Craindre la peur

L’amour n’est pas le plus puissant moteur des humains, c’est la peur. Parc qu’il faut survivre afin de pouvoir se reproduire, la peur agit en dictateur sur les émotions, et en colonel sur le plan décisionnel. Même lorsque le danger est passé, la peur continue d’œuvrer en arrière-plan.

La peur, vient toujours de l’autre. On n’a jamais peur de soi-même ou de ses propres décisions, à moins d’agir en crétin devant une caméra pour tenter d’infester internet avec un virus visuel insignifiant.

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Autrefois, la survie dépendait de la rapidité à reconnaitre le danger. Pour déclencher instantanément sa peur de l’autre, on a appris à fabriquer des étiquettes facilement reconnaissables. Aujourd’hui, nous utilisons encore et toujours cette méthode même si l’ennemi ne porte plus des crocs en forme de sabre, des cornes capables d’embrocher trois personnes à la fois ou des griffes pouvant décapiter un individu d’un seul coup.

Aujourd’hui, l’étiquette n’est pas basée sur un danger évident, mais sur une simple différence. « Il n’a pas ma couleur de peau, c’est une femme, il n’est pas né ici, elle est pauvre, il s’habille autrement ». Nous craignons des dangers inventés de toute pièce, afin de perpétuer une technique de survie millénaire, mais décalée par rapport aux défis qu’a véritablement à affronter l’humain moderne.

Paradoxalement, notre espèce néglige de voir de véritables dangers capables de l’anéantir. J’ai suffisamment parlé des changements climatiques dans mes chroniques pour ne pas être obligé de préciser davantage. La question est pourtant de savoir pourquoi cette incurie, cette négligence crasse, ce jemenfoutisme presque généralisé ?

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Pourquoi sommes-nous prêts à défendre si vaillamment une banalité et si mollement un danger extrême ?

Ma réponse est que le vrai danger émane de nous-mêmes, pas des autres. En attaquant le danger, nous devons attaquer sa cause qui s’avère n’être nulle autre que nous-mêmes.

Malgré leur ressemblance, les mots « humain » et « humilité » ne font pas bon ménage. Si vous lisez mes articles sur une base assez régulière, vous savez que je fonde peu d’espoir sur les chances de survie de notre espèce. Nous sommes trop imbus de nos réalisations et fiers du chemin accompli pour changer une recette gagnante pour une nouvelle façon de vivre non éprouvée.

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Et voilà ! Encore et toujours la peur ! La peur d’agir différemment, d’oser changer de méthodes, d’admettre nos erreurs, de regarder la réalité en pleine face, la peur de reconnaitre nos laideurs, la peur de baser notre estime personnelle sur nos futures décisions plutôt que sur nos prétendus succès du passé.

Nous ne cesserons jamais d’avoir peur, mais nous pouvons changer ses raisons. Aujourd’hui, pour survivre, nous devons craindre nos vieilles peurs, tout comme nous devons craindre nos actuelles insouciances, car le vrai danger se situe exactement là… que nous l’acceptions ou pas.

L’Antarctique, deux menaces

L’Antarctique est le septième continent. Il suscite beaucoup d’intérêt depuis quelques années. Il comporte un volcan actif, le mont Erebus. Sa couche de glace varie beaucoup d’un endroit à l’autre, certains lieux laissent apparaitre le sol rocailleux tandis qu’à d’autres, trois kilomètres d’eau gelée depuis des millions d’années recouvrent son sol en permanence.

Ce continent n’a pas toujours occupé sa position actuelle. La dérive des continents l’a amené à ce lieu très particulier du globe à partir du fractionnement du supercontinent la Pangée entamé il y a de cela 240 millions d’années.

Ce n’est plus un secret pour personne, le réchauffement climatique fait fondre des quantités phénoménales de sa glace qui a pour effet direct d’élever le niveau des océans. On compte encore ce rehaussement en millimètre, mais il s’accélère dangereusement. Il deviendra bientôt impossible de protéger efficacement plusieurs lieux densément peuplés de la planète contre les effets de cette élévation permanente. 

Les conséquences les plus évidentes surviennent lors d’ouragans, typhons, cyclones — ces trois mots désignent le même phénomène météorologique — lorsque la pression atmosphérique en forte baisse surélève le niveau des mers qui envahissent alors les terres côtières ayant le malheur de se trouver à basse altitude. Ces inondations occasionnelles deviennent aujourd’hui plus fréquentes, et ce, une fois encore, à cause du surchauffage de l’atmosphère et des océans qui dope les tempêtes tropicales.

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Ce problème ponctuel deviendra permanent lorsque l’élévation moyenne des océans finira par avoir le dessus sur plusieurs basses terres. Certaines villes mieux nanties pourront retarder l’inévitable en construisant des murs de rétention et en installant des pompes géantes, mais à plus long terme, elles seront elles aussi condamnées à disparaitre.

Les changements climatiques ne toucheront pas seulement les riverains. Nous subirons tous d’une façon ou d’une autre les multiples conséquences directes et indirectes de nos émissions des gaz à effet de serre.

Et parmi les conséquences indirectes de la concentration de méthane et de CO2 dans l’atmosphère, l’une d’elles concerne une fois de plus l’Antarctique.

Le septième continent cache bien des choses sous sa glace, dont tout un tas de volcans. On n’a pas fini de les compter et jusqu’à présent, on en a recensé 138. Pour l’instant, ils semblent endormis, mais un problème se profile à l’horizon et celui-ci émane une fois de plus du réchauffement de notre planète.

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Une analogie très valable consiste à voir un volcan comme une bouteille de champagne. Son magma accumule des gaz dissouts provenant de l’eau qui s’est infiltrée. Tant que le bouchon sur la bouteille parvient à retenir la pression interne, rien ne survient, tout reste calme. Toutefois, on connait la suite des choses si, pour une raison ou pour une autre, l’équilibre se rompt. Cette rupture peut provenir d’une hausse subite de la pression interne, comme lorsqu’on brasse la bouteille, ou de l’affaiblissement du bouchon.

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Pour l’Antarctique, le bouchon, c’est sa glace. En fondant, il s’affaiblit et un jour, la pression interne des volcans actuellement enfouis dépassera la capacité de la glace de la contenir. Lorsque le réveil sonnera, combien de volcans entreront en éruption simultanément ?

Ce mystère ne sera connu que le jour où la catastrophe surviendra. Il est impossible de la prédire, mais cette incapacité ne signifie aucunement qu’elle n’arrivera pas. Toutes nos connaissances actuelles pointent dans la direction d’un effet « bouteille de champagne ».

Ainsi, le seul continent inhabité (ou presque) nous menacera avec sa glace et ensuite avec son feu. Nous sommes en train de réveiller le dragon endormi dans sa prison en lui retirant l’immense couverture glacée permettant de le maintenir placide. Ce n’est vraiment pas une bonne idée ! Mais à quoi sert la prudence, sinon à nous empêcher de rester confortablement endormis sous une chaude couverture d’insouciance ?

L’avenir sera courage et inhumanité

Nous avons trop longtemps cru, à tort, que l’humain pouvait avoir le dessus sur la Nature. Depuis les débuts de l’ère industrielle, nous avons vécu avec le sentiment que nous pouvions harnacher les éléments à notre profit. La Nature nous dérangeait, nous l’avons tassée, ignorée et maltraitée. Nous avons cru prendre le dessus sur celle qui nous empêchait de réaliser nos rêves les plus fous.

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En bon parent patient, elle a subi nos frasques, nous a enduré autant qu’elle a pu, mais aujourd’hui ces moments calmes sont terminés. La Nature n’est pas revancharde, elle en a juste plein le c… Son vase est rempli et il ne fait que commencer à déborder.

Imaginez la Terre comme un immense réservoir possédant une très grande capacité de rétention. Elle peut absorber une quantité phénoménale de gaz à effets de serre tout en laissant une partie du dioxyde de carbone et du méthane dans l’atmosphère afin de retenir un peu de la chaleur reçue du Soleil. L’équilibre atteint est parfait pour obtenir des températures moyennes favorisant la vie telle que nous la connaissons, c’est-à-dire à base d’eau liquide.

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Mais voilà, durant les deux derniers siècles, l’humain a exploité les ressources pétrolières et charbonnières enfouies dans le sous-sol afin de produire de l’énergie utilisée par ses machines et pour son confort. Avec une totale insouciance, il est parvenu à atteindre la capacité maximale de rétention des gaz à effets de serre de sa planète.

Cette limite dépassée, la Terre refusera les prochains excédents. Cependant, son véritable comportement ne se contentera pas d’être aussi simple. Si c’était le cas, nous aurions le temps de changer nos habitudes de vie et nous pourrions retrouver un équilibre légèrement différent de celui du passé, mais toujours acceptable. Ce qui surviendra ne s’apparentera pas, même de loin, à ce sage scénario optimiste, pour ne pas dire totalement irréaliste.

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Pensez plutôt à la Terre comme un immense réservoir derrière un barrage hydroélectrique où les excédents d’eau sont évacués en aval. Mais que se passe-t-il lorsque la pression d’eau devient plus grande que la résistance de la structure? Le barrage tout entier s’effondre et l’eau accumulée derrière lui se déverse en emportant tout sur son passage. Afin de mieux représenter ce qui surviendra plus précisément, considérons une désagrégation graduelle plutôt qu’un effondrement instantané. Quoi qu’il en soit, le réservoir se videra de toute l’eau accumulée de manière artificielle.

La Terre est déjà entrée dans une boucle de rétroaction positive et rien ne pourra changer cette situation qui s’avérera bien plus grave que nous le pensons, que nous voulons le croire, que nous l’espérons.

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Anciennement, l’humain avait de la compassion pour ses proches, ses voisins, ses connaissances puisque ces dernières se limitaient à un environnement plutôt immédiat. Aujourd’hui, on suit en direct sur tous nos écrans des sauvetages héroïques d’inconnus situés à l’autre bout de la Terre. Nous pleurons des victimes d’actes insensés perpétrés partout sur la planète. Nous vivons dans des mégalopoles impersonnelles et pourtant notre capacité à nous émouvoir reste toujours bien présente, vestige d’un passé où notre univers se limitait à notre entourage environnant.

À la vue des événements à venir, au mieux nous serons des témoins impuissants d’hécatombes, au pire nous ferons partie des nombreuses victimes. L’ère de l’insouciance est bien terminée et la prochaine sera celle de l’indifférence. Nous ne pourrons plus nous soucier de tous les événements catastrophiques violents tant ils seront nombreux et leurs victimes légion.

Nous nous préoccuperons tout d’abord de notre propre sécurité, car la Nature pourra venir nous frapper partout sur Terre. Aucun lieu ne sera totalement sûr. Nous utiliserons les événements climatiques survenant aux autres, non plus pour nous émouvoir de leur sort, mais comme sources d’information pour nous préparer nous-mêmes au pire.

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Nous retournerons à une ère où nos pensées seront essentiellement centrées sur nos proches et nos voisins. La vie redeviendra survie avec tout son beau courage, mais également avec sa si laide inhumanité.