Je t’ai crue en crue

À l’instar de la rivière, le noyé coule vers d’insondables lointains.

Début mai, les eaux de la Rivière-des-Prairies gonflent sans vraiment présumer des conséquences exactes. D’année en année, son niveau fluctue entre la bénignité et la catastrophe. Encouragé par la fonte des précipitations accumulées durant l’hiver, le cours d’eau s’enorgueillit parfois au-delà de la bienséance.

Journey’s End

Cette année, les berges et les terrains riverains souffrent peu de ses écarts annuels. Ils ont juste été suffisamment inondés pour entasser toutes sortes de débris naturels ou anthropiques. Troncs, branches, branchages et copeaux mêlés de bidons, gobelets, masques et autres débris les accompagnent, le tout gisant en amas à la limite de la crue des eaux. La proportion des uns et des autres donne un aperçu de la négligence humaine.

Les bernaches sont de plus en plus nombreuses à s’entasser sur les rives qui ont vécu le ravage causé par les blocs de glace des embâcles. Ces chevaux-blancs ont maintenant abandonné les lieux pour se consumer en direction de la mer, laissant le champ libre aux majestés ailées.

La plupart des promeneurs ont compris l’importance de ne pas nourrir les oiseaux. Ils les observent à distance malgré la fâcheuse habitude des volatiles à envahir le parc pour se nourrir alors qu’il existe une multitude de terrains à l’état sauvage en mesure de leur offrir herbe, sécurité et tranquillité. Mais les bernaches elles aussi préfèrent se pavaner. Les femelles se préparent à pondre dans un nid construit à même le sol et parfois situé un peu trop près du passage des humains et de leur chien. Mais qui sommes-nous pour juger ce comportement téméraire alors que nous nous établissons au pied des volcans ?

Sans vraiment être en état de contemplation, j’observe la rivière prenant les airs d’un fleuve grandiose. Occasionnellement, elle écume blanc face aux assauts des vents frais d’ouest. Même si beaucoup d’eau passe sous ses ponts, elle résiste plutôt bien à l’envie de modifier son parcours, et ce malgré ses sautes d’humeur printanières. Le reste de l’année, elle continue à se la couler douce dans son lit.

Que de beautés dans cette force tranquille et pourtant indomptable ! Oui, nous pouvons la harnacher, retenir ses eaux et même la dévier, mais nous ne pourrons jamais l’empêcher de se déverser d’une quelconque façon. Elle a précédé notre arrivée et elle nous survivra. Pour elle, la présence humaine ne sera rien de plus qu’un court intermède durant lequel elle aura été légèrement bouleversée par nos agissements, mais également par notre fragilité, car il est si facile de s’y noyer !

À l’instar de la rivière, placide, j’écoule… les jours.

Maudite mégère de mer…le

Cette histoire n’est pas un conte. C’est un vendredi après-midi, je tente de relaxer au camping alors qu’il fait froid, humide, venteux et qu’il pleut. Bref, un temps idéal pour les canards, moins pour les humains. Comme à mon habitude, je commence à écrire quelques lignes sans trop penser au mauvais temps. La nature a besoin de pluie, je lui dois ma respectueuse placidité.

La pluie incite les vers de terre à sortir du sol, le temps idéal pour les merles de faire leur épicerie. J’aperçois un mâle juché sur un poteau de clôture. Il fait le beau, l’important, avec sa gorge bien colorée puisque nous sommes à la pariade. Il chante sans trop s’égosiller, je le soupçonne de vouloir attirer une compagne.

Et voilà justement une femelle qui atterrit sur la pelouse pas très loin du mâle. Elle est beaucoup moins flamboyante que lui, je la trouve même terne et hirsute. Le mâle quitte son juchoir pour aller se poser pas très loin d’elle. J’anticipe un début de cour, mais je me trompe. Je conclus très vite qu’ils forment déjà un couple et voici mes raisons de le penser.

La femelle ne fouille pas le sol, elle se contente « d’invectiver » le mâle sans discontinuer. Celui-ci n’y porte pas trop attention. Il se contente d’observer les alentours sans trop de conviction. Sa mission de découvrir de juteux lombrics semble plombée par les cris enroués de sa compagne.

Je me questionne. Comment un aussi joli jeune mâle s’est-il uni à cette espèce de mégère apparemment sur son retour d’âge ? Comme pour me conforter dans mon analyse, le mâle reprend sa position au sommet du poteau, il chante en dansant, probablement pour attirer une autre femelle sans partenaire. Malheureusement pour lui, aucune autre candidate ne pointe le bout de son bec. Tournée vers lui, la femelle au sol intensifie ses vociférations. Elle n’accepte pas du tout cette démonstration de masculinité.

Dépité, l’oiseau retourne au sol sans conviction. Sa détestable compagne s’en rapproche bourrée de reproches. La patience du mâle a-t-elle atteint sa limite ? L’élastique de la mienne est déjà bien étiré. À sa place, je l’aurais subitement planté là en m’envolant très loin d’elle pour ne plus y retourner.

C’est à ce moment précis que le mâle a un comportement que je n’aurais jamais imaginé. Avec le bout de son bec jaune vif, il lui donne quelques petits coups sur le sommet du crâne. Rien de violent, rien de bien méchant, juste une sorte de subtil signal qu’il en a plein le gésier et qu’elle ferait mieux de cesser ses récriminations.

Le message semble avoir été partiellement compris. La chipie espace ses cris par de longs silences sans toutefois y mettre définitivement un terme. Le mâle retourne se pavaner en hauteur au vu et au su de sa femelle. Sa fidélité ne lui est sûrement pas acquise. Il regrette certainement sa faiblesse d’avoir choisi cette détestable compagne.

Par la suite, je n’ai plus revu ce ménage bizarrement apparié. Le désagréable comportement de la femelle était-il dû à un état de santé dégradé comme ses plumes pouvaient le laisser supposer ? Le mâle s’était-il donné le mandat de rester avec elle à cause de son état fragile ?

Je n’ai pu faire autrement que de dresser un parallèle avec des couples d’humains. Je ne peux pas croire que les oiseaux et tous les animaux n’ont aucun sentiment comparable aux nôtres. Observer leurs comportements fournit la preuve du contraire.

Ici, l’indulgence et la patience du mâle étaient évidentes, et ce malgré ses désirs manifestes de copuler avec une pimpante jeunesse. À l’opposé, l’âge ou l’état de santé de la femelle semblaient causer ce comportement exaspérant. Je n’ai plus jamais constaté pareils agissements chez aucun autre couple d’oiseaux.

Voilà comment une journée des plus moche m’a procuré un éblouissant souvenir. Alors plutôt que de maugréer des insultes au temps, donnez-lui l’occasion de manifester des beautés inattendues. Car de la pluie naissent les plus jolies fleurs, pourvu que vous preniez le temps de les observer sereinement.

Ça rend fou

Le printemps est le temps de l’année où l’on procède au grand nettoyage. Tout s’est accumulé durant l’hiver et voilà venu le moment de remettre de l’ordre et de nettoyer tout ce gâchis.

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On sort les meubles de patio, le barbecue, les parasols, le hamac, les nains de jardin et les lumières de parterre. La vie reprend son cours, elle qui s’est remisée en attendant que le froid passe et se termine. Voilà, c’est plus ou moins chose faite.

Cependant, il reste encore un gros mois et quelques avant que le camping ne recommence. Dans les Laurentides, la neige persiste longtemps, elle disparaitra totalement pour la fête des Mères, premier weekend où les terrains seront rouverts.

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Cette année, j’ai acheté une mangeoire à oiseaux. Je le regrette déjà! J’aime la nature… naturelle, alors j’ignore quelle idée farfelue m’a traversé la tête. Elle est jolie, tout en cuivre verni, les oiseaux vont la trouver attirante, me suis-je dit. Idiot! Le seul oiseau qui la trouvera jolie est cette tête de linotte de Corbot qui se l’est procurée.

Je vous tiendrai au courant de l’histoire de ma mangeoire, le temps qu’elle durera. Peut-être aurai-je quelques belles surprises! Mais sincèrement, j’en doute déjà!

En fin de compte, l’adage se vérifie, le printemps, ça rend fou.

Je suis

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Je suis le vent glacé automnal, le ciel ombrageux, les feuilles tombées

Je suis l’étranger indésirable, l’inverse de l’an droit, l’épine dans la chair

Je suis l’oiseau rabattu, le corbeau aux ailes d’Échyrée, la menace tue

Je suis l’arbre sauvage épargné des haches et du feu, fier, risible, esseulé

Je suis le mascaret remontant le fleuve des préjugés, le ras-le-bol-de-marée

Je suis l’ile aux falaises tranchantes, inabordable, peuplée d’oiseaux exotiques

Je suis le pieu du prétentieux, le dénonciateur du menteur, l’ail du vampire

Je suis la pluie sournoise, le verglas briseur, la pesanteur indésirable

Je suis l’épopée oubliée, le héros méconnu, la quête avortée

Je suis l’enfer inondé, le ciel silencieux, la terre en jachère

Je suis l’innommable, l’inqualifiable, l’épouvantail

Je suis la marmite débordante, la rébellion sous couvert, l’incompréhensible

Je suis la défervescence, l’extincteur des idioties, le réaliste indésirable

Je suis les nuées noires, le symbole de la furie, le silence annonciateur

Je suis l’univers atomisé, l’immensité ratatinée, le peu anéanti

Je suis mon indomptable roi, mon irréprochable loi, ma juste foi

Je suis moi… qui suis-je

Le géant évidé

Tapi au plus profond de la forêt boréale, là où les animaux étaient autrefois rois de ce territoire vierge aussi grand qu’un continent, se terre un incroyable géant. Plutôt gentil au regard de son fabuleux potentiel, ou endormi, son souffle ronfle et son cœur siffle au sein d’une immense caverne creusée juste pour lui dans le plus dur et le plus âgé des rocs terrestres.

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Pour se nourrir suffisamment, ses denrées s’étalent sur des centaines de kilomètres carrés en amont de cette impressionnante barrière faite de faux rocs pour pallier celui qui manquait précisément à cet endroit. L’ouvrage voûté s’étire et se détend sous la pression, mais résiste courageusement au désir naturel de l’eau de le transcender. Ce faisant, le géant n’en laisse passer qu’une infime quantité à la fois afin d’alimenter son cœur métallique rotatif.

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Ce géant est-il magicien ou même démiurge? Que dit-on de celui possédant le pouvoir de transformer l’eau en biens? Des objets de toutes sortes sont fabriqués grâce à son énergie quasi inépuisable, dont mon téléphone avec lequel je prends des photos de ses membres titanesques.

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Le doux monstre s’avère être un myriapode d’une incroyable longueur, ses innombrables membres couvrant des milliers de kilomètres afin de soutenir ses artères qui finiront par se ramifier en des millions de capillaires jusqu’à alimenter la plus humble des prises électriques murales servant à recharger mon téléphone.

Les pattes évidées du géant transportent son sang au-delà des montagnes, par-delà les vallées, par-dessus les rivières et les fleuves. Graciles, fluettes, elles supportent pourtant des tensions énormes, solidifiées dans leur cause par leur solidarité quasi indéfectible. Soutenu de parts et d’autres par des pattes jumelles, chaque membre maintient fièrement sa droiture presque en toutes circonstances malgré l’évidement quasi total de sa structure.

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Je passe sous cette fabuleuse autoroute à électrons en ressentant une impression de ridicule petitesse face à elle. Le géant grésille discrètement, ce bruit ressemble à celui d’une fine pluie tombant sur une bâche. Je suis en partie son créateur, il est un peu mon œuvre et pourtant je le trouve grandiose, surhumain, totalement disproportionné par rapport aux dimensions naturelles de tout ce qui vit sur cette planète.

Je finis par surgir de sous son ventre. Après avoir salué ses cimes métalliques, mes yeux retrouvent la rivière, le sol, l’herbe et… une famille de bernaches en pique-nique aux abords de la piste.

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Aussi incroyable que puisse m’apparaitre ce géant aux électrons bien dressés, rien n’est plus délicieux à regarder que ces cous fièrement montés afin d’exhiber leur jolie famille aux passants. Peu farouches mais toujours prudentes, elles me montrent qu’il est possible de vivre heureux, paisibles et fiers de ses accomplissements sans avoir construit un géant évidé. D’ailleurs, ne sont-elles pas en mesure de voler bien au-dessus de sa tête?

Aussi grandiose qu’une œuvre humaine puisse paraitre, la beauté d’un seul oiseau vaut bien celle d’un géant évidé.

Un si détestable papillon !

Oui, je sais, nous ne sommes pas dans la saison des papillons. Vous ne m’apprenez rien, je suis sorti dehors pas plus tard qu’aujourd’hui et la pluie verglaçante, les bancs de neige et le bal des déneigeuses me l’ont clairement montré. Alors pourquoi un papillon me ferait-il rager en plein cœur de l’hiver ? C’est que je parle d’un foutu papillon coriace, une teigne indécrottable, un papillon de calibre himalayen. Vous le voyez ? Non ? Attendez un peu et vous comprendrez tout.

Ouais, je vois votre petit sourire en coin, votre œil condescendant et votre main me tapotant le dos en me disant que tout ira mieux demain tout en sachant pertinemment que demain, rien n’aura changé. LeCorbot fait de la fièvre à l’année, il pète des bulles que lui seul voit, il saute une coche ou des coches sans préalablement préparer convenablement ses lecteurs ahuris.

Bon, j’avoue, être LeCorbot à longueur d’année, ça joue sur les nerfs, les vôtres, mais surtout les miens. Je suis quand même assis dans la première rangée, je vous le signale et s’il réussit à m’énerver, je vous imagine stressés et je vous plains. Mais vous ne connaissez pas ce putain de papillon, sinon vous seriez vous aussi en train de mordre les sangles de la chemise blanche à très longues manches qu’on vient de me passer ! Comment fais-je pour écrire ? J’ai du nez, ça aide, il ne faut pas se presser. Et puisqu’on vient tout juste de me signifier que je passerai un méchant bout de temps en dedans, j’ai tout mon temps.

Je pousse des jurons que très rarement, mais là, franchement, je n’en peux plus. Le prochain qui me parle de cet enfoiré de papillon, je lui ferai subir les affres de mes incantations vaudou, version 2.0. Oui, je viens de les améliorer en égorgeant, en étripant, en écartelant et en faisant brûler la fameuse marmotte censée prédire sous peu l’arrivée du printemps. Oui, oui, j’avoue, certains animaux me tournent en bourrique. Hé ! Bourrique, c’est un âne, alors le compte est maintenant rendu à 3. Un papillon, une marmotte et maintenant un âne. Ne manque plus qu’un poisson pour compléter ma collection des animaux peuplant tous les écosystèmes de mon intolérance.

Mais avant, juste avant de me considérer irrémédiablement cinglé pour oser m’en prendre à une créature aussi inoffensive que le gentil papillon gnan ! gnan !, donnez-moi la chance de prouver mon point et vous direz comme moi, quoique j’en doute, vade retro papilio satana.

Bon, voilà que mon nez coule à cause de la grippe. Il m’est impossible pour l’instant de vous écrire sans faire risquer la noyade à mon clavier. Vous devrez attendre demain pour enfin savoir pourquoi cette infernale bestiole me rend aussi fou. Non, c’est vrai, j’étais fou bien avant de la rencontrer, mais elle n’a absolument rien arrangé. Demain, je vous le promets, vous saurez pourquoi ce papillon me tape autant sur le système.

Ne soyez pas triste de cette attente forcée. Dites-vous au contraire que vous aurez vécu un jour de plus dans votre vie sans avoir connu ce détestable fléau qui vous poursuivra par la suite, sans relâche, pour le reste de votre existence soudainement devenue misérable, pour ne pas dire minable, pour les siècles à venir.

Demain, je vous promets de me forcer à ne pas donner des noms d’oiseaux au vilain papillon et à passer directement au propos principal. Tiens, ça me fait penser, je vais déposer une plainte à l’Académie de la langue française pour qu’on cesse d’associer les noms d’oiseaux à des jurons pour les remplacer par des noms de papillons, bien plus signifiants à mon avis. Entre ces deux espèces volantes, vous verrez, une vilenie sans aucune commune mesure émane du papillon.

Il faut bien que je défende ma propre espèce ! Sinon, qui le fera ? Certainement pas le papillon ! Avec toutes mes insultes, sa complicité avec ceux-là mêmes qui m’ont enfilé une camisole au style très peu tendance est fortement suspecte.

Je vous laisse, je dois me moucher… mais comment vais-je bien m’y prendre ?

Photo : planete.qc.ca

Ludisme dominical : solution de l’énigme

Dimanche dernier je posais une énigme consistant à trouver deux mots à partir d’une série d’indices.

Voici donc les deux mots qu’il fallait trouver.

Le premier : oiseau
Le second : scotch

Merci à ceux qui ont essayé de la résoudre.