Totem

Comme tout bon Québécois issu des premières colonies, je transporte une certaine quantité de sang amérindien. Mais qu’on soit de sang mêlé ou non, poursuivre un des rituels des Premières Nations consistant à se donner un totem vaut le coup d’être sérieusement envisagé.

Le principe consiste à trouver avec quels animaux de la nature, nous possédons des qualités communes et aussi des qualités que nous voudrions acquérir ou améliorer.

Un totem peut consister en un seul animal ou plusieurs. On peut en rajouter d’autres au cours de notre vie, mais il n’est pas plus conseillé d’en prendre trop que d’en retrancher un qu’on aurait choisi sans trop réfléchir.

Il est également préférable de trouver deux animaux ne partageant pas les mêmes proies et territoires ni possédant les mêmes attributs. On ne devient pas meilleur en choisissant des semblables, mais des contraires. La complémentarité améliore la qualité du totem qui définit ce que l’on pense de soi, ainsi que la personne que nous aimerions devenir.

Ainsi, un totem ne se choisit pas à la légère et parfois un ou plusieurs avis peuvent s’avérer utiles. Cependant, un conseiller doit éviter de nommer un animal en particulier. Le choix revient totalement à celui qui portera ses marques. Il est préférable de demander à la personne de nous parler des qualités qu’elle s’attribue et celles qu’elle aimerait acquérir pour ensuite lui demander de trouver les animaux correspondants. Lire des livres, regarder des documentaires et observer les animaux sont les meilleurs outils pour découvrir son totem.

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Un totem se sculpte par le bas et se termine par le haut. On voit donc souvent des totems avec un animal terrestre touchant le sol et un animal aérien touchant le ciel. L’eau constitue aussi un très bon réservoir d’animaux à ne pas négliger. Il faut concentrer son attention sur les qualités des animaux, pas sur leur apparence ou leur popularité. Par exemple, la tortue est un animal possédant des qualités extraordinaires que sa lenteur nous fait malheureusement oublier. En choisissant cet animal en totem, on ne cherche pas à devenir moins dynamique, on veut plutôt améliorer sa résilience, son endurance et sa pugnacité.

J’ai écrit une nouvelle dans le premier tome des « Scénarios de fins du monde » qui traite de l’obtention de totems. Cette histoire m’a profondément ému bien que j’en sois l’auteur. Lorsqu’un écrivain vous dit qu’une histoire existait déjà et qu’il n’a eu qu’à la coucher sur papier, ma nouvelle « Rite de passage » m’a semblé provenir d’un très lointain passé. Elle fait partie des histoires que mon cerveau a captées sans la chercher, sans la forcer, mais en l’acceptant alors qu’elle s’est simplement présentée au bout de mes doigts.

Il est difficile d’expliquer mon état d’esprit durant cette phase d’écriture. Cependant, je me souviens d’être calme et en paix. Ma nervosité augmentait parfois lorsque le flux devenait plus rapide et que je craignais d’oublier certains passages. En y repensant, je pourrais même affirmer que nous composions la nouvelle à deux. Nous étions interconnectés, calmes et en paix avec cet état second. Cette fusion me donnait accès à de nouvelles idées, mais également à d’autres émotions. Ce texte ne me ressemble pas vraiment, pas plus que le style employé pour raconter cette aventure.

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J’ai mis du temps avant de décider de mon totem et les deux animaux qui le composent n’ont pas été choisis simultanément. J’ai plutôt attendu des signes. Lorsque certains d’entre eux sont venus sous forme répétitive, j’ai pensé qu’il était temps de les adopter. Pour mon totem terrestre, ce fut le loup, mais pas n’importe lequel, et pour mon totem aérien, mon choix s’est arrêté sur le grand corbeau.

Bon, celui-là m’était peut-être prédestiné, mais il existe quand même plusieurs espèces d’oiseaux dans la famille des corvidés et le fait de choisir le grand corbeau parmi les autres espèces de la même famille n’avait rien d’anodin.

La plupart des loups font partie d’une meute, sauf ceux qui ne respectent pas l’autorité du mâle alpha. Ils deviennent alors des loups solitaires vivant à l’écart de la meute. J’ai toujours été ce genre de loup malgré mes efforts pour faire partie de plusieurs meutes. Un solitaire se trouve parfois un ami et ils chasseront à deux, augmentant de beaucoup leur chance de survie. Le loup prend soin de ses malades, et on peut même aller jusqu’à dire qu’ils respectent des rituels.

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Quant au grand corbeau, il se démarque clairement de ses cousins. Il ne participe pas à des rassemblements, il est fidèle et protecteur. Il reste plus sauvage que les autres et il est capable de chasser des animaux comme des oiseaux de proie. Il chante épouvantablement mal. En fait, son cri ressemble à une porte de grange grinçante émettant des sons graves. Se faire frôler la tête par un grand corbeau a de quoi impressionner, car son empennage est parmi les plus grands des oiseaux de la forêt. Cependant, s’il vous croit inoffensif, avec le temps il deviendra un peu moins rébarbatif à votre présence. Il se permettra même de vous faire une place dans son environnement et ne vous importunera presque plus. Par contre, cela ne l’empêchera pas de vous réveiller sans gêne aux petites heures. Il vaut mieux accepter de se lever, parce qu’il ne cessera pas avant de vous voir. C’est peut-être sa façon de démontrer qu’il vous accepte… un peu.

Le totem est un guide de vie comme bien d’autres choses. Je n’y cherche pas des interventions magiques ou surnaturelles, divines ou contrôlantes. Mon totem n’est pas moi, mais une représentation quelconque de mon for intérieur. Il peut m’aider à me définir ainsi qu’à garder le cap durant les multiples tempêtes qui jalonneront ma vie. Le totem se dresse et il est fier d’être debout, de se présenter aux autres.

Il faut protéger et entretenir son totem. On ne se moque jamais du totem des autres, puisque aucun animal n’est inutile, aucun animal n’est dépourvu de qualités, tout animal mérite de vivre et de faire bonne figure sur un totem.

Il n’y a pas si longtemps, les villes n’existaient pas et nous vivions entourés d’animaux, tous ensemble sur les mêmes territoires. Cette histoire, c’est la nôtre et elle nous habite. Le totem nous ramène à une époque où nous vivions parmi les animaux.

Un totem se retrouve rarement sous la forme d’une véritable sculpture, c’est plutôt une représentation mentale. Certains voudront toutefois posséder un objet représentant leur totem. Je conseille de le faire modeste, une dizaine de centimètres suffit amplement et il se sculpte plus rapidement.

Pour terminer, rien n’est plus satisfaisant que la fierté de son totem, car il nous relie à la nature et il nous révèle à nous-mêmes. Portez-le sans gêne et ne soyez pas timoré, parlez-en aux autres. Invitez les gens à s’en choisir un. Ça ne fait aucun mal et on acquiert un bien plus grand respect de la nature lorsque nos animaux nous suivent partout où l’on va.

Écrivez un commentaire pour me faire connaitre votre totem.

La nature des loups

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Un loup doit-il s’en vouloir d’être un loup ? Non. Cependant, un loup n’a pas à agir en loup avec tout ce qui se trouve autour de lui. Il ne se dénature pas s’il réfrène certains comportements préférablement réservés à des adversaires. Est-il moins loup pour autant ?

Il n’est pas moins loup. Toutefois, sa vraie nature n’est jamais bien loin de la surface et la faire ressurgir s’avère facile à susciter, car il est loup.

Il choisira ou sera forcé de choisir un statut. Soit il acceptera de se tenir en meute en acceptant les compromis conséquents, soit il fera partie de la minorité d’individus vivant solitaires.

Cette solitude lui forgera des traits inexistants chez ceux qui ont préféré la meute, annihilant d’autant plus sa capacité de vivre entourés de congénères. Ainsi, deux loups n’auront pas du tout les mêmes comportements selon leur condition sociale.

Le loup grégaire, le loup solitaire.

L’un est-il plus loup que l’autre ?

Photo :  ; futura-sciences.com ;

Je sens le loup !

Durant plusieurs années, je me suis fait un devoir, dès la fonte des neiges, de partir seul en forêt, dans un endroit m’étant encore inconnu. Ici, à certains endroits, la neige perdure assez tard au printemps, surtout à l’ubac où poussent les résineux. Armé de mes cartes topographiques, de mon GPS, de ma boussole, de mes bâtons de marche et d’un kit de survie, j’essaye de me tracer un itinéraire à travers les bois où l’haleine de l’humain n’a peu ou jamais eu la chance de se faire sentir.

Une année, j’avais choisi une forêt éloignée de toute piste de 4×4 ou de chemin d’exploitation forestière. Je devais d’abord monter au sommet d’une montagne pour ensuite suivre un ruisseau de fonte vers un ravin qui m’amenait au pied de la falaise. De là, je me retrouverais en terrain plat sur cinq kilomètres jusqu’à un marais que j’espérais encore gelé.

Lorsqu’on parcourt des forêts laissées à leur état naturel, les obstacles affluent. Densité des branchages, arbres déracinés, se frayer un chemin parmi cette végétation mi-morte mi-vivante oblige à effectuer de multiples détours. Étant de la vieille école, je préfère me fier à mes sens et à ma boussole qu’au GPS qui peut à tout moment refuser pour une quelconque raison d’indiquer ma position. En pleine forêt, les arbres ne portent ni nom ni numéro civique. L’iPhone n’est d’aucune utilité. Ça prend un bon vieux Garmin chargé avec les cartes topographiques adéquates. Pour qu’un GPS puisse fonctionner correctement et avec précision, il faut cependant recevoir les signaux simultanés d’au moins 4 satellites. Si un ravin, une falaise ou les deux viennent à vous couper les ondes, vous aurez droit à des messages d’excuses, bien inutiles. Mais ce qui survint cette fois-là n’a eu aucun rapport avec la connaissance précise ou non de ma localisation. Je me suis simplement retrouvé sur un territoire n’appartenant pas à l’humain.

Dès le début de ma descente, j’ai commencé à sentir quelque chose d’inhabituel. Je suivais la faille entre deux montagnes servant à écouler l’eau de fonte. La terre était encore gelée et seul un léger filet d’eau serpentait entre quelques rochers dévalés des hauteurs à des époques inconnues. Tout à coup, les poils de ma nuque se sont dressés sans raison apparente, mais j’en ai immédiatement déduit la cause. Je n’étais pas sur le territoire des humains, mais sur celui des bêtes. Mes observations subséquentes ont confirmé ce constat. Ici à gauche, le fémur d’un cerf. Là devant, les plumes d’une perdrix ayant récemment connu de meilleurs jours, En haut, perché dans un arbre, la carcasse d’une bête ayant vainement espéré trouver refuge. Les preuves s’accumulaient, je me retrouvais sous observation et en pleine évaluation de mon potentiel de dangerosité. Je pouvais sentir l’haleine des loups sur moi.

Un loup est une bête très intelligente et il agit de la sorte. Lorsqu’il reconnait ses droits sur un territoire parce que celui-ci n’est pas arpenté par l’humain, il se l’approprie à titre de l’espèce dominant la chaine alimentaire de ce lieu. Vous avez donc intérêt à agir en conséquence, surtout lorsque vous vous retrouvez seul, et c’est ce que je fis. Ne pas manifester de la peur, seulement du respect. Partir en ne laissant planer aucun doute sur ses intentions. Ne pas se hâter, mais ne pas flâner dans les environs, simplement passer son chemin.

Oui, leur haleine est perceptible. Ce jour-là, j’ai senti les loups très près et autour de moi alors que je foulais leur territoire. Ils ne m’ont pas accueillis, ils m’ont simplement toléré quelques instants. Ils ont également compris que je les avais perçus, sans les craindre, mais en respectant leur droit de propriété.

Durant un instant, je me suis demandé ce qui surviendrait advenant une chute où je me blesserais suffisamment sérieusement pour compromettre ma randonnée. Ça m’a permis d’accroitre ma vigilance, car je n’ai jamais douté de la finitude. Je serais disparu de la surface de la terre sans que personne ne sache jamais ni la cause ni le lieu de ma disparition. Ça m’a fait sourire, sachant qu’on est bien peu de choses dans l’univers. Une leçon d’humilité pour ceux sachant la comprendre et l’apprécier.