Le paradoxe Thanos

Dans le Marvel Cinematics Universe (MCU), on exploite la sempiternelle confrontation entre le bien et le mal, ce dernier étant principalement incarné par le personnage de Thanos. Et pour bien se faire, on l’a imaginé très grand, surpuissant, passablement laid et d’une cruauté sans bornes. Dès ses premières apparitions et notamment dans Les Gardiens de la Galaxie, Marvel s’assure qu’il soit allègrement détesté des autres héros et surtout des cinéphiles. Même son nom est un dérivé de Thanatos, le dieu grec de la mort. En psychanalyse moderne, thanatos signifie l’ensemble des pulsions de mort.

Pour aisément parvenir à se faire haïr, il cherchera à récupérer les six pierres de l’Infini par les moyens les plus cruels et les plus abominables qui soient. L’atrocité grimpe encore plus lorsqu’on nous dévoile son objectif ultime.

Si vous ne connaissez pas le résultat du combat des braves gentils contre Thanos et ses alliés, je vous déconseille de poursuivre la lecture de cet article puisque l’objectif n’est pas de divulgâcher l’intrigue, mais plutôt d’analyser les gestes et les intentions du colosse qui ne peut se faire sans dévoiler les conclusions de plusieurs films de cette série.

Dans ce genre cinématographique, le scénario classique consiste à faire vivre d’épouvantables épreuves aux héros afin d’insister sur leurs vertus. Et la très grande majorité de ces histoires se termine par la victoire in extremis des représentants du bien. L’histoire du Seigneur des anneaux en est l’archétype.

Dans le MCU, Thanos cherche à rassembler les six pierres de l’Infini en usant de barbarie mais pas seulement. Souvenez-vous du geste du Dr Strange qui se départit de sa pierre verte en la remettant volontairement au monstre. Et lorsque ce dernier arrache finalement la sixième pierre, la jaune, du crâne de Vision, il est difficile d’appréhender la suite, tellement son objectif ultime nous semble impensable. On anticipe ici un geste d’éclat de la part d’un quelconque héros ou encore d’une remise en question de Thanos.

Et contre toute attente, il claque quand même des doigts, faisant du coup disparaitre la moitié des êtres vivants. Le méchant gagne… et dans la foulée la moitié de nos héros s’envolent en cendres, mais également la moitié de nos proches ! Car malgré la fiction cinématographique, notre esprit projette toujours une partie des images sur notre monde. Sans confondre le réel de l’irréel, on se demande cependant comment nous nous sentirions, comment nous réagirions si une telle catastrophe devait vraiment survenir.

Une fois la mission du vilain accomplie, Marvel change drastiquement l’image de Thanos. On le croyait féru de pouvoir et pourtant il délaisse l’usage des pierres surpuissantes pour tranquillement se consacrer à la popote. Il n’a pas détruit la moitié du monde pour le plaisir, mais au contraire pour le bien de la moitié restante. Et c’est ici où le paradoxe Thanos prend toute sa forme et sur lequel il est important de réfléchir.

Doit-on sciemment faire disparaitre une grande partie de nos semblables pour le bien des survivants ? Nous, qui nous évertuons à sauver à l’unité toutes les vies humaines possibles grâce à la médecine, à la pharmacologie et aux multiples interventions d’urgence, peut-on d’autre part accepter l’idée d’un humanicide même s’il est aléatoire et non discriminatoire ? Notre réponse instinctive est bien évidemment « non ». De tout temps, nous sommes programmés pour sauver nos semblables. Pourtant, on accepte également de tuer d’autres de nos semblables s’ils n’appartiennent pas à notre gang, à notre tribu, à notre peuple, à notre nation et bientôt peut-être à l’humanité lorsque d’autres planètes habitées d’êtres intelligents seront connues.

L’humain vit déjà avec le paradoxe de la protection-destruction. Il suffit d’apporter un subtil mélange de justifications basées sur la crainte et l’obtention d’avantages significatifs pour faire basculer les esprits d’une nature pacifique vers un comportement agressif.

Quelle différence y a-t-il entre deux tribus qui guerroient jusqu’à ce que l’une d’entre elles s’éteigne et le choix de Thanos de zapper une moitié de tous les êtres vivants ? Le nombre, direz-vous. Oui et non. C’est vrai, mais la vraie différence ne se situe pas sur ce point strictement mathématique. La vraie différence réside dans le principe. Thanos n’a pas la prétention de vouloir aider son clan, son peuple, sa nation ou lui seul, puisque le choix des victimes est basé sur le hasard. Contrairement aux peuples se faisant la guerre, l’action de Thanos est désintéressée. Bref, il le fait par bonté au nom d’une nécessité absolue !

Et voilà où je veux en venir. Qui sont les bons et qui sont les méchants ? Quelles actions sont bonnes et lesquelles sont à proscrire à tout prix ? Nous avons tous appris à polariser le bien et le mal et s’ils ne peuvent vivre l’un sans l’autre, il nous est toujours très difficile d’accepter de les faire cohabiter. Pourtant, le paradoxe Thanos vit partout autour de nous, mais également et surtout à l’intérieur de nous-mêmes.

Si l’on se départit des notions absolues du bien et du mal, le paradoxe Thanos tend à disparaitre. Toutes les actions possèdent une partie des deux et il y a plus. Le bien d’aujourd’hui se transforme la plupart du temps en mal à plus long terme et vice versa. L’idée consiste donc à définir nos priorités sans toutefois oublier qu’on ne fait le bien que pour faire émerger le mal, au mieux, plus tard. Le contraire s’applique également.

Thanos n’est peut-être qu’un visionnaire incompris, donc détesté pour cela. Il réfléchit au long terme au détriment du court terme. Notre culture penche généralement du côté opposé. En fait, privilégier le court terme serait censé être réservé aux urgences immédiates. Pourtant, malgré un niveau de confort quasi assuré, nous ne parvenons plus à faire basculer nos priorités vers des objectifs à long terme. Et c’est à ce moment où un Thanos finit par devenir nécessaire, pour rétablir l’équilibre à long terme par un geste immédiat d’apparence insensée.

Heureusement, Thanos n’existe pas vraiment ! Détrompez-vous. La Nature possède tous les moyens de nous faire regretter notre mode de vie centré exclusivement sur des objectifs immédiats sans jamais nous soucier de nos impacts dans un futur éloigné. Donc, nous sommes à la veille de vivre le retour du balancier et cette prédiction n’est pas issue d’une boule de cristal, mais d’une loi universelle fondamentale qui est celle du balancier. Un pendule ne peut pas se maintenir longtemps d’un seul côté du centre. Inexorablement, il finira par aboutir à l’autre extrémité, son état d’équilibre ne pouvant être atteint que lorsque le court et le moyen terme deviennent égalitaires.

Notre mode de vie actuel aura bientôt une fin brutale sans devoir invoquer l’apport d’un Thanos ou d’un astéroïde géant. Les signes avant-coureurs foisonnent et même si on cherche à ne pas les observer et surtout à ne pas en tenir compte, ils ne disparaitront pas pour autant.

Surpopulation, pollution, destruction des milieux et de la biodiversité, changements climatiques, surexploitation des sols et des espèces, il est difficile d’en faire abstraction et pourtant l’humain parvient très bien à se voiler la figure afin de faire perdurer sa folie de la vision courte encore quelques années, et ce sans apporter de changements radicaux à son mode de vie.

Thanos n’est pas un paradoxe lorsqu’il est compris. Il serait plus juste de parler d’une solution extrême nécessaire. L’idée est que nous ne nous entendrons jamais sur l’importance d’appliquer ce genre de procédé drastique et irréversible. Et même si le concept était reconnu et accepté, il sera toujours reporté. Celui qui un jour pressera le bouton rouge, malheureusement il ne commettra pas ce terrible geste à l’instar de Thanos, mais plutôt comme un émule de Staline.

Que nous le voulions ou non, chose certaine, notre population vivra bientôt – à l’échelle temporelle de la planète – une réduction draconienne, et plus probablement une éradication. Ce phénomène exceptionnel emportera l’humain ainsi qu’une grande quantité d’autres espèces vivant sur Terre. Pour ceux qui y survivront, un âge d’or surviendra. Plusieurs preuves géologiques démontrent ce fait, le plus marquant datant de 66 millions d’années lorsque les petits mammifères dont nous sommes issus ont survécu et ont prospéré après d’extinction des dinosaures non-avions.

À quoi ressemblera la Terre après l’humain ? Quelles espèces le remplaceront et prospéreront au-delà du grand cataclysme ? Personnellement, je penche en faveur des insectes, les espècs actuelles négligées de notre monde, comme l’étaient les minuscules mammifères au temps où les sauriens géants régnaient sur Terre.

Bienvenue aux futurs états terrestres des Termitières-Unies, de la République Démocratique des Libellules, de l’Union Apicole, du Royaume-Cafard et de la Principauté de la Grande Fourmi Volante.

Les origines du bien et du mal

Mon point de vue sur cette question risque de vous surprendre puisque ma réponse fouillera là où on oublie souvent de regarder.

Personnellement, je préfère éviter de cataloguer les manifestations de notre Univers en usant de cette bipolarité. Toutefois, ce bel objectif se bute à une panoplie de générations de penseurs qui ont constamment cherché à classer les événements et les gens en deux catégories distinctes. Je m’accroche alors plus souvent que je l’espérais. Je m’enfarge, pour utiliser un verbe québécois.

Transcender ma culture s’avère difficile, mais nécessaire, car je sais d’où émane cette bipolarité, comment elle se manifeste et combien elle peut nous induire en erreur.

Instinctivement, nous comprenons que notre jugement est biaisé pour tout un tas de raisons. «Qui suis-je pour déclarer qu’une chose est bonne ou mauvaise, belle ou laide?» Nous nous posons souvent cette question sans toutefois y répondre, car celle-ci serait: «Je ne suis rien ni personne».

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Au mieux, nous restreignons notre évaluation sommaire à ce qui nous entoure, à nous-mêmes, à nos proches, à notre environnement immédiat. En tant qu’entité individuelle, nous possédons ce droit de juger à notre échelle de ce qui nous parait bien ou mal. Choisir entre différentes possibilités devient plus aisé si on les qualifie, la plus simple façon d’y parvenir consistant à les séparer en deux groupes.

Cette incapacité à inventer des nuances remonte aux tout premiers hominidés pour qui le nombre 2 représentait la limite de leurs compétences mathématiques. Les origines de la notion du bien et du mal datent de ce temps où tracer une ligne séparant en deux un ensemble d’éléments et de les étiqueter par ambivalence a constitué un pas de géant.

Encore aujourd’hui, notre tendance naturelle à simplifier notre jugement à l’extrême, comme nos lointains ancêtres, reste bien présente. Cependant, tout a évolué. Notre monde, même à notre niveau bien personnel, ne peut plus se permettre d’une technique d’évaluation archaïque basée sur l’ambivalence, c’est-à-dire entre deux contraires.

Ces notions bipolaires si chères aux penseurs de tout temps n’ont de sens que si on ne regarde qu’un seul pixel d’une grande œuvre. Ce petit éclat de lumière peut être analysé en utilisant les termes blanc ou noir, rouge ou vert, bleu ou jaune. Mais déjà, on note l’absence de teintes intermédiaires et une œuvre complète composée uniquement de pixels noirs et blancs détruit toute la richesse perceptible avec des éléments présentant un éventail de teintes.

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Ainsi, la bichromie du bien et du mal, du beau et du laid, provient d’une insensibilité (programmée) aux teintes intermédiaires. On ne voit que deux possibilités alors qu’il en existe une quantité phénoménale.

L’évaluation ambivalente consiste également et surtout à ne jamais observer une image dans son ensemble, seulement un pixel à la fois. Admettons que vous me récitiez les valeurs noire ou blanche de chaque pixel d’une image, pourrai-je me faire une idée juste de ce qu’elles peuvent représenter sans les regarder toutes ensemble dans un certain ordonnancement précis?

Le monde dans lequel nous vivons actuellement ne ressemble plus aucunement aux univers quasi statiques de nos lointains ancêtres. L’image, si difficile à se représenter qu’il fallait en observer un seul pixel à la fois, s’est mise à s’accumuler en une vaste série possédant chacune des différences avec sa précédente. Notre vie n’est plus pixel bichromatique, n’est plus pixel polychromatique, n’est plus une image fixe montrant ou non des teintes et des couleurs. Notre monde moderne, à l’instar de son cinéma, est constitué d’une panoplie d’images à haute définition défilant de façon ininterrompue.

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Recourir encore aux évaluations ambivalentes opposant le bien et le mal, le beau et le laid consiste à faire abstraction du contexte, de l’histoire, des richesses, de la complexité, de l’image complète, des images complètes et de la dynamique s’étant instaurée entre elles.

Le bien, le mal. En utilisant ces termes, nous perpétuons une notion aussi vieille que la plus petite et la plus ancienne forme de vie sur Terre, celle d’une mathématique limitée à un bit d’information. Combien de bits le disque dur de votre ordi comporte-t-il?

Ours mal léché

Belle expression imagée dont je vais tenter l’explication dans ses sens propre et figuré.

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Une ourse noire (ursus americanus) donne naissance à un, deux ou trois petits lorsqu’elle se retrouve en hibernation. En léthargie et manquant parfois de réserves, elle peut se comporter avec ses rejetons de manière peu maternelle. Si les oursons survivent, ceux-ci peuvent rester psychologiquement et physiquement carencés au moment de refaire surface. Ces ours pourront adopter des comportements frondeurs et agressifs et on les appellera des ours mal léchés en faisant référence à l’allaitement, au toilettage et aux attentions portées par la mère qui auraient été négligés.

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Chez les humains, on qualifie un individu d’ours mal léché pour parler d’une personne bourrue sans nécessairement qu’elle démontre de l’agressivité physique. Entêté, grognon, revanchard, plaignard, il s’avère difficile de vivre dans les parages d’un ours mal léché, car tout est matière à être critiqué.

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Ce comportement peu socialisant apparait de manière permanente ou sporadique. Il voit tous les travers des autres, mais jamais les siens. Il a toujours raison. Il s’en prend aussi bien au côté pile qu’au côté face des choses tout en s’évertuant à ne jamais présenter de solutions constructives à aucune de ses récriminations.

Comprendre ses motivations est inutile, il aboie simplement dans le but d’aboyer. N’ayant pas nécessairement tort, il conforte son comportement derrière des constats véritables, mais pas toujours entièrement véridiques. Déformer et mélanger consciemment certains faits pour mieux renforcer ses opinions ne le dérange aucunement. Il n’écoute ni ne retient aucun argumentaire d’autrui.

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En revanche, il ne cherche pas exactement à se transformer en prédicateur. Convaincre la population l’intéresse peu, mais il accepte les disciples dociles. À défaut de pouvoir rabâcher les oreilles d’un entourage probablement inexistant, l’ours mal léché se tourne maintenant vers les outils de l’internet. En vous promenant sur plusieurs sites, vous finirez par tomber sur un ou deux de son espèce. Facile de reconnaitre, il écrit comme il éructe. Sans aucune nuance, lorsqu’il avance la moindre solution, elle est toujours radicale et expéditive. Vous aurez compris qu’il est totalement inutile de lui laisser un commentaire si vous ne partagez pas son opinion.

bear_with_a_sore_headJe considère un ours mal léché comme un individu modérément toxique pour son environnement, car il existe pire que lui et qu’il est surtout facile à repérer. En démontrant clairement son côté hargneux et souvent illogique, il avise les gens des dangers qu’ils courent à rester dans ses parages. WYSIWYG, comme on dit en chinois (what you see is what you get). Comme pour un serpent à sonnette, déguerpissez lorsque vous entendez les clochettes de la vipère et vous échapperez au danger.

 

Dualité

Nous, les humains, sommes très attachés au concept de la dualité, le bien et le mal étant l’archétype de nos dualités. Cependant, ces deux antipodes sont des pôles et rien ne se trouve totalement à l’un ou à l’autre de ces extrêmes. La dualité accepte en fait une infinité de positions entre ces deux limites, comme il existe une infinité de fractions entre zéro et un.

La Nature physique adore également la dualité et celle qui a permis de comprendre une foule de mystères est la réconciliation de deux thèses sur la lumière, celle de Christian Huygens et celle d’Isaac Newton qui ont donné la théorie de la dualité onde-corpuscule de la lumière, deux thèses se contredisant l’une l’autre et qui pourtant sont toutes les deux vraies.

Une belle métaphore pour comprendre qu’une telle aberration puisse quand même exister est la vision de l’ombre d’un cylindre projeté, non pas sur un seul écran, mais sur deux écrans perpendiculaires alors que le cylindre est également éclairé par deux sources perpendiculaires.

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Sur le premier écran, apparait un cercle et sur le deuxième se voit un rectangle, deux objets géométriques que tout oppose, et pourtant si l’on se donne la peine de regarder «autrement», on voit et on comprend les deux ombres projetées sur les écrans et la réalité de l’objet unique qui les crée.

Lorsque nous sommes confrontés à une dualité dans nos vies, nous avons tendance à regarder et à considérer seulement une ombre sur les deux, reléguant la seconde au rang d’importune. Pourtant la vie nous montre la vraie façon d’aborder le problème. Nous ne verrons jamais ni ne comprendrons la réalité si nous persistons à ne regarder que des ombres et à les trier par des jugements de valeur alors que l’explication précise de nos questionnements se trouve tout près de nous, mais certainement pas sur la vision de l’un ou l’autre, ni même des deux écrans pris séparément, mais en synthèse, en une unique entité plus complexe et plus belle que ses seules représentations éthérées.

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