La saga de Noé

Cet article fait suite aux deux précédents, «La comète de Noé» et «Survivre à la comète de Noé»

La désolation est totale, mais vous êtes trop sous le choc pour en évaluer l’ampleur et en comprendre tout le sens. Vos deux enfants sont inconsolables. Votre femme vous regarde anxieusement, mais vous êtes incapable de la rasséréner, de lui dire que tout ira bien, car vous savez que c’est faux. Voyant que vous êtes les seuls survivants sur un territoire aussi grand que peut porter votre vue, vous vous demandez si mourir n’aurait pas été une meilleure solution!

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Vous vous retrouvez sur une ile jonchée de débris végétaux entremêlés de créatures marines ayant succombé au tsunami. Instinctivement, vous commencez à en extirper des décombres afin de vous faire des provisions. Heureusement, tous ces arbres déracinés vous donneront le bois nécessaire pour cuire cette viande afin de la préserver. L’ile n’est pas immense, mais elle abrite encore certainement quelques animaux enfouis dans des terriers.

Pour l’instant, le mieux est d’occuper les enfants pour les sortir de leur état de choc. Le jeunot aidera sa mère à cuire les poissons tandis que votre fille vous donnera un coup de main pour la fabrication d’un abri.

Pour tout outil, il ne vous reste que votre lance et votre couteau que vous donnez à votre femme. Il faudra faire mieux avec peu.

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Votre fille déploie d’étonnantes aptitudes, tant physiques qu’organisationnelles. Elle n’a pas raté une seule de vos leçons et elle le démontre avec une énergie juvénile, c’est-à-dire inépuisable. À défaut de trouver une grotte, vous assemblez rapidement des troncs d’arbres pour former une construction mi-toit mi-mur que vous orientez de façon à vous mettre à l’abri des vents dominants. Les côtés sont construits à partir d’arbres plus petits et de branches. Il ne restera qu’à sceller les interstices avec des branchages et de la boue. Ce ne sera pas totalement étanche, mais ça fera l’affaire pour passer les prochaines nuits.

Tandis que vous laissez votre fille terminer l’abri, vous partez à la recherche d’eau douce, la prochaine priorité. Déjà, la soif vous tenaille à cause des derniers efforts déployés et vous espérez vraiment trouver un quelconque réservoir intact. La surface de l’ile est inégale et il est possible que des anfractuosités aient accumulé de l’eau de pluie.

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Avec de la persévérance, de l’observation et un peu de chance, vous découvrez, sous des buissons réputés pousser dans des sols humides, des rochers fracturés formant une cuve remplie du précieux liquide. À l’aide de feuilles, vous puisez de l’eau pour en apporter au reste de la famille. Il faudra fabriquer un contenant étanche avec des clisses de bois, une hache vous sera nécessaire. Déjà, vous vous attelez à fabriquer deux modèles de cet outil très polyvalent.

Les jours passent et vous avez compris dès le début qu’aucun avenir ne réside sur cette ile. L’habitude d’observer les oiseaux vous a indiqué une direction. Ils semblent tous se diriger vers le Soleil levant. C’est donc par là que vous devez emmener votre famille même si la mer s’étend à perte de vue dans cette direction.

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Un radeau devrait apporter la solution. Puisque les arbres morts et les débris végétaux s’étalent à profusion, la matière première pour le construire ne pose aucun problème. Votre fils démontre une belle opiniâtreté au travail. Il a appris à pêcher et à chasser les oiseaux et les petits mammifères, vous dégageant de cette responsabilité.

Un jour, votre femme et votre fille vous font une étrange demande. En fait, c’est plus une décision qu’une suggestion. Elles veulent emporter le plus d’animaux possible sur l’embarcation. Leurs arguments ne manquent pas, mais les conséquences de cette nouvelle réalité sur les plans de l’embarcation sont énormes. Elle retardera de plusieurs lunes le jour du départ, mais mon argument massue se fracasse contre la ferme intention des deux femmes. «Il n’est absolument pas question de partir sans les animaux.» Même mon air le plus dépité n’a pas eu raison de leur détermination.

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Le radeau est agrandi, solidifié et compartimenté. Nourrir certains animaux devrait s’avérer plutôt aisé, il n’en ira pas de même avec d’autres. La question de fond est de savoir combien de temps durera la grande traversée, une inconnue dont dépendent les quantités en réserves à embarquer et surtout la quantité d’eau douce qui sera nécessaire à toute la ménagerie.

Le grand Jour approche. La chasse aux animaux pour d’autres fins que de terminer immédiatement dans vos estomacs est finalement commencée. Les cages sont prêtes à les accueillir et le radeau, parlons maintenant d’une arche, a été mis à l’eau hier soir lorsque vous l’avez fait glisser sur des rondins jusque dans le bassin d’eau profonde.

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Votre femme révise une dernière fois les calculs des quantités d’eau à l’aide de cailloux. «Nous devrons tous nous limiter à boire moins que nécessaire, vous dit-elle. Nous pourrons tenir une demi-lune s’il ne pleut pas.»

Vous n’êtes pas marin. Vous avez toujours détesté la mer depuis qu’elle a pris votre ainé. Vous comprenez toutefois le principe des courants de marée et des courants dominants. Sur l’eau, il est impératif de prévoir ces courants afin d’éviter les dérives. Durant la construction de l’arche, vous avez eu le temps d’observer les cycles et vous avez fait certains rapprochements avec les positions de la Lune et du Soleil. Vous avez gravé vos observations les plus significatives sur un morceau d’écorce. Vous avez également confectionné des cordelettes avec des nœuds afin de compter les cycles des marées. Muni de ces deux éléments, vous devriez prévoir les courants et adapter vos manœuvres en conséquence.

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L’embarquement s’avère un moment plus émotif qu’escompté. Il faut non seulement quitter la terre qui nous a vus naitre, mais également celle qui nous a sauvés et maintenus en vie, tout cela pour affronter une mer apparemment infinie aux confins inconnus. Avant de détacher la dernière amarre, vous dites à votre famille: «Nous avons eu la chance de survivre à la Grande inondation. Nous avons vécu heureux par la suite en faisant tous de notre mieux. Si notre vie devait se terminer sur les vagues de cette mer, nous ne devons rien regretter. Qui sait ce qui nous attend au loin? Notre périple deviendra peut-être légende. Une belle légende comme toutes celles que je vous raconte le soir autour du feu.»

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Allez, chéri! Cesse de parler et détache-nous, on a une terre à trouver!

Le Déluge – Noé et son Arche

Les Anciens racontaient des légendes aux gens de leur peuple lors de moments privilégiés. Un soir d’été. Un soir où la Lune était pleine. Un soir où la fraicheur exigeait d’allumer un feu. Un soir où on gardait certains jeunes éveillés afin qu’ils entendent pour la première fois le partiarche raconter des histoires venues d’un autre Âge.

La légende du Déluge se transmet oralement depuis la nuit des temps, bien avant l’invention de l’écriture. Cette légende comprend des faits. Le Déluge lui-même n’est pas une invention puisqu’il a réellement été vécu et subi par des gens en chair et en os. Les rescapés l’ont raconté. En contrepartie, la cause de ce dernier était loin d’être connue.

Mais raconter une histoire, aussi vraie puisse-t-elle être au niveau de ses effets, ne peut se raconter sans parler de ses causes et de ses raisons. Toutefois, celles-ci sont totalement inconnues. Un cataclysme universel est survenu et personne ne sait ni comment, ni pourquoi.

Le patricarche narrateur comprend qu’il n’a pas le droit de laisser des blancs dans son histoire, elle semblerait beaucoup moins crédible. De plus, il est censé en être le gardien. Quel gardien laisserait s’échapper autant d’informations importantes, voire essentielles ? Il n’a d’autre choix que de donner des causes et des raisons en plongeant dans le folklore, la mythologie et la théogonie de son peuple. Pour certains, une punition est infligée par un Dieu pour absoudre leurs péchés. Pour d’autres, ce sont des forces titanesques qui s’affrontent et les humains en sont des victimes collatérales. Pour d’autres encore, il s’agit de dieux mal intentionnés, acariâtres ou vengeurs. Chaque tribu perpétue ainsi un savoir basé sur des faits réels. Quant aux vraies causes et aux possibles raisons de cet événement unique en son genre, elles sont inventées par ignorance et par obligation afin de répondre à des questions légitimes qui ne peuvent en aucune façon êtres laissées sans réponses valables.

Dans le mythe de Noé, un dieu tue les humains, car ils avaient tous péché.  Il fallait toutefois expliquer pourquoi il reste toujours des humains sur Terre. Ainsi, la présence d’une famille d’humains plus vertueuse que les autres devenait nécessaire pour expliquer le repeuplement survenu plus tard. Et puisque cette histoire avait bien fonctionné avec Adam et Ève, il suffisait de la reprendre en changeant quelques paramètres.

D’autre part, il fallait également expliquer la présence des animaux. Sauver une famille d’humains de la noyade explique leur repeuplement, mais comment expliquer celle des animaux qui auraient dû tous périr noyés jusqu’au dernier ? Puisque Noé avait besoin d’un bateau pour flotter sur les eaux montantes, ce même bateau aurait pu servir à sauver des animaux de la noyade. Ainsi, Noé passa de vigneron à armateur et ensuite à gardien de zoo. De cette façon, le Déluge, ses causes et ses effets étaient tous décrits, expliqués et justifiés par un récit complet, compréhensible et respectueux des autres enseignements, tel que le devoir de bonne conduite.

Dans un contexte où les causes du Déluge ne pouvaient absolument pas être connues, il faut applaudir la façon dont nos ancêtres l’ont expliqué. Le récit est tellement bien ficelé que plusieurs continuent encore à y croire dans sa totalité et ce, après plus de cent siècles. En plaçant le Déluge dans son contexte et à son époque, en le vivant par procuration, si je puis dire, on peut comprendre comment le récit du Déluge et le mythe de Noé ont fini par ne former qu’une seule histoire. Le récit fournit l’événement bien réel. Le mythe fournit une cause plausible. Le dieu vengeur explique la raison du Déluge. Noé et sa famille expliquent le repeuplement humain survenu après l’éradication des autres humains. L’Arche donne le moyen d’évasion de Noé ainsi que celui des animaux embarqués par couples sur la même arche afin, eux aussi, de repeupler la Terre.

Il reste à expliquer comment Noé a su avant le Déluge qu’il fallait s’y préparer. Le même dieu qui fera survenir le cataclysme avise Noé de ses intentions. Il ne pouvait en être autrement. AInsi, toutes les questions obtiennent leur réponse.

Nous savons aujourd’hui que bien des humains et des animaux ont survécu à la grande flotte sans avoir eu recours à une Arche archibondée. La Terre a connu 5 extinctions de masse. Le Déluge ne compte même pas dans ce chiffre. Par contre, c’était la première fois que l’humain avait conscience d’une catastrophe d’une ampleur aussi subite et apparemment sans limites. Disons merci à Noé, à Gilgamesh et à beaucoup d’autres personnages d’avoir véhiculé cet événement sur autant de générations. Grâce à eux, le Déluge reste encore présent dans l’imaginaire des humains. Par contre, dans une légende, il faut savoir séparer les faits des mythes.

Ainsi, ceux qui cherchent l’Arche sur les pentes du mont Ararat perdent leur temps. Ils ignorent la façon dont les légendes se construisent, évoluent et sont transmises. Ceci dit, retrouver les restes d’un navire sur les pentes du mont Ararat et datant de cette époque n’aurait rien d’exceptionnel. Combien de barques et de navires se sont échoués un peu partout sur la planète lors de ce cataclysme ? Si nous les retrouvions tous, nous aurions alors des milliers d’Arches potentielles et le problème inverse. Celui de trouver la vraie. Je souhaite donc à tous ces enthousiastes beaucoup de… d’enthousiasme.

Photo: Wikipedia