Amours, Everest et Marianne

L’amour rend-il heureux ? Toutes les fois où je fus en amour, non seulement ça s’est mal terminé, mais ces relations ont toujours été les plus compliquées et les moins saines. Donc, pour moi, l’amour ne rend pas heureux, il rend plutôt fou. En fait, je devrais spécifier qu’il rend les gens encore plus fous, parce qu’il faut déjà être passablement fêlé pour se jeter corps, cœur et âme dans ce genre de situation périlleuse de haute voltige, sans filet, sans préparation, sans expérience et sans sa tête.

Ça pue l’échec cent kilomètres à l’avance, sauf pour le pauvre idiot qui a jeté tous ses radars au fond de l’océan de ses passions. Le résultat est conséquent à la hauteur de la chute et la douleur d’autant plus vive.

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Je peux comparer le grand amour à l’ascension de l’Everest. Tout commence comme un fabuleux rêve, puis l’on se rend rapidement compte qu’on doit offrir d’énormes efforts pour peu d’avancement. Rapidement, la tête nous tourne et on manque d’oxygène sans vraiment comprendre lequel est la cause et l’autre l’effet. Ce qu’on appelle progression équivaut à se retrouver en pire position et en plus grand danger que la veille. Seuls l’orgueil et le désir de vaincre nous empêchent de rebrousser chemin, ce que tout humain intelligent ferait sans hésiter.

Les derniers efforts, surhumains, autodestructeurs, insensés nous emmènent là où on ne peut pas réellement rester plus que quelques instants. Essoufflé, épuisé, frigorifié, esseulé, décati, on regarde tout autour un paysage lunaire qu’on qualifie de beau juste parce qu’il est rare et difficile à observer, pourtant, la réalité n’est que froidure et désolation.

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Une fois redescendu au niveau de l’océan, une plongée aussi périlleuse nous attend au fond de la fosse des Mariannes afin de récupérer ses radars abandonnés dans la vase. Nous pourrions tout autant nous perdre et rester au fond des eaux ténébreuses qu’au sommet du mont glacé. Une fois encore, seuls l’orgueil et le désir de vaincre nous empêchent d’abandonner, ce que tout humain moins intelligent ferait sans hésiter. Lestés de poids énormes mais essentiels à la poursuite de notre vie, nous entamons la remontée, lente, imperceptible, jusqu’au moment où l’oxygène s’épuise, nous laissant de nouveau à bout de souffle.

Tout de même étrange qu’au tréfonds ou au sommet du grand amour, dans les deux cas, l’oxygène vient à nous manquer. Heureusement, au même instant, hasard ?, notre tête émerge enfin pour la première fois depuis des lustres.

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Nos pieds foulent finalement le sol normal, un terrain banal dépourvu de monts gigantesques ou d’océans profonds, un lieu ordinaire, plat, plate, presque dépourvu de dangers, du moins de dangers évidents et hautement périlleux. L’esprit vacille, ne sachant ce qu’il doit maintenant désirer le plus ardemment : les délices du danger amoureux ou le confort du repos salvateur.

Celui qui a gravi la plus haute montagne, celui qui s’est ensuite retrouvé au plus profond des abysses, y reviendra à jamais transformé. Ses yeux ne verront plus jamais la vie comme ceux des autres. Ayant simultanément profité des plus passionnantes voluptés et enduré les plus douloureux enfers, il comprendra, parfois, peut-être, que le sublime se paye très cher. Le tribut se prend à même sa personne, l’ablation des engelures de son âme et l’addition de souffles permanents au cœur.

Il repensera souvent à sa Marianne, son Everest, ses grandes amours. Il s’en ennuiera tout en sachant pertinemment qu’y rester, ça aurait été y mourir. La montagne qui durera toujours où tant de gens reposent pour toujours. La ténébreuse Marianne aux passions abyssales nous engloutissant à tout jamais.

Allez, Terre, dis-le-moi !

Il existe quelques endroits au monde qui se partagent, s’échangent, se disputent le titre du plus vieux terrain de la Terre.

On a tout d’abord un craton en Afrique du Sud, l’Australie défend aussi chèrement sa vieillesse, tout comme le Groenland qui détenait la palme jusqu’à tout dernièrement avec un prélèvement âgé de 3,8 milliards d’années. Mais récemment, des géologues québécois ont rendu les trois autres pays jaloux.

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Je me souviens lorsque j’étais plus jeune et je croisais ce genre de rochers qui me semblaient bien étranges avec leurs veines ou taches blanchâtres circulant au travers d’une gangue d’un gris neutre, terne, triste, patiné. Instinctivement, je semblais déjà comprendre que cette roche était très vieille. Elle ne possédait à peu près aucun attrait, semblait fatiguée d’exister, elle avait cédé ses trésors primordiaux pour ne garder que l’ennui. Par contre, ce substrat paraissait extrêmement solide, dur, dense, inaltérable, et pourquoi pas éternel !

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Des prélèvements effectués au Nunavik dans le nord du Québec ont révélé un âge jamais atteint par aucun autre caillou sur Terre. Il serait âgé de 4,2 milliards, voire 4,3 milliards d’années alors que l’âge de la planète est estimé à 4,54 milliards d’années. C’est dire comment ces roches furent parmi les premières à apparaitre à la surface et à n’avoir jamais été recyclées ou totalement érodées.

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J’en ai parlé dans d’autres articles, au Québec le sol fait presque totalement partie du Bouclier canadien, une vaste étendue de roc solidaire issu du magma remonté près de la surface puis solidifié par lent refroidissement. C’est essentiellement du granit, une roche plutonique, c’est-à-dire qu’il ne s’est jamais produit d’effusion de lave. Le refroidissement du magma s’est effectué en profondeur, gardant ainsi une forme cristalline à plus haute densité.

Une datation précise et comparative avec les autres sites ailleurs dans le monde reste difficile. Dans le cas des roches du Nunavik, on y est allé avec la désintégration du samarium 146 aujourd’hui entièrement transformé en néodyme 142, un isotope stable.

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Cette découverte confirme quelques hypothèses comme l’âge de la Terre ou une autre suggérant qu’elle était à ses débuts une immense boule en fusion, que les continents ont émergé du magma bien plus tôt qu’imaginé autrefois et que des croûtes toujours visibles ont résisté à toutes les conditions ayant mené à la disparition des autres continents. On peut donc étudier la composition chimique de ces roches maintes fois milliardaires afin de mieux comprendre les origines de la formation de notre globe et les mécanismes naturels qui l’ont alors façonné.

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Étrange qu’un si jeune pays soit si vieux et qu’émergeant tout récemment de la dernière période glaciaire, il laisse maintenant apparaitre son âge vénérable. Nous, habitants de ce lieu, sommes-nous influencés par le sol sous nos pieds ? Percevons-nous sa solidité à toute épreuve ? Nous inspire-t-il son calme, son assurance, sa patience ? J’aimerais croire qu’il en soit ainsi, que nous, humains vivant à sa surface, devenons plus solides et plus sages à son contact. Une force tranquille que rien ne peut faire disparaitre. Une assise maintes fois éprouvée, mais toujours bien ancrée. Est-il possible qu’on devienne de meilleurs humains si l’on vit sur un meilleur sol ? Nous imprègne-t-il de ses qualités intrinsèques ?

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Le meilleur moyen de le savoir serait de lui poser la question. Il est probablement dur… d’oreille, mais je suis certain qu’il pourrait me répondre… à sa façon. Un rare petit séisme de faible amplitude pourrait constituer une bonne façon de me le confirmer.

Allez, Terre, dis-le-moi !

L’effondrement de Hilina

État d’Hawaï, grande ile Hawaï, Kilauea. Vous connaissez les événements actuels. Des coulées gigantesques de lave ne cessent de se déverser du volcan Kilauea, rasant tout sur leur passage. Ce phénomène géologique reste très banal, car toutes les iles hawaïennes se sont formées ainsi. La destruction des maisons et des infrastructures ne montre pas la violence du volcan, mais simplement la stupidité des humains à avoir construit des bâtiments et des routes dans ce lieu hautement à risque.

Toutefois, ces épanchements ne se révèlent pas dépourvus de tous dangers catastrophiques, loin de là, mais pas ceux qu’on imagine d’emblée. En se refroidissant, cette lave se solidifie sur un sol déjà ferme créant des strates de roches inhomogènes et disloquées. En prenant de la hauteur, le terrain ne fait qu’accroitre son instabilité et il atteindra un jour son point de rupture. Il se produira quasiment à coup sûr un immense glissement qui enverra par le fond des milliards de tonnes de roches. Cet événement à venir se nomme «l’effondrement de Hilina».

Dans un article récent, je décrivais une catastrophe semblable à survenir aux Canaries sur l’ile de La Palma qui engendrera un monstrueux tsunami dans l’Atlantique. L’effondrement de Hilina aux iles hawaïennes causera un gigantesque raz-de-marée, cette fois dans le Pacifique.

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Pour prouver la validité de ce concept, il suffit de regarder de l’autre côté de cette ile, sur la côte nord-ouest et plus précisément sous l’océan à ses pieds. Des débris ne pouvant avoir été créés que par d’épouvantables glissements de terrain gisent au pied de la grande ile. On estime le volume de roches à s’être détaché des pentes de l’ile à 400 fois celui de l’effondrement survenu au mont Saint Helens en 1980.

Cependant, en raison de sa position centrale dans l’océan Pacifique, cette ancienne catastrophe aurait soulevé des vagues de 300 mètres de hauteur, rasant tous les littoraux des terres péripacifiques. La partie nord-ouest de cette ile s’est détachée voilà environ cent mille ans, raison pour laquelle les scientifiques pensent que ce même phénomène se répètera sur la côte sud-est de cette ile.

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L’effondrement de Hilina ne représente pas une théorie de géologues reclus dans des bureaux puisqu’il existe déjà. Le terrain glisse actuellement d’une dizaine de centimètres par an, prouvant son instabilité. S’il venait à se détacher, il causerait un séisme d’une magnitude approchant 9 sur l’échelle Richter et un tsunami évalué lui aussi à 300 mètres de hauteur à cause de la profondeur des eaux dans les parages.

En 1868 et en 1975, des glissements de moindre importance ont engendré de petits tsunamis d’une vingtaine de mètres et ont détruit une bonne partie de plusieurs villages environnants. Est-ce que le présent événement éruptif survenant au mont Kilauea ne permettra pas d’enclencher ce glissement cataclysmique attendu puisqu’il rajoute du poids et des degrés supplémentaires aux pentes de ce terrain maudit?

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Chose certaine, s’il devait bientôt se produire, la surprise ne serait pas totale. Seuls les gens ignorant tout de l’effondrement de Hilina ainsi que ceux qui se le seraient volontairement caché resteront sans voix devant les ravages qu’il causera.

Mais vous, en tant que lecteur de mon blogue, vous ne pourrez prétendre à l’ignorance, seulement à l’insouciance.