Fatigué

Songe à Charlevoix

Êtes-vous fatigué ? Pas cette fatigue qui nous prend lorsqu’on dépasse l’heure normale du dodo. Pas cette fatigue issue de l’exaspération de côtoyer des gens idiots ou casse-pieds ou harceleurs. Pas cette fatigue causée par un quotidien morne, répétitif et inintéressant. Pas cette fatigue ressentie à la veille des vacances suivant une période surchargée. Pas plus que cette fatigue causée par le dépassement de nos capacités physiques lors d’une joute ou d’un défi sportif relevé. Non, je parle de la fatigue, de la vraie, de l’épuisement total, du corps qui tire la prise et qui plonge la tête dans le néant.

Êtes-vous fatigué ? Ou l’avez-vous déjà été ? Ou encore, sentez-vous venir cette fatigue absolue que vous parvenez encore à repousser à coups de pied au derrière ou à l’aide de quelconques substances ?

Êtes-vous fatigué ? Car moi, je l’ai déjà été. Je sais comment et pourquoi j’en suis arrivé là. Je sais combien de temps ça m’a pris pour descendre lentement, mais inexorablement dans cet abime. Je connais les premiers, deuxièmes et troisièmes signes avant-coureurs. Je sais aussi combien il faut de temps après le débranchement pour revenir dans le monde des vivants fonctionnels et ensuite pour récupérer ses capacités d’autrefois, compte tenu évidemment de l’avancement en âge.

Je ne crois pas être une exception, mais la fatigue m’a quand même tiré vers le bas durant trois décennies. La pente descendante est lente, elle est longue, mais heureusement, dans mon cas, elle s’est un jour terminée. Cependant, lorsque ma condition a cessé de descendre, eh bien ! mon état était évidemment à son point le plus misérable. Et une fois rendu à ce niveau minimal, personne ne peut prédire combien de temps ça prend pour le quitter et reprendre le chemin vers le mieux-être. Oui, durant longtemps mon état n’empirait pas, mais il ne s’emmieutait pas vraiment non plus. Un état proche du rhododendron ou de l’amanite, plus de l’amanite, parce que personne ne voulait s’approcher de moi.

Et pourtant, malgré mon état dégradé, je n’ai jamais perdu espoir de m’en tirer. J’ignore pourquoi j’avais encore cette force intérieure alors que tout partait à vau-l’eau. Jeune, j’ai vécu de multiples épisodes où j’aurais pu perdre la vie. Je m’en suis toujours tiré grâce un peu à la chance, mais aussi par ma façon relativement calme d’appréhender le danger. Calme n’est peut-être pas le terme le plus exact, car parfois mon cœur battait la chamade. Je choisirai le mot « conscient » en opposition au mot « paniqué ». Conscient de la situation et de son degré de dangerosité.

Même si je n’avais aucune expérience en la matière, je présumais assez bien du danger lié à la fatigue extrême. Je l’acceptais comme une nécessité, ce qui n’était pas faux dans les circonstances.

Combien de temps m’a-t-il fallu pour me remettre de cette fatigue absolue ? Oui, car j’ose croire que j’ai maintenant réussi à me sortir de ce terrible puits sombre. Mes facultés physiques suivent la normalité de mon âge, mais mes facultés psychiques actuelles valent bien celles de mes trente ans.

Je me considère tout de même chanceux d’avoir eu un ratio approximatif de 2 pour 1. Pour chaque deux ans de fatigue, un an de récupération. Donc pour trente ans à abuser du manque de sommeil, j’en compte quinze durant lesquelles ma tête s’est lentement mais graduellement remise à fonctionner normalement.

Pour tous ceux qui pensent qu’il est possible de récupérer rapidement d’un état de fatigue extrême, dites-vous qu’on ne récupère vite que des petits abus. Ceux qui ont perduré demandent une échelle de temps à peu près comparable pour disparaitre, et parfois ce n’est que partiellement.

Ceux qui croient qu’avec ce genre d’évaluation je suis une personne pessimiste n’ont encore rien compris de la réalité. Bien au contraire, je me considère comme une personne très optimiste et la preuve en est que je n’ai jamais capitulé, que je m’en suis sorti, et ce sans jamais me masquer la réalité. La vérité ne doit pas nous effrayer, elle seule peut bien nous guider comme une ligne de survie sur un voilier affrontant les tempêtes. Si la vérité est parfois difficile à accepter, lorsque cette barrière est franchie, plus rien ne peut nous entraver.

Cascades, confluents et boules de neige

Les trois termes tirés du vocabulaire aquatique illustreront des types d’événements cataclysmiques déjà survenus. Ils reviendront éventuellement nous frapper sous l’une ou l’autre de ces formes.

Notez que j’utilise ces termes de façon métaphorique et non scientifique. Ils ne me servent qu’à imager des phénomènes en les distinguant. Je m’attarde tout particulièrement à présenter des ensembles d’événements apparus simultanément ou quasiment au même moment et dont les effets furent cumulatifs.

La cascade

La catastrophe en cascade tire son origine d’une seule cause. Celle-ci dérègle un système qui en influence un autre et encore un autre et ainsi de suite. Si les effets s’accumulent, par contre les systèmes impactés en aval n’influencent pas ceux en amont. L’eau ne remonte pas la chute.

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Le confluent

J’appelle une catastrophe un confluent lorsque plusieurs événements surviennent quasiment simultanément, mais n’ont aucune origine commune. Cette rencontre fortuite ne se reproduira pas de façon semblable puisque rien ne relie les différentes causes. Un malheureux concours de circonstances viendront à bout de systèmes fragilisés par un événement primaire qui seront ensuite terrassés par le ou les suivants.

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La boule de neige

L’effet boule de neige est pernicieux, car il fonctionne sur le concept de la boucle de rétroaction positive. Un premier événement en entraine un deuxième qui amplifie les effets du premier qui amplifie les effets du second et ainsi de suite. Le cataclysme se nourrit d’énergies accumulées qui sont libérées sans aucun frein pour ralentir le processus. Sans contrôle, les conséquences globales restent méconnues, car difficilement calculables. On peut seulement présumer que celles-ci se retrouveront à l’intérieur d’une fourchette souvent très peu précise.

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Exemple possible d’une ancienne catastrophe en cascade

Le débat fait toujours rage au sein de la communauté scientifique à savoir si la crise du Crétacé-Tertiaire (K-T), celle qui a vu disparaitre les dinosaures voilà 66 millions d’années, est une catastrophe en cascade ou un confluent. Effectivement, on connait tous la principale cause, la chute de la météorite de Chicxulub. Cependant, à cette même époque, un événement géologique sans précédent est également survenu, la formation des trapps du Deccan en Inde dont j’abordais le sujet dans un autre article. Imaginez l’actuelle éruption du Kilauea, mais en milliards de fois plus importante. La masse de soufre éjectée dans l’atmosphère fut si grande qu’elle a éradiqué pratiquement toute la vie (restante).

Ces deux événements sont-ils survenus de manière indépendante ou l’un a-t-il engendré l’autre? Personnellement, dans ce cas précis, je ne crois pas au hasard, je pense au contraire au principe du tube de dentifrice. En comprimant un bout du tube, la pâte sort à l’autre extrémité. En s’écrasant au Mexique, la météorite a fait réagir la Terre à un endroit situé à l’opposé où sa croûte possédait une faiblesse qui a laissé fuir le magma mis sous tension. Ainsi, l’extinction massive K-T survenue voilà 66 millions d’années aurait deux causes, mais un seul événement aurait enclenché cette cascade.

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Exemple d’un cataclysme confluent survenu voilà 252 millions d’années

Un exemple de confluent serait l’extinction massive du Permien-Trias (P-Tr), la plus importante de toutes les extinctions ayant affecté la Terre et ses organismes vivants. Une fois encore, les scientifiques se chamaillent, mais il semblerait qu’au moins deux sinon trois événements indépendants se seraient ligués pour éradiquer presque toute la vie marine et terrestre. Des chaleurs atmosphériques infernales associées une fois de plus à un volcanisme débridé ayant créé les trapps de Sibérie auraient engendré une série d’effets absolument dévastateurs pour la biologie.

 

L’effet boule de neige surviendra-t-il instamment?

Le plus effrayant d’entre tous les types de catastrophes est probablement l’emballement, l’effet boule de neige. Il est fort possible que l’humain soit en train d’en modeler une qui prendra des proportions dantesques lorsqu’elle déboulera de la montagne.

La combustion des matières fossiles accroit le niveau de dioxyde de carbone dans l’air. Ce gaz augmente l’effet de serre qui hausse les températures terrestres et océaniques. Ça, nous le savons tous. En revanche, ce que nous ignorons ou ce que nous préférons ignorer c’est l’emballement très probable de l’effet de serre qui suivra (runaway greenhouse).

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Les chaleurs engendreront des feux de forêt planétaires alors que les arbres sont des puits à CO2 qui sera libéré en très grande quantité. Toutefois, il existe pire encore. Les pergélisols saturés de méthane fondront et laisseront fuir ce terrible gaz à effet de serre dix fois plus important que celui du dioxyde de carbone.

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Ce n’est pas la fin des conséquences. Les fonds océaniques jonchés de clathrates de méthane se réchaufferont suffisamment pour dégeler ces boulettes inflammables. En fondant, les clathrates projetteront dans l’atmosphère des milliards de tonnes de ce gaz infernal qui en profitera pour surélever encore plus les températures atmosphériques. Le CO2 et le CH4 se disputeront la prévalence des extinctions qui surviendront de cet emballement.

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Si la surchauffe thermique survient, rien ne l’exclut, notre espèce ne pourra pas y survivre, malgré toute notre technologie actuelle. L’humain étant optimiste de nature, pour ma part je le qualifierais plutôt d’irresponsable, au lieu de se préparer au pire préfère poursuivre sa route comme si elle se déroulait indéfiniment dans la même direction. Lorsque surviendra l’inévitable, il fera semblant d’être surpris, ça le disculpera à ses yeux. Mais qu’il fût idiot, innocent ou irresponsable, il sera mort dans tous les cas.  

Ce scénario est une des réponses possibles à la fameuse question posée par Fermi, mais là, j’empiète sur un autre article.

Verra-t-on un trou noir en 2018 ? (2)

Cet article fait suite à celui d’hier.

En résumé, un trou noir, c’est un point de l’espace infiniment petit et dans lequel la matière entassée dedans est devenue infiniment dense. Alors pour voir un point infiniment petit… noir… et très éloigné, on peut se demander si les astronomes ne sont pas tombés sur la tête !

Je vais donc introduire un autre concept qu’il faut connaitre provenant de cet hirsute personnage, mais un peu plus génial que moi, Albert Einstein. Il y a 103 ans, sa théorie de la relativité générale nous apprenait que l’espace-temps se déforme lorsqu’il y a de la matière. Et plus cette matière est dense, plus l’espace se déforme.

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L’image classique est celle du trampoline avec une boule de quilles au centre. Remplacez la boule de quilles par une boule d’or, puis par une boule d’uranium, plus la matière est massive, plus le trampoline s’enfonce autour de l’objet. Placez-y maintenant un trou noir, le trampoline se déforme tellement que sa trame devient un puits sans fond. Ainsi, autour d’un trou noir, la trame d’espace-temps se creuse à l’infini.

 

Ce puits attire donc les objets environnants, mais également tout ce qui s’en approche trop, lumière incluse. Ce n’est pas le trou noir qui attire la lumière, c’est l’espace qui a pris la forme d’un entonnoir. La lumière ne fait que suivre la géométrie de cet espace qui plonge sans fin. On dit qu’elle suit la géodésique de l’espace-temps.

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Si la lumière passe trop près, sa géodésique va l’amener inexorablement dans le puits. Si la lumière passe plus loin, l’espace-temps n’est pas suffisant déformé pour que la géodésique l’amène dans le puits. On comprend donc qu’il y a une limite entre le « juste un peu trop près, je tombe » et le « juste assez loin, je m’en sors ».

Sous cette limite, la lumière est piégée par le puits spatiotemporel. Au-delà, elle parvient à poursuivre sa trajectoire. Puisque le puits gravitationnel est tridimensionnel (sa déformation se crée dans les 3 dimensions d’espace), la limite est également tridimensionnelle. Elle prend donc l’apparence d’une sphère. Et puisque toute lumière passant sous cette limite est irrémédiablement piégée dans le puits, cette sphère ne peut émettre aucune lumière. Elle est donc parfaitement noire. On a l’impression que le trou noir a une bonne dimension puisqu’on voit une grosse sphère noire. Cependant, le trou noir reste un point infinitésimalement petit. La sphère noire autour du trou noir est simplement un effet créé par le trou noir, ce n’est pas le trou noir. Cet effet visuel ne contient rien, ni matière, ni lumière, sauf en son point central infiniment petit. Cependant, on a l’impression de voir le trou noir.

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La surface de cette sphère parfaitement noire se nomme l’horizon des événements du trou noir. Plus le trou noir sera massif, plus cet horizon gonflera, puisque l’espace déformé s’agrandit de plus en plus. On a l’impression de voir le trou noir grossir. C’est toujours l’horizon des événements qui grossit, pas le trou noir qui reste toujours, peu importe la masse engloutie, un point infiniment petit.

Donc, mon titre est un peu racoleur puisqu’on ne peut voir que l’horizon des événements d’un trou noir, pas le trou noir comme tel.

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Toutefois, les astronomes eux-mêmes parlent de voir un trou noir. Vous pourrez donc corriger leur abus de langage la prochaine fois que vous croiserez un astronome au supermarché. « Tut, tut, tut ! horizon des événements mon ti-noir ! Tu ne me passeras pas un horizon pour un trou ! »

Bon, maintenant on sait qu’on peut admirer l’effet d’un trou noir sur l’espace qui l’entoure, ça ressemble à une sphère toute noire, ça s’appelle un horizon des événements, ça peut donc s’observer.

Demain, on verra comment s’y prendre pour voir des horizons des événements qui sont passablement petits. Et les trous noirs supermassifs alors ? On aurait probablement plus de chance avec ceux-là.

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