survient jamais seul, aveuglé par cette fumée, il laissa tomber la branche (décidément, il devrait porter plus attention à ce qu’il tient dans son bec) qui tomba sur une pierre et s’éteignit. Mais l’offrande qu’il voulut faire aux humains ne fut point totalement perdue, puisque depuis ce jour, celui-ci parvient à faire jaillir le feu des pierres et les frappant l’une contre l’autre. Il est donc permis de penser que sa couleur qui aujourd’hui en rebute plusieurs provient d’un bon geste à notre égard.

Dans bien des légendes de par le monde, et plus spécifiquement dans les cosmogonies et les théogonies amérindiennes, le corbeau est un puissant protecteur. Cependant, les Amérindiens comprenaient parfaitement que rien n’est tout bon ou tout mauvais. Ainsi, le corbeau avait aussi certains travers comme celui d’être chapardeur même si ses intentions étaient bonnes, puisque Aigle Gris était son beau-père.

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Pour certains peuples amérindiens, le Corbeau est un héros et un démiurge qui dynamise et surtout, il organise le Monde. Il se retrouve très souvent au sommet des totems comme le protecteur essentiel des tribus. Par le battement de ses ailes, il génère le vent et de sa langue surgit l’éclair.

Contrairement à la croyance populaire, le corbeau est associé aux choses négatives que très récemment dans l’Histoire humaine et cette mauvaise réputation provient exclusivement d’Europe. Il semble que le corbeau soit apprécié des peuples nomades, mais dénigré par les peuples sédentaires liés à l’agriculture.

43994452 - crow, corvus corone, perched on a branch, close up

Un autre élément important de sa symbolique est son désir conscient d’isolement, de vivre sur un plan supérieur. Plus encore que son rôle de protecteur, celui de guide revient constamment.

Un corbeau blanc, je comprends maintenant pourquoi mes cheveux blanchissent avec le temps. La suie qui me recouvre s’efface lentement, laissant place au corbeau originel. Mais qui s’intéresse encore aux légendes, aux totems et aux croyances antiques ? Après tout, ce ne sont que des histoires !

Photo : programme-tv.net ; retrouvailles.24.over-blog.combangordailynews.com ;  programme-tv.netanimal-totem.fr ;