Papiers d’amours

Le papier et l’amour partagent plusieurs aspects. Tous deux peuvent être vierges, fragiles, sensibles, mais ils peuvent également être froissés, coupants et acides.

Aujourd’hui, il ne sera question que du beau côté du papier. Vous êtes amoureux des beaux papiers ? Alors cet article s’adresse tout particulièrement à vous, car les joyaux que je m’apprête à vous montrer sont remplis d’amour et sont nés pour écrire l’amour. Je vous parle des papiers sortis tout droit de la Papeterie Saint-Gilles.

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Je me trouve de nouveau à Saint-Joseph-de-la-Rive dans le comté de Charlevoix au Québec sur le bord du majestueux Saint-Laurent. Saint-Joseph-de-la-Rive est construite sur un étroit cordon de terre en ayant le massif montagneux des Éboulements dans son dos et les battures à ses pieds. C’est à cet endroit que l’on retrouve l’étonnante papeterie Saint-Gilles. Dire qu’elle fait dans l’artisanal, c’est peu dire. Cette papeterie ne vend que du papier entièrement fait à la main, à base de coton et de… fleurs cueillies en ces lieux. Quant au coton lui-même, il provient de la récupération effectuée à des usines où certaines fibres s’avèrent inutilisables pour la confection de tissus. En récupérant ces mal-aimés, la papeterie obtient sa principale matière première, l’industrie cotonnière des revenus supplémentaires et des déchets en moins. Le deuxième intrant est constitué de fleurs, trois sortes indigènes intégrées à la pâte avant l’étape du calandrage.

Les produits issus de leur procédé artisanal vous transportent à une autre époque, au temps où l’on se plaisait à écrire sur une surface vivante et souple créée exclusivement pour y imprégner des mots importants dont leur rôle consistait à rester indélébiles.

L’écriture; les mots; chaque lettre déposée sur ce papier revêt une importance impossible à reproduire et peut-être impossible à comprendre lorsqu’on n’écrit qu’à l’ordinateur. Sur ce papier, il faut penser longuement avant d’écrire, on n’écrit donc pas n’importe quoi. Les mots redeviennent précieux et occupent une place unique sur cette surface ne supportant pas l’erreur.

Les papiers Saint-Gilles nous replongent aux bases de l’écriture qui est d’écrire le plus joliment possible une pensée à transmettre à la postérité. Transmettre du savoir, transmettre des idées, transmettre des sentiments, déclarer son amour. Les papiers Saint-Gilles s’y prêtent à merveille. Personne ne peut rester insensible à un mot, à un billet, à une lettre, à un poème écrit sur ce papier déjà lui-même plein d’amours. L’atelier produit aussi du papier à aquarelle et acrylique pour ceux préférant les mots plus imagés et colorés.

Mon histoire avec cette papeterie date de très longtemps. Je ne rate pas une occasion de m’y arrêter lorsque le vent me transporte dans ce merveilleux coin de pays. Trop peu fréquentes, ces visites, mais Montréal ne se trouve malheureusement pas à proximité.

En tête de cet article, vous pouvez admirer mon tout nouveau cahier de poésie, une œuvre splendide disponible en deux teintes de papier et en plusieurs saveurs de fleurs. Il serait hasardeux pour moi de vous promettre de ne rien écrire de noir dans ce beau cahier, puisque l’encre possède souvent cette teinte et que je suis un Corbot. J’essayerai toutefois de lui réserver les moins méchants de mes poèmes.

Ne soyez pas si surpris ! Oui, je compose des histoires d’amour qui ne finissent pas toujours par une fin du monde. Un Corbot ne croasse pas incessamment, parfois il parvient aussi à décrire des moments heureux. N’est-ce pas le cas pour cet article à propos des papiers Saint-Gilles dont je suis amoureux ? Voici donc un éventail de ces œuvres papetières, toutes 100 % coton, si on fait abstraction des insertions florales.

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Dans l’ordre habituel. Les deux premiers papiers « Blanc pur fil » et « Vieux parchemin » sont exempts de fleurs. On poursuit avec « Fleur bleue » et « Chant d’été » ornés de phragmite et de salicaire.

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Viennent ensuite « Épervière » et « Charlevoix » agrémentés, on s’en doute, d’épervière et enfin le « Salicaire mauve ».

Faut-il le spécifier, ces papiers resteront intacts au fil du temps. Alors, quoi de plus romantique qu’une noble déclaration d’amour inscrite sur un papier qui l’est tout autant !

Pour les arts picturaux, les papiers sont disponibles dans les formats populaires standards et ils peuvent être calandrés ou non. Puisque je vous préserverai toujours de mes piètres talents dans ce domaine, j’ai déjà donné mes achats à une amie qui en fera un bien meilleur usage. Vous verrez peut-être ces papiers un jour si elle daigne me montrer ses œuvres.

La papeterie Saint-Gilles se targue de livrer ses produits un peu partout dans le monde. Vous pouvez donc choisir de venir les acheter ici en main propre ou de vous les procurer en restant bien assis à votre pupitre. La première option vous permettrait peut-être de me croiser. Si vous aimez écrire sur du beau papier, d’autres points communs existent sûrement entre nous ! Un chassé-croisé de poèmes amoureux écrits sur du Saint-Gilles ! Je choisirais le blanc, toi la couleur parchemin. Que c’est romantique !

Corbot ! Réveille-toi !

Croaaa ?

Ne jamais arrêter

Voilà plusieurs années, je voyais régulièrement mon ami Claude. J’ai aussi été passer un week-end à son chalet. Bonne bouffe, bons vins, c’était un gars assez agréable malgré sa tendance à picoler fort une fois le travail terminé.

Dernièrement, il s’est enlevé la vie à ce même chalet et c’est un autre ami, David, qui a trouvé son cadavre.

Claude avait son propre commerce, une franchise d’UPS Store et il le menait bien. Il pratiquait la chasse à l’arbalète et possédait une chienne, Sara, une petite bâtarde intelligente et protectrice.

Il devait avoir la mi-cinquantaine. C’est, parait-il, un âge critique chez l’homme, car après les premières années de l’âge adulte, la tranche d’âge au-dessus de 50 ans affiche le plus grand taux de suicide chez les mâles.

Je ne fréquentais plus Claude depuis plusieurs années. Ma vie a changé, j’ai déménagé et je n’ai plus vraiment eu l’occasion de le revoir, ni vraiment l’intérêt. J’avais d’ailleurs raté un week-end alors qu’il m’avait invité au chalet. Ma mémoire m’avait joué un tour. Il m’en avait voulu.

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Je me demandais si son alcoolisme avait causé ses problèmes ou si des problèmes avaient causé son alcoolisme. Buvait-il pour oublier? N’était-ce qu’une mauvaise habitude transformée avec le temps en maladie qui lui avait causé son état dépressionnaire?

Son geste a été prémédité puisqu’il avait laissé sa chienne au commerce avant de quitter la ville pour la campagne tandis qu’il l’amenait toujours. David, l’autre ami, se rendait au chalet. Claude savait qui le trouverait et quand cela surviendrait.

Lorsqu’un événement du genre se produit, nous vivons une série d’émotions diverses. Même si nous ne nous fréquentions plus depuis longtemps, j’ai senti un peu de culpabilité se manifester, du regret, de la désolation, de l’incompréhension, de la douleur et même de la crainte.

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L’humain étant un être social et sensible, je suppose que ces états d’âme font partie de la brochette des émotions normales. Nous avons tous notre vie à vivre et nous choisissons les gens avec qui nous aimons prendre un verre au bar, une petite bouffe au resto ou passer un week-end dans les bois. La solitude de Claude envers les femmes, il était célibataire, et son univers répétitif, ces causes ont malheureusement, semble-t-il, eu raison de lui.

Ce genre de situation nous ramène toujours à nous-mêmes. Pourrions-nous également un jour poser un geste semblable? Et cette question présente un autre sujet intimement lié à celui-ci qui est l’aide à mourir.

Même si les conditions sont très peu similaires, il n’en demeure pas moins que dans les deux cas on parle de mettre prématurément fin à sa vie.

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La vie est précieuse car fragile, mais la vie est parfois embêtante. Je me souhaite simplement de ne jamais devoir affronter un jour ce dilemme cornélien. En continuant d’apprendre de nouvelles choses au quotidien, je repousse certains démons, car ils n’exercent aucune emprise sur ma satisfaction ressentie lorsque je comprends des mystères de la Nature ou lorsque je parviens à connecter certains fils de mes connaissances ensemble et qu’ils tissent une belle œuvre.

Je pense qu’une partie de notre fragilité, de notre vulnérabilité, vient du fait que pour certains d’entre nous, nous cessons d’évoluer. Nous croyons avoir appris à un certain moment tout le nécessaire pour vivre le reste de notre vie. Mais ce gel des connaissances nous amène à constamment refaire le même cercle, à repasser dans nos traces, à creuser une tranchée de plus en plus profonde qui finit par nous engloutir.

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Je ne prétends pas être devenu invulnérable à cet état d’esprit, mais je sais pertinemment que ma soif de connaissance a repoussé mes démons à plus d’une reprise. Ma solution ne plairait pas et ne conviendrait pas à tous, mais je la conseille tout de même. Lire, réfléchir et écrire, ces activités me permettent de ne jamais m’ennuyer et m’apportent une réelle satisfaction de vivre.

Et la meilleure façon d’y parvenir, comme pour la forme physique, c’est de ne jamais arrêter, ne jamais arrêter d’apprendre.

V comme dans vie

Dans ma série d’articles consacrée à un mot commençant par une lettre précise, voici le temps venu du V et d’un tout petit mot à l’utiliser en entame, le mot vie.

V, la vingt-deuxième lettre de notre alphabet possédait autrefois chez les Romains une étrange caractéristique, son symbole servait tout aussi bien à définir le V que le U. On le remarque sur certains frontons d’édifices où une expression latine a été gravée. Et comme si ce double emploi ne suffisait pas, il servait aussi à désigner le chiffre 5. Alors quand je dis que l’humain aime se compliquer l’existence, n’en doutez plus. Il a par ailleurs été doublé pour former la lettre double vé (W) qu’on appelle « double u » en anglais, relent de la période latine en manque cruel d’imagination pour créer de nouveaux symboles graphiques. Et comble de la confusion, le V grec se nomme « upsilon », en minuscule son symbole est un intermédiaire entre le u et le v (υ) et en majuscule il se dessine comme un i grec (Υ). Et après on s’étonne de la difficulté des élèves à l’école !

V est une consonne fricative, c’est-à-dire qu’elle est générée par la friction de l’air sans occlusion complète. On la désigne en alphabet international par le mot « Victor » et tout le monde sait faire le signe de la victoire en levant le majeur et l’index d’une main afin de produire un joli V.

Je n’aurais pas pu choisir un mot plus important que « vie » pour faire honneur à la lettre V. Dans mon Robert, sa première définition est la suivante : « Fait de vivre, propriété essentielle des êtres organisés qui évoluent de la naissance à la mort en remplissant des fonctions qui leur sont communes ». Je vous l’accorde, c’est loin de constituer une description poétique de la vie !

On parle toujours de la vie avec émotions, car elle s’oppose à la mort, à la fin. La vie, c’est le mouvement, le changement, l’évolution. Parce que la vie est fragile, elle est précieuse. Et parce qu’elle se bat, elle nous donne du courage.

La vie reste le plus grand mystère de tous les temps. Savoir comment nait la vie de la matière inerte représente toujours l’énigme fondamentale que nous propose notre Univers. La Terre a connu la vie bien plus tôt dans sa jeunesse que nous l’imaginions. Des stromatolites de 3,5 milliards d’années ont été identifiés en Australie. Ce sont des roches issues d’un métabolisme biologique.

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Même la frontière entre l’inerte et le vivant reste floue. Nous peinons à classer les virus dans l’une ou l’autre de ces catégories. Ces intermédiaires représentent donc la clé du passage du non-vivant au vivant. Ainsi, à votre prochain épisode de grippe qui ne devrait plus tarder (on ne refait pas un Corbot) remerciez ces microscopiques quasi-bestioles de vous avoir engendré. Ça ne cassera pas votre grippe plus rapidement, mais elle vous semblera peut-être moins antipathique une fois observée sous cet angle.

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On ne peut dissocier la beauté de la vie. Elles sont si liées qu’elles pourraient quasiment être considérées comme des synonymes. Si donner la vie représente une caractéristique commune propre à tout être vivant, en revanche, donner sa vie, l’ultime sacrifice, reste un acte rarissime d’une noblesse qui frôle un palier supérieur à celui de la vie elle-même.

Contrairement aux objets inertes, la vie est l’élément le moins rare et pourtant le plus précieux. Chaque vie est inestimable et mérite tous nos efforts pour la préserver, la nôtre, mais tout autant celle des autres espèces animales, végétales et microbiennes. La vie n’a pas de prix et la sixième grande extinction amorcée par l’humain lui coûtera très cher. Elle risque même de mettre sa propre vie en péril. Lorsque la vie se meurt, l’Univers perd des milliards d’années de travail.

L’humain se comporte avec les autres êtres vivants comme s’ils n’étaient que des objets inertes. Cette attitude de supériorité, de despotisme finira en prise de conscience planétaire, sinon homo sapiens disparaitra. Il rejoindra les milliards d’autres formes de vie ayant déjà vécu et disparu avant lui. La vie pourra alors reprendre le cours de son évolution normale, car…

… c’est la vie !