Courage

Lorsqu’un animal est attaqué, il peut choisir entre six solutions pour s’en sortir. Le premier réflexe en est un de défense passive, se figer pour faire perdre au prédateur sa cible de vue. Le camouflage et le mimétisme ont sauvé la vie de bien des animaux qui ont vu leur ennemi passer tout près sans les apercevoir. Cette technique statique a également contribué à faire perdre la vie à bien d’autres animaux, car elle implique de rester dans l’aire de danger. Elle donne cependant du temps à la proie pour déterminer le degré réel de dangerosité ainsi que le ménagement de ses efforts, car toute dépense énergétique se paye cher dans la nature.

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La deuxième technique peut sembler la meilleure, car elle éloigne, du moins temporairement, la proie du prédateur, c’est la fuite. Mais si elle est située au deuxième rang, c’est qu’elle n’offre pas que des avantages. Le mouvement se remarque très facilement. Le fuyard se tatoue donc une cible sur lui. Généralement, la nature a doté les prédateurs de vitesse de pointe plus élevée, sinon ils ne pourraient pas survivre. Ainsi, fuir ne suffit pas, cette technique doit être accompagnée d’une stratégie consistant à trouver rapidement un abri sûr. Fuir, mais où ? Sans objectif, il ne reste que l’épuisement et la chance apportés par les obstacles du terrain à l’avantage de l’un ou de l’autre pour déterminer qui remportera la course.

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Semblable à la première, la troisième technique ne peut se pratiquer que par certaines espèces. Elle consiste à attendre l’attaque et laisser ses défenses naturelles venir à bout de l’ennemi. Être muni d’une carapace épaisse ou de dangereuses épines peut venir à bout de la patience et de la sensibilité de l’attaquant tout en se laissant malmener.

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La quatrième façon d’aborder l’ennemi est de l’attaquer. Pris au piège, l’affrontement peut parfois faire tourner le vent en faveur de la victime. Un coup de croc ou de griffe bien placé, un jet de substance biologique sur le museau ou dans les yeux, des épines plantées dans les pattes ou le nez, le prédateur pas toujours expert en la matière risque parfois d’en prendre bien plus qu’il ne l’aurait cru.

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L’avant-dernière façon d’aborder son ennemi est plus rare, car elle ne fonctionne que dans certaines conditions particulières, c’est la soumission. Se soumettre à son ennemi, implorer sa clémence, collaborer avec lui pour lui rapporter plus d’avantages qu’une simple nourriture immédiate peut constituer la dernière ligne de défense. Elle exige toutefois de changer son style de vie pour se soumettre à un être supérieur.

Le dernier moyen de prendre le dessus sur un ennemi est de trouver du renfort. À ce sujet, on trouve deux types d’alliés différents, les naturels et les improbables. Il existe parfois, pas toujours, un prix à payer pour cette protection providentielle. Les circonstances et les individus en cause viendront déterminer les conditions de ce contrat d’alliance. Dans la gamme des alliances naturelles, les congénères d’une hyène attaquée viendront évidemment à son secours. Un lion venant au secours d’un bébé gnou attaqué par un autre lion, ça semble pas mal plus étrange et pourtant ça s’est vu.

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Vous l’aurez probablement compris, ces six comportements se rapportent également aux humains, plus vraiment dans le contexte d’un mangeur et d’un mangé au sens propre, mais dans des relations difficiles à l’école, à la maison, au travail, dans des cercles d’amis ou de loisirs.

Le principe de prédateur-proie reste valable, tout comme les six techniques décrites pour affronter l’adversité. Instinctivement, nous adoptons parfois l’une d’entre elles sans vraiment nous en rendre compte, sans avoir jugé de sa pertinence face à un ennemi en particulier et des conséquences possibles de ce choix sur la suite des événements. Choisir sa technique de défense en connaissance de cause nous éloigne déjà d’un statut de simple victime.

Qu’on le veuille ou non, il existera toujours des attaquants qui s’en prendront à des travaux, à l’intégrité, aux valeurs, aux résultats, à la popularité ou aux idées des autres. Certaines attaques resteront bénignes, mais parfois un individu des plus déplaisants et bien déterminé à attaquer une personne sans raison évidente surgira et fondera sur sa proie.

Il n’est pas toujours possible d’utiliser les techniques de défense passive. Il n’est pas toujours possible d’attaquer plus puissant que soi. Il n’est pas toujours possible de fuir. Il n’est pas toujours possible de collaborer. Par contre, il est presque toujours possible de trouver des alliés quelque part, même s’ils agissent dans d’autres sphères, même s’ils paraissent éloignés de nos soucis, même s’ils ne nous ressemblent pas.

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Le prix à payer pour cette demande d’aide externe est souvent l’exclusion du cercle dans lequel l’individu évolue. Est-ce une véritable perte ou une fabuleuse occasion à saisir ? Parfois, la peur de l’inconnu semble plus forte que la crainte de ses faux amis, ses véritables ennemis.

Ça demande du courage. Cette qualité se développe à partir d’une première tentative, puis d’une autre et encore une autre, sans égard aux résultats apparents. Le courage ne peut appartenir qu’aux victimes, car les prédateurs n’agissent jamais par courage, seulement par opportunisme, car attaquer un plus faible est la marque des vrais faibles.

Alors, courage ! Sors-t’en !

Survivre à la comète de Noé

Cet article fait suite au précédent, La comète de Noé.

Voilà 12900 ans, nous ne sommes déjà plus au cœur de la dernière période glaciaire puisque les températures s’élèvent lentement depuis déjà 9000 ans et de manière plus marquée depuis les 2000 dernières années. Les glaciers fondent, mais cette eau douce peine à se déverser dans la mer à cause de la topologie du terrain et des bouchons de glace qui la retient. Elle forme alors d’immenses lacs de plus de mille kilomètres de diamètre. Ces vastes réservoirs, il y en a eu plusieurs situés en Amérique du Nord et les Grands Lacs actuels en sont des résidus.

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Puis survient la comète groenlandaise. L’impact engendre une onde de choc et de chaleur qui se répercute à des milliers de kilomètres. Le vague de chaleur subite fait sauter les bouchons et toute l’eau accumulée derrière ces barrages naturels trouve enfin une sortie. Le déversement d’eau est bien plus important que celui occasionné par la seule fonte du glacier groenlandais sur les lieux de l’impact. C’est littéralement une mer entière d’eau douce et froide qui dévale de nouveaux fleuves jusque dans l’océan, remontant son niveau de plusieurs mètres de manière quasi instantanée, et ce sur l’ensemble des océans de la planète puisqu’ils sont tous interconnectés.

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Pensez à un tsunami dix fois plus important que celui de l’Indonésie en 2004. Imaginez une vague qui rase tout, emporte tout, engloutit tout et qui, contrairement à un tsunami ordinaire, ne se retire jamais une fois ses méfaits effectués.

La suite de cet épisode prend un tournant personnalisé, puisque vous vivez à cette époque. Et même si vous êtes situé à bonne distance du Groenland, la comète va bouleverser de façon radicale votre vie et celle de vos proches.

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Imaginez que vous vivez comme presque tous vos semblables, sur le bord de la mer, afin de profiter de ses bienfaits, de sa nourriture abondante et du panorama. Imaginez-vous, habitant des grottes creusées à une époque reculée où la mer était plus élevée, mais dont personne n’a souvenance. Puis vous observez l’horizon alors que vous pêchez à la lance sur le bord de l’eau. Quelque chose d’inhabituel se produit là-bas au loin. La mer écume et un mur d’eau semble se lever et se rapprocher rapidement de vous.

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Même si vous ignorez de quoi il s’agit, vous criez à vos amis de déguerpir immédiatement, car votre instinct vous le dicte. Plusieurs d’entre eux ne portent même pas attention à ce que vous leur dites. D’autres prennent le temps d’observer le phénomène, mais l’absence de comparatifs à des dangers connus les laisse indifférents.

Votre instinct fonctionne différemment parce que vous n’avez jamais vraiment aimé la mer. Elle vous nourrit, mais elle est capricieuse et emporte parfois des vies innocentes, comme votre tout premier enfant. Vous attrapez votre dernier marmot qui s’amuse autour de vous et le jetez prestement sur vos épaules. Les gens vous voient déguerpir comme un lapin en se questionnant sur votre subite folie. Vous criez comme un perdu en grimpant la colline à toute vitesse, abandonnant vos agrès de pêche et vos prises du jour. Vous apercevez votre femme cueillant des fruits avec votre fille. Elles entendent vos cris de détresse sans en comprendre la signification, mais d’emblée elles ont appris à vous faire confiance. C’est votre rôle de savoir quand il faut plier bagage et sonner le départ.

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Vous vous dirigez vers le sommet de cette crête où une grotte inoccupée, car trop éloignée de la mer, pourrait offrir un refuge. Vous hésitez à vous y engouffrer, car vous seriez pris au piège advenant une montée trop importante du niveau de l’eau. Vous êtes à un doigt de penser que cette idée est totalement absurde, car elle se trouve à plusieurs dizaines de mêtres de hauteur par rapport à la côte, mais vous choisissez de contourner ce potentiel refuge afin d’atteindre le sommet de la crête, l’apex de tous les environs.

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Une fois votre famille réunie sur cette colline, vous ne pouvez qu’attendre impuissants la suite des choses. Vous leur montrez la cause de votre subite panique. Maintenant positionné en altitude, le phénomène apparait bien réel et bien plus effrayant. Il se rapproche dangereusement de la côte et le mur d’eau a décuplé de hauteur. De votre position, vous constatez que cette vague gigantesque couvre toute la largeur de l’océan visible. Vous vous époumonez en criant aux autres de fuir, mais la plupart de vos amis ne ressentent pas le danger imminent, trop occupés à traquer le poisson.

D’autres ont commencé à comprendre et ils cherchent maintenant à vous imiter, mais le mur d’eau avance trop vite et il continue à prendre de la hauteur. Il devient monstrueux et vous ne doutez plus qu’il rasera absolument tout sur son passage. Ne pouvant plus fuir ailleurs, vous espérez simplement qu’il vous épargnera.

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Puis la vague commence à s’abattre sur la côte, emportant ceux qui n’ont pas saisi l’imminence du danger, c’est-à-dire presque tout le monde. L’eau se déverse sans aucun répit et subitement vous comprenez. Ce n’est pas une vague, c’est le niveau de l’océan entier qui est en train de monter.

Les corps sont projetés et disparaissent. Les chênes centenaires, les pins vénérables sont déracinés comme de vulgaires brindilles se faisant charrier sans ménagement. Le niveau d’eau atteint presque la fameuse grotte, celle que vous avez heureusement négligée, elle sera bientôt submergée. Vous vous félicitez intérieurement, mais la partie n’est pas encore jouée. Vous observez le territoire environnant se transformer graduellement en iles, car même après le passage de la vague, l’eau ne cesse de monter derrière elle.

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Votre cerveau fonctionne à la vitesse de l’éclair depuis que vous ne pouvez plus rien faire d’autre que de penser. Il analyse les images enregistrées de l’océan, de la vague, de sa hauteur, de son élévation, de sa vitesse. Vous êtes habitué à évaluer les distances, les accélérations, les déplacements lors de vos chasses. Sans être le plus habile, vous êtes certainement le plus futé du groupe. Une tribu maintenant disparue. 

Soudainement, un éclair frappe vos pensées. Vous vous retournez vers votre femme pour la rassurer, car vous venez de comprendre que vous serez épargnés. Elle peine à vous croire, mais elle lit de la sincérité et du réel espoir dans vos yeux. Elle s’occupe de faire de même avec vos deux enfants qui demeurent pour l’instant pétrifiés devant le spectacle duquel ils ne comprennent absolument rien.

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Les arbres défilent toujours à l’horizontale en contrebas, mais l’élévation du niveau de l’océan semble effectivement s’essouffler. Les bouts de bois commencent à s’accumuler pêle-mêle sur les nouvelles rives. L’océan cesse de bouillonner pour prendre l’aspect d’un cours d’eau défilant plus calmement.

Le plus dur semble passé, cependant l’eau continue lentement de faire disparaitre la surface des iles avoisinantes. Vous insistez auprès de votre femme pour ne pas quitter tout de suite votre position. Vous savez pertinemment que le danger aime frapper deux fois, tout d’abord à l’improviste et ensuite lorsque vous le croyez terminé.

Demain, vous aurez la suite de cette histoire de laquelle vous êtes le héros. Ce texte n’est pas une fable, je le vois plutôt comme un compte-rendu historique oublié puis récupéré à travers mes brins d’ADN. Il s’impose dans ma tête comme une réalité trop probable pour n’être qu’une simple fiction.

Au-delà de l’invisible

8 août 1982. Ce jour restera à jamais gravé dans ma mémoire. Moi, pour qui les dates me posent de sérieux problèmes, chaque année, pourtant, je regarde des photos… et je lui souris.

Mon fils est né ce jour-là. J’ai également su à ce moment précis que ma vie ne se déroulerait pas comme un conte de fées, sans être banale pour autant.

Devenir du jour au lendemain le père d’un enfant lourdement handicapé physiquement et mentalement m’a obligé à me poser des questions fondamentales et à y répondre rapidement. Vous me trouverez probablement bizarre, mais mes préoccupations les plus sérieuses à ce moment ne portaient pas sur le diagnostic ni les pronostics. De toute façon, ce n’était pas à moi à y répondre. Je me souciais de celles dont les réponses m’appartenaient.

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La plus importante fut : est-ce que je veux tenter de faire une différence dans sa vie ? Peu importe le temps que durerait l’aventure, je devais savoir si je l’acceptais, si je désirais lui donner mon espace, mon temps, mes énergies, mon présent ainsi que mon futur.

Ayant répondu par l’affirmative, mes problèmes avec les dates, les jours, les nuits, les ans ont commencé à ce moment précis. Le temps s’est transformé en un concept peu utile et même, je pourrais dire, nuisible à l’atteinte de mon objectif.

Mais qu’était donc cet objectif et quelle importance pouvait-il bien avoir pour lui sacrifier toute notion de temps ? Mon seul vrai désir se résumait simplement. Que mon fils puisse vivre heureux, et ce malgré son handicap.

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Cet objectif ne possède aucune courbe normalisée sur laquelle se baser pour évaluer son degré d’avancement. Il ne possède aucun jalon, pas de nombre de jours, aucun graphique, pas de marqueurs, aucune référence.

Au début, les progrès de mon garçon restaient invisibles pour tout le monde ainsi qu’à sa mère. Moi, j’en voyais. On me disait que j’inventais ce que je voulais voir. Je savais que c’était faux parce que je n’ai jamais cherché à voir autre chose que la réalité. J’avais réglé le problème potentiel de me cacher la vérité alors que j’avais tout juste onze ans.

Une nuit à cette époque, j’étais loin dans la forêt, il faisait nuit et j’étais seul dans ma tente. Le tonnerre frappait sans arrêt devenant plus terrifiant de minute en minute. Les éclairs fusaient si nombreux que la nuit se faisait jour. Le terrible orage déversait des torrents qui délavaient le sol forestier. Je me protégeais des intempéries à l’aide, ou malgré une tente sans plancher. Une rivière s’était invitée à faire des cascades dans mon habitacle de fortune et je pataugeais littéralement dans mon sac de couchage. Je grelottais de tous mes membres, j’étais transi et au bord de l’hypothermie. Une pensée fugace m’est tout à coup venue à l’esprit, je pourrais trouver refuge au fond de ma tête afin d’échapper à ce désastre.

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Sans jamais avoir su pourquoi, j’ai refusé net. J’ai préféré ressentir toutes les affres de cet orage plutôt que sombrer dans l’irréel. Cet épisode charnière m’a permis de connaitre un des mécanismes menant à la fuite, à la création de l’irréel, à l’abandon d’un présent concret détestable pour un rêve plus doux et agréable.

Sachant que je ne m’étais pas enfui dans ce monde, j’étais convaincu que mes observations concernant mon fils, aussi ténues fussent-elles, devaient être véridiques. Et progressant d’un iota invisible à un atome tout aussi intangible, le résultat finit par devenir visible aux yeux de mes proches, et ensuite à tout le monde.

La vie de Mathieu n’a pas été parsemée ici et là de quelques moments de bonheur. Il a vécu heureux la plupart du temps, plus que bien des gens normaux.

Atteindre cet objectif fut la plus grande et la plus belle de toutes mes réalisations. Pourtant, elle n’a tenu qu’à un fil, qu’à une seule capacité, qu’à une seule volonté, qu’à une seule certitude, celle de percevoir la réalité à travers et au-delà de l’invisible.