Expression québécoise — 9

Lorsque je présente des définitions d’expressions québécoises, elles ne sont pas issues d’un quelconque lexique. Je les explique en contexte selon ma façon personnelle de les comprendre et de les utiliser. Et ne vous laissez pas prendre, malgré sa numérotation, cet article constitue le dixième de la série. Pour les lire tous, rendez-vous sur cette page.

En ce temps de magasinage pour le temps des Fêtes, on voit éclore un nombre record d’une espèce qui se fait un peu plus discrète le reste du temps. Malgré qu’elle sévisse en toutes saisons, il semble que la fin de l’année soit particulièrement propice à la rendre présente. Eh non ! Il n’est pas question des poinsettias. Ce dont je veux vous entretenir aujourd’hui est une sous-espèce de l’espèce humaine, le « taouin ».

L’expression québécoise complète prend généralement la forme « espèce de taouin ! ». On peut facilement imaginer que le sens d’un mot suivant « espèce de… » n’est pas vraiment un compliment et « taouin » ne fait pas exception à cette règle.

Le taouin se démarque de ses synonymes que sont : benêt, cancre, nigaud, imbécile, crétin, âne, stupide et même idiot. Dans plusieurs de ces cas, on peut blâmer la génétique de ne pas avoir favorisé le candidat. Dans d’autres, c’est l’éducation déficiente qui devient la cause des imbécillités commises. Pour le taouin, rien de tout cela, car le taouin est relativement intelligent de nature, la preuve est qu’il agit plutôt intelligemment envers lui-même. L’idiotie s’accapare du taouin dans ses relations envers les autres, puisque sa conscience sociale se situe très loin sur l’échelle des valeurs négatives. Voici quelques cas récents en rapport avec les parkings de centres commerciaux.

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Il y a ceux qui se sont stationnés n’importe comment, qui occupent deux places alors qu’à ce moment-ci de l’année, elles manquent cruellement. D’autres attendent de longues minutes près des portes, bloquant le passage des clients et la circulation des véhicules en espérant trouver une place à trois pas des portes. Hey, le taouin ! Tu vas faire 10000 pas en dedans et tu ne veux pas en marcher plus de 10 à l’extérieur ? D’autres, tout aussi bas sur l’échelle de la stupidité, tournent vingt minutes en rond afin d’obtenir le même résultat que le sédentaire. Deux minutes auraient suffi pour choisir une place plus éloignée et parcourir la distance le séparant des portes, mais ce faisant il n’aurait dérangé personne, tandis qu’en arpentant les allées durant vingt minutes, il est certain d’augmenter considérablement les risques d’accrochage, les taux de frustrations et de pollution. 

D’autres taouins abandonnent leur panier d’épicerie dans le stationnement plutôt que de le ramener dans l’enclos le plus proche. Résultat, le vent le charrie jusqu’à percuter violemment la portière d’une autre auto. Il existe aussi le taouin pilote de course qui roule dans les allées à la vitesse d’un jet en défrisant toutes les vieilles dames au passage. On a le taouin qui fonce sur tout ce qui bloque ou qui ralentit sa progression. Ça m’est arrivé l’autre jour alors que je traversais le passage piétonnier séparant les portes du parking. Je sentais que le taouin voulait absolument passer avant moi alors que ma progression était déjà bien entamée. J’ai failli me faire écrabouiller, mais les taouins ne m’intimident plus depuis bien longtemps, même lorsqu’ils tiennent un volant. Les sachant intelligents, ils finissent par se dire que s’ils m’écrasent, ça leur causera un tas d’ennuis. Bien sûr, à leurs yeux, je ne vaux toujours rien. Il est bien difficile de changer leur façon de penser. Il suffit par contre qu’ils appréhendent des problèmes pour eux-mêmes et leur comportement se modifie.

En réalité, le taouin est un asocial agissant idiotement dès qu’il se retrouve en société. Il est égocentrique, excessif, violent, il déteste tout le monde, il n’a aucune tolérance, il croit évidemment être la personne la plus importante au monde et surtout, il pense que toute la planète devrait agir en conséquence.

« Espèce de taouin » est une expression qu’on pense intérieurement ou qui est souvent exprimée à voix basse à cause de l’insulte implicite. Pourtant, elle décrit parfaitement le misanthrope sorti de sa cage pour venir infester la vie des autres.

Le taouin pense qu’on ne l’aime pas et il a parfaitement raison puisqu’il peut facilement exaspérer vingt personnes par jour. Si la société n’était pas aussi civilisée, le taouin ne pourrait survivre plus d’une saison des Fêtes. Le taouin profite de la tolérance des gens pour continuer ses incivilités, car peu de gens ont le courage de lui dire en pleine face qu’il est une « espèce de taouin ».

Pourtant, c’est la seule façon de réduire leurs impacts négatifs. Il faut qu’ils sachent ce qu’on pense réellement d’eux et de leurs façons d’agir en société. Je vous propose d’oser leur faire connaitre votre opinion en vous écriant « espèce de taouin ! » le plus souvent possible.  Voici quelques façons de l’exprimer selon votre degré de confiance en vous ou de patience envers eux.

Méthode : Un certain doute. Vous ne le dévisagez pas, vous continuez de faire vos activités et vous lâchez « espèce de taouin » d’une voix faible, mais compréhensible, en prenant un ton exaspéré. Cette méthode a l’avantage de laisser planer un doute sur le destinataire véritable, mais en y réfléchissant, il comprendra qu’il était visé. Entretemps, vous aurez déguerpi.

Méthode : Le prof. Vous regardez le taouin dans les yeux, vous faites « non » de la tête en lui disant « espèce de taouin » sur un ton calme et dépourvu de colère, mais à la limite de votre patience. Non dépourvue de tout risque, cette méthode franche et directe permet de lui faire savoir le fond de votre pensée sans ambiguïté, mais d’un ton professoral. Si toutes les personnes frustrées par lui dans sa journée lui disaient « espèce de taouin » sur le mode éducatif, il changerait assez rapidement de comportement.

Méthode : J’en peux pu. Vous gueulez « ESPÈCE DE TAOUIN ! » le plus fort possible en espérant qu’il ne vienne pas vous casser la gueule. L’avantage est la clarté du message et de votre degré de colère à son égard. En revanche, cette méthode comporte le plus de risques. Et pourtant, elle n’apportera pas nécessairement les meilleurs résultats, mais elle fait tellement de bien !

Il existe plusieurs autres méthodes comme la condescendance, le colonel, le boomerang, l’idiot et l’humoriste.

À mon humble avis, l’humour ne fonctionne pas avec le taouin. Il l’utilisera à son avantage pour dédramatiser son comportement en y trouvant une bonne raison de continuer à agir de la sorte. Il se dira que si son comportement vous fait rire, c’est la preuve qu’il n’y a rien de bien grave. Seule l’exaspération sous une forme ou une autre permet d’en avoir raison.

On peut croire, et c’est exact, que le taouin se rencontre plus souvent chez le mâle que chez la femelle. Toutefois, avec l’égalité des sexes, le nombre de taouines effectue une remontée assez spectaculaire.

Il existera toujours des taouins puisque nous agissons tous parfois de cette façon. Habituellement, nous reconnaissons nos torts et nous tentons de ne pas récidiver. En ce qui concerne le taouin, c’est exactement l’inverse. Il cherche à commettre le plus grand nombre de stupidités jusqu’à ce que la société l’en empêche ou le remettre à l’ordre.

Voilà pourquoi c’est si important de leur dire sans gêne et sans crainte : « Espèce de taouin ! »

Idéalismes

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Si vous recherchez l’auteur de ces recettes, je les ai obtenues de la patte même d’un noir oiseau venu se percher sur ma main.

Il m’a avoué s’être longuement promené afin de suivre la piste de plusieurs idéalismes qui l’ont toujours mené vers des gens concoctant ces sempiternelles mêmes recettes. Après une étude approfondie des causes de ces constantes, il a constaté la pauvreté et l’insipidité des ingrédients utilisés.

La première question qu’il leur posa fut de comprendre pourquoi ils n’utilisaient pas d’autres ingrédients plus savoureux. Il s’en voulut d’avoir été si peu perspicace tellement la réponse était évidente. L’idéaliste ne nourrit aucun doute sur sa recette et il la réalise en prenant un soin jaloux de ne rien y changer.

L’idéaliste possède les réponses à toutes les questions puisque ses réponses restent invariablement les mêmes. Alors, pourquoi chercher ailleurs, pourquoi faire plus compliqué, pourquoi remettre en cause une recette parfaite?

Peu importe l’inadéquation entre la question et sa réponse, l’idéaliste considère que si celle-ci ne convient pas à la question, il n’avait tout simplement pas lieu de la poser. Si sa réponse est 42, il est inutile de lui poser des questions impertinentes dont le résultat diffèrerait de 42.

Bien souvent, l’idéaliste reste parfaitement conscient de son stratagème, mais il préfère s’appuyer sur une mauvaise réponse plutôt que de rester sur un questionnement. Il craint maladivement tout type d’éléments inconnus qui le paralysent des pieds à la tête.

Incapable de trouver par lui-même des réponses à des questions, il opte pour la simplicité afin de voyager le plus léger possible et ce faisant, il ne s’embarrasse d’aucun doute.

N’ayant jamais tort, l’idéaliste n’écoute personne. Il devient donc totalement inutile de s’efforcer de discuter avec lui. La meilleure attitude à adopter est de le laisser moisir seul dans son jus puisque cette attitude d’éloignement respecte entièrement ses choix et ses désirs.

L’idéaliste refuse de reconnaitre qu’aucune réponse ne satisfera entièrement une question ouverte. Les réponses nuancées le mèneraient à commettre des erreurs sans lui fournir d’excuses béton pour se disculper.

Reconnaissant son incompétence à réfléchir intelligemment à un problème par inculture, par manque de technique et d’exercice, il ne lui reste qu’une seule option, radicaliser sa pensée et s’en tenir coûte que coûte.

Voilà ce qu’attend un individu tenté par l’idéalisme, rien de plus qu’un immense désert intellectuel.

Les seuls fruits issus des idéalismes sont de l’incompréhension, de l’intolérance et de l’intransigeance. Ces récoltes ne produiront jamais rien d’autre que des salades d’intenses déceptions et des confitures d’injustes représailles.

— LeCorbot

Juger ou tolérer ?

Juger quelqu’un, c’est être un juge avec son code d’éthique personnel qui n’a rien d’universel ni d’éprouvé. Alors faut-il juger ou tolérer ? Juger semble un geste inapproprié et tolérer une vertu. J’ai une tout autre opinion sur le sujet.

Juger est très acceptable tant que ça nous concerne. Transmettre nos jugements à des tiers, voilà ce qui constitue la faute. Personnellement, je me donne le droit de juger qui je veux et de choisir en conséquence mes amis et mes connaissances, mais je réserve mes opinions pour moi seul. Même la personne concernée ne le saura pas si elle ne me demande pas mon opinion sur elle, sur ses agissements.

La tolérance est un mot que je garde sous très haute surveillance, parce qu’elle nous laisse croire que nous sommes un mauvais individu lorsqu’on se sent intolérant face à quelqu’un et c’est un piège. Un piège qui, heureusement, se contourne.

Je préfère garder mon niveau de tolérance actuel, mais rester coi. Je réserve mon opinion. Je fais des choix sans essayer d’attirer à moi la sympathie à mes causes, à mes idées, à mes opinions. Si je sens devoir quitter un groupe pour rester neutre en actes, je le fais sans aucun problème. Je choisis donc je juge donc je choisis.

En se donnant le droit de juger et de choisir, on s’évite toutes sortes de malaises entre notre moi et notre surmoi. Mais n’essayez pas de me tirer les vers du nez. Cette solution retire de l’équation toute l’hypocrisie que l’on ressent lorsqu’on juge, mais qu’on se dit que ce n’est pas bien, tout en sachant qu’on ne fera ni pensera pas autrement.

La solution est donc définie dans l’adage « Le silence est d’or ». Comme quoi les vieilleries ne sont pas nécessairement dépassées. Mais serez-vous capable de vous taire ou de vous éloigner ? Voilà pourquoi la tolérance existe, mais elle reste une solution de rechange, un plan B, comportant des conséquences importantes pour celui qui se prétend tolérant.

L’estime de soi ne nous rend pas plus tolérants, elle nous rend moins bavards.

Photo : e-ostadelahi.fr

Le poids des …ages

C’est un secret de gang de filles, nous, les gars, avons depuis longtemps développé au sein de notre code génétique une intolérance aiguë pour tous les travaux dont la prononciation se termine en « … age » : ménage, lavage, repassage, pliage, dépoussiérage, sage et plus encore. Seuls patinage et garage ne nous donnent pas d’urticaire et c’est normal puisque ce ne sont pas des tâches, ce sont des refuges pour hommes maltraités. Et mesdames, vous aurez beau mettre un accent circonflexe sur le mot tâche, pour nous ça constitue toujours des taches dans l’existence de l’homme moyen. Pensez-y quelques instants et l’évidence vous sautera au visage comme un barbecue que vous essayez d’allumer pour la première fois au printemps. Vous aurez bientôt l’occasion de lire la suite de mon argumentation. N’ayez crainte, elle sera à la hauteur de mon dédain pour tous ces …ages qui pèsent si lourd sur notre existence de mâles. Lire la suite « Le poids des …ages »