Équilibre ou stabilité

Si le progressiste recherche l’équilibre, le conservateur vise principalement la stabilité.

Greensleeves

L’équilibre est difficile à atteindre et il est éphémère tandis que la stabilité n’existe qu’en pensée puisque tout est constamment en mouvance. Parlez-en à un fildefériste où son trajet est un grossissement, une caricature des aléas de la vie. S’il parvient à se maintenir sur son câble, il ne le doit pas à sa stabilité, mais bien à son équilibre, une moyenne nulle de l’ensemble de ses déséquilibres tridimensionnels.

Si rien dans la nature n’est vraiment statique, doit-on pour autant accepter immédiatement tous les changements qui se présentent à nous ? Courir sur son fil de fer permet d’atteindre plus rapidement l’autre extrémité, mais les probabilités de tomber en chemin croissent en conséquence, et pas seulement qu’un peu ! Avec le changement, la prudence est donc de mise. Il faut savoir bouger, mais ni trop vite ni trop lentement. Une fois de plus, un juste « équilibre » doit exister entre embrasser les transformations sans retenue et l’immobilité morbide.

En général, ce qui distingue les gens de bonne foi, les progressistes modérés des conservateurs également modérés, est justement cette vitesse avec laquelle les changements doivent être acceptés et ensuite assimilés. Le fossé n’est pas si important entre les uns et les autres. En revanche, il devient infranchissable entre les radicaux des deux camps. Tous deux possèdent d’excellents arguments et des besaces remplies d’exemples patents tirés du passé pour étayer leurs convictions. Sur ce terrain, personne ne convainc l’adversaire et un dialogue de sourds s’installe à demeure.

Vivre trop dans le passé ou constamment dans le futur n’accorde personne. Un clivage s’installe dans la société et lorsqu’il a pris ses aises, il devient très difficile de l’en chasser. Par dépit, car ils perçoivent qu’aucune autre option n’est envisageable, les modérés rejoignent les rangs des radicaux puisque les seuls discours galvaudés sont les leurs, remplis de préjugés et de haine pour les opinions adverses.

L’acrobate vacille trop fortement, l’équilibre se rompt. Les ailes radicales écartèlent la même société qui les a vues naitre et prospérer. Sans corps pour les relier, elles disparaissent toutes deux dans la mer des cuisants échecs. Non seulement personne n’a gagné, mais tous ont perdu.

Cinq pensées

Cinq pensées profondes ou profondément débiles de votre Corbot. À vous de juger.

Faire la paix avec l’amour

Plus on possède une douce patience, plus elle est mise à rude épreuve.

Le vélo, c’est comme la vie. Si tu ne pédales pas, à coup sûr tu vas te retrouver le nez par terre.

Un concubinage réussi et un bon sac à dos ont en commun de rester confortables même lorsqu’ils pèsent lourd.

Un malheur éphémère surprend, déstabilise, heurte et blesse, car notre esprit a déjà oublié les précédents. Si vous préférez éviter les surprises, restez toujours malheureux.

Pour garder longtemps espoir, il faut savoir cesser d’écouter. Pour conserver longtemps son amour, il faut savoir cesser de regarder. Pour préserver son intelligence, il faut savoir cesser de parler.

La résilience

Même s’ils ne sont pas nouveaux, certains mots arrivent tard dans notre vie. Ç’a été mon cas avec le mot « résilience ».

Berlin sous la neige

Je ne l’avais jamais lu avant qu’il reprenne vie après un long moment à croupir au fond du dictionnaire. Aujourd’hui et depuis quelques décennies, on peut l’entendre et le lire plusieurs fois par jour.

Avant de connaitre sa définition exacte, en fonction des exemples lus ou entendus, je présumais que la résilience était la capacité d’affronter des épreuves et de les transcender en gardant peu de séquelles.

J’ai ensuite consulté mes dictionnaires et dans son sens primaire, il est question de fatigue du métal, de sa capacité à absorber de l’énergie avant sa rupture. Elle caractérise la résistance au choc, elle indique jusqu’à quel point de l’énergie peut être emmagasinée par un corps sous l’effet d’une déformation élastique.

D’autres définitions se sont ensuite rajoutées à partir de l’exemple donné par la physique des matériaux. On parle alors de ressort moral, de la qualité d’une personne à ne pas se décourager, qui ne se laisse pas abattre, qui surmonte les événements de vie difficiles. Ou encore, l’aptitude à affronter un stress intense et à s’y adapter.

Bref, j’avais visé assez juste avec ma propre définition, du moins en ce qui concerne l’aspect psychologique. Alors pourquoi j’étais toujours pris d’un étrange malaise lorsque j’entendais les gens utiliser ce mot ? C’est comme lorsque quelqu’un parle d’une personne « versatile » plutôt que « polyvalente », mes oreilles s’échauffent. Avec « résilience », j’avais un effet semblable alors que les interlocuteurs l’utilisaient apparemment adéquatement. Victimes de guerres, ou de catastrophes naturelles, celles-ci étaient qualifiées de « résilientes » par les commentateurs, les journalistes, les animateurs de radio et de télé.

Et un jour, j’ai finalement compris la cause de mon malaise. Chaque fois que je lisais ou j’entendais ce mot, c’était dans le cadre d’événements d’actualité. Les animateurs parlaient de la grande résilience des victimes interviewées face aux catastrophes de tout acabit. Mais comment parvenaient-ils à jauger leur degré de résilience uniquement sur la base de quelques déclarations captées sur le vif alors que la poussière virevoltait encore partout ? Comme pour la versatilité et la polyvalence, mes oreilles entendaient l’expression « résilience », mais en fait elles auraient voulu entendre « résistance ».

Résistance est l’un des synonymes de résilience, mais ces deux mots ne sont pas équivalents. La résistance se caractérise par une réaction immédiate à un choc. Mais est-ce de la résilience pour autant ? Vraiment pas. Il faut du temps pour constater l’existence d’une résilience. Ou encore, elle apparait (ou pas) sur une longue période durant laquelle plusieurs événements difficiles se succèdent. Presque toutes les personnes victimes d’un traumatisme auront offert de la résistance, mais seules celles qui parviendront par la suite à vivre le plus normalement possible seront résilientes.

Tous les mots commençant par « R » ne sont pas Résilience

Toutes les catastrophes nous affectent. Nous nous en sortons transformés, jamais identiques à ce que nous étions avant qu’elles ne surviennent. La résilience ne se caractérise pas par l’absence de séquelles, mais par celles qui nous permettront encore de vivre sans trop affecter notre bien-être ni notre entourage. Et dans les cas les plus remarquables, de vivre encore mieux, de devenir meilleur.

Parler de résilience au lendemain d’une catastrophe est, selon moi, une impropriété. Et, sincèrement, seuls les proches immédiats des victimes pour qui leur regard est parfois plus juste, peuvent décemment les qualifier de résilientes.

Ne pas voir devant soi et pourtant garder espoir

De toute façon, faire montre d’une grande résistance n’est pas moins glorieux que de montrer une grande résilience, même si on peut facilement penser le contraire, puisque la résilience ne se tient pas sur les épaules de la résistance, ce sont deux échelles parallèles. Une personne peut présenter une grande faiblesse face à l’adversité et pourtant, elle peut ensuite poursuivre sa vie sans problèmes. Comme il est possible de fortement résister et ensuite de chuter et de ne pas être en mesure de se relever, le syndrome du choc post-traumatique en est un bon exemple.

Un autre exemple, on peut très bien résister à une pluie d’insultes mais ensuite en être profondément affecté, tout comme on peut difficilement les encaisser, comme une injustice, mais par la suite ne pas tout remettre inutilement en cause.

Alors, j’invite tous les commentateurs, tous les journalistes traitant de l’actualité à se rabattre sur le mot « résistance » plutôt que d’utiliser « résilience » pour parler de la capacité immédiate à subir des chocs sévères, et de conserver ce dernier pour des reportages ayant pour objectif de montrer la façon dont les personnes ont passé à travers les épreuves une fois qu’elles sont derrière elles ou lorsqu’elles ne cessent de pleuvoir.

Et le Corbot dans tout cela ? Est-il résistant, résilient, aucun des deux, les deux ? Ne me le demandez pas, demandez-le plutôt à mes proches. Ce n’est pas inutilement que j’ai grandement restreint mon cercle social, vous en trouverez peu qui répondront n’importe quoi.

La vérité est-elle bonne pour tous ?

Dans mon précédent article traitant de la fatigue, je concluais sur le principe que la vérité m’a aidé à tracer mon chemin parmi mes difficultés et que me la cacher n’aurait pu que me perdre et retarder mon processus de guérison. Mais est-ce le cas pour tout le monde ?

Sombre piège

À mon avis, la vérité est bonne pour tous. On est porté à cacher la vérité auprès d’une personne qu’on considère comme étant une sorte d’enfant, vulnérable, une personne à protéger, quitte à lui mentir, un moindre mal, pense-t-on. Mais que se cache-t-il sous cette belle excuse ?

Malheureusement, mentir, même à un enfant, n’est pas la solution. C’est une marque de faiblesse de l’adulte qui préfère mentir, une solution simple, plutôt que de trouver une façon élégante et adéquate de lui dire la vérité.

Élever un enfant dans le mensonge fera inévitablement de lui un menteur. Alors, la prochaine fois que vous hésiterez en pensant protéger votre progéniture en lui cachant la vérité, sachez que vous lui donnez le parfait exemple de ce que vous ne voulez pas qu’il devienne plus tard.

Oui, la vérité est bonne pour tous, seules les façons de la dire ne sont pas toujours adéquates. Évitez la facilité, creusez-vous les méninges et osez dire la vérité de la meilleure manière que vous pouvez imaginer. Un enfant saura vous pardonner une déclaration maladroite mais véridique, jamais il ne vous pardonnera de lui avoir menti dans le but factice de le protéger alors que la fainéantise ou la couardise en sont la véritable raison. Et que vous le vouliez ou non, votre leurre ne durera qu’un court laps de temps, car il sait d’emblée discerner la différence.

Même les plus pieux mensonges n’achètent pas de la protection, par contre, uniquement et à coup sûr, de la déception.

Fatigué

Songe à Charlevoix

Êtes-vous fatigué ? Pas cette fatigue qui nous prend lorsqu’on dépasse l’heure normale du dodo. Pas cette fatigue issue de l’exaspération de côtoyer des gens idiots ou casse-pieds ou harceleurs. Pas cette fatigue causée par un quotidien morne, répétitif et inintéressant. Pas cette fatigue ressentie à la veille des vacances suivant une période surchargée. Pas plus que cette fatigue causée par le dépassement de nos capacités physiques lors d’une joute ou d’un défi sportif relevé. Non, je parle de la fatigue, de la vraie, de l’épuisement total, du corps qui tire la prise et qui plonge la tête dans le néant.

Êtes-vous fatigué ? Ou l’avez-vous déjà été ? Ou encore, sentez-vous venir cette fatigue absolue que vous parvenez encore à repousser à coups de pied au derrière ou à l’aide de quelconques substances ?

Êtes-vous fatigué ? Car moi, je l’ai déjà été. Je sais comment et pourquoi j’en suis arrivé là. Je sais combien de temps ça m’a pris pour descendre lentement, mais inexorablement dans cet abime. Je connais les premiers, deuxièmes et troisièmes signes avant-coureurs. Je sais aussi combien il faut de temps après le débranchement pour revenir dans le monde des vivants fonctionnels et ensuite pour récupérer ses capacités d’autrefois, compte tenu évidemment de l’avancement en âge.

Je ne crois pas être une exception, mais la fatigue m’a quand même tiré vers le bas durant trois décennies. La pente descendante est lente, elle est longue, mais heureusement, dans mon cas, elle s’est un jour terminée. Cependant, lorsque ma condition a cessé de descendre, eh bien ! mon état était évidemment à son point le plus misérable. Et une fois rendu à ce niveau minimal, personne ne peut prédire combien de temps ça prend pour le quitter et reprendre le chemin vers le mieux-être. Oui, durant longtemps mon état n’empirait pas, mais il ne s’emmieutait pas vraiment non plus. Un état proche du rhododendron ou de l’amanite, plus de l’amanite, parce que personne ne voulait s’approcher de moi.

Et pourtant, malgré mon état dégradé, je n’ai jamais perdu espoir de m’en tirer. J’ignore pourquoi j’avais encore cette force intérieure alors que tout partait à vau-l’eau. Jeune, j’ai vécu de multiples épisodes où j’aurais pu perdre la vie. Je m’en suis toujours tiré grâce un peu à la chance, mais aussi par ma façon relativement calme d’appréhender le danger. Calme n’est peut-être pas le terme le plus exact, car parfois mon cœur battait la chamade. Je choisirai le mot « conscient » en opposition au mot « paniqué ». Conscient de la situation et de son degré de dangerosité.

Même si je n’avais aucune expérience en la matière, je présumais assez bien du danger lié à la fatigue extrême. Je l’acceptais comme une nécessité, ce qui n’était pas faux dans les circonstances.

Combien de temps m’a-t-il fallu pour me remettre de cette fatigue absolue ? Oui, car j’ose croire que j’ai maintenant réussi à me sortir de ce terrible puits sombre. Mes facultés physiques suivent la normalité de mon âge, mais mes facultés psychiques actuelles valent bien celles de mes trente ans.

Je me considère tout de même chanceux d’avoir eu un ratio approximatif de 2 pour 1. Pour chaque deux ans de fatigue, un an de récupération. Donc pour trente ans à abuser du manque de sommeil, j’en compte quinze durant lesquelles ma tête s’est lentement mais graduellement remise à fonctionner normalement.

Pour tous ceux qui pensent qu’il est possible de récupérer rapidement d’un état de fatigue extrême, dites-vous qu’on ne récupère vite que des petits abus. Ceux qui ont perduré demandent une échelle de temps à peu près comparable pour disparaitre, et parfois ce n’est que partiellement.

Ceux qui croient qu’avec ce genre d’évaluation je suis une personne pessimiste n’ont encore rien compris de la réalité. Bien au contraire, je me considère comme une personne très optimiste et la preuve en est que je n’ai jamais capitulé, que je m’en suis sorti, et ce sans jamais me masquer la réalité. La vérité ne doit pas nous effrayer, elle seule peut bien nous guider comme une ligne de survie sur un voilier affrontant les tempêtes. Si la vérité est parfois difficile à accepter, lorsque cette barrière est franchie, plus rien ne peut nous entraver.

Le second souffle

C’est le titre d’un film de 2014 que j’ai récemment visionné sur la plateforme Amazon. Il met en vedette la célèbre Hilary Swank dans le rôle principal et Emmy Rossum pour lui répliquer dans le rôle d’une aide-soignante.

Linkin Park – Numb Piano

Mis à part les traits caricaturaux à la mode très américaine de l’aide-soignante maladroite au début du film, ils ne peuvent s’empêcher de la montrer au paroxysme de son incompétence au cas où certains spectateurs seraient trop peu allumés pour comprendre que la personne n’a aucune expérience dans le domaine, le reste du film m’a profondément ému.

Pour ceux qui ne l’ont jamais vue, je ne divulgâcherai pas le sujet abordé dans cette œuvre réalisée par George C. Wolfe qui a joué un rôle obscur dans le film « Le diable s’habille en Prada », les prestations de Rossum et surtout celle de Swank valent leur pesant d’or.

Bien que je sois habituellement un adepte des films aux effets spéciaux démesurés, je ne boude pas mon plaisir de regarder ce genre d’œuvre dont le sujet touche des valeurs humaines même si la facture générale du film demeure modeste.

C’est le genre d’œuvre qui me réconcilie un peu avec la vie d’aujourd’hui. Si le film n’est pas totalement fictif, il existerait donc encore des personnes capables de bontés désintéressées et d’autres pour les apprécier à leur juste valeur !

J’exagère un peu mon désenchantement, mais on ne refait pas un Corbot, surtout s’il ne veut rien savoir du contraire. Être souvent déçu et occasionnellement grandement ravi est préférable, du moins dans ma tête, au contraire. J’exècre ces personnes qui aiment tout, presque également et sans distinction. Les diamants sont rares, les ersatz pullulent, je déteste qu’on essaye de me refiler de la camelote sous prétexte qu’elle brille tout autant.

Dans ce film, on retrouve un crescendo d’émotions bien maitrisé qui ne paraissait pas au moment du dénigrement de l’aide-soignante. Il va vraiment falloir que les Yankees cessent un jour de considérer les cinéphiles comme des imbéciles incapables de comprendre un deuxième degré même pas subtil. Ça gâche la sauce au point où j’ai failli fermer mon téléviseur. Dans ce cas, j’aurais raté le meilleur en me fiant au pire, mais à ce moment j’ignorais la teneur de la suite. Je me félicite d’avoir tenu tête face à leur stupidité initiale.

Conclusion, si vous n’avez jamais visionné ce film, empressez-vous de le regarder et dans tous les cas, faites-moi part de vos commentaires à son sujet.

Hubert a rejoint ses étoiles

We are cursed

Rarement plus d’une personne par génération a la capacité d’influencer positivement l’humanité tout entière et Hubert Reeves a été l’une d’elles. Son amour pour la science, pour l’écologie, pour la langue française, mais surtout pour les gens a façonné sa nature profonde et incidemment la nôtre.

Contrairement aux discours démagogiques qui enflamment les esprits, le sien, dépourvu de hargne, a toutefois engendré de très grandes passions. Comme quoi l’éducation et les explications simples et claires valent autrement mieux que les phrases incendiaires dépourvues de sens.

Ce Montréalais de naissance et Français d’adoption savait que la science avait causé les catastrophes environnementales que nous connaissons aujourd’hui, mais il croyait également qu’elle pouvait nous en affranchir si on la mettait au service de notre bien-être. La science n’est ni bonne ni mauvaise, elle fait ce pour quoi on la harnache. Malheureusement, l’incurie permanente de nos dirigeants en matière de protection de la Nature l’a profondément bouleversé et l’a peut-être en partie anéanti.

Nous sommes tous des poussières d’étoiles comme nous sommes tous devenus des fragments d’Hubert Reeves, de sa pensée, de ses préoccupations et de ses amours.

Merci, Hubert, d’avoir été présent dans nos vies.

Ode au combattant

Braise

Vois la gloire ceindre ton front vertueux
Tu défiles solennellement parmi la foule
Serrant les remercieuses dans tes bras
Elles pleurent joies et soulagements

Tu ramènes leurs proches en maisonnée
Promesse tenue malgré les déchirements
Tu rengaines tes outils d’épuisements
Eux aussi aspirent au doux repos mérité

Éreinté, tu n’as droit qu’à une courte accalmie
Le devoir te rappelle dans les champs de batailles
L’ennemi lance de nouveaux éclairs de discorde
Embrasant les moindres parcelles florissantes

Ton combat te semble inutile car éternel
La terre entière crâne en incendiant tes efforts
Luttant vaillamment malgré tes bras alourdis
L’aboutissement se soustrait avec grands bruits

Parfois une victoire, parfois un renoncement
Les bagarres ne se gagnent pas aisément
Car ta précieuse forêt brûle de mille feux
Et les pompiers comme toi, si peu nombreux

Le mot qui insulte

J’ai récemment écrit un article intitulé « N comme dans Noir ». Il fait partie d’une série où je décris les particularités d’une lettre et d’un mot commençant par celle-ci.

On m’a félicité de ne pas être tombé dans le piège d’y incorporer le fameux mot n… qui insulte. Pour ma part, le mot « noir » est suffisamment riche pour ne pas empiéter sur un autre mot même s’il existe une forte corrélation entre les deux.

Paint it, Black
Danny Laferrière, membre de l’Académie française et auteur de « Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer»

Ce n’est que très récemment que le fameux mot « nègre » a pris une connotation exclusivement insultante. C’était déjà le cas si ce terme était utilisé par un non-noir, mais étrangement un individu de la communauté noire pouvait l’utiliser en toute légitimité sans aucune connotation négative. Bien étrange et passablement inquiétant qu’un mot présente un tel clivage en fonction de la couleur de la peau de celui qui le prononce, comme si le bronzage permanent transparaissait à travers une feuille de papier ou dans un extrait audio. Et quel degré de coloration était-il requis pour passer le cap de la permission ?

Nègre

Vieilli, péj.(Terme raciste et injurieux, sauf lorsqu’il est employé par les Noirs eux-mêmes)
Dictionnaires Le Robert – Le Grand Robert de la langue française

Corriger cette bizarrerie lexicale en généralisant son attribut négatif m’apparait très sensé. C’est la prérogative de l’évolution du langage de modifier la façon dont on interprète les mots et expressions au fil du temps. En ce sens, je conçois, j’accepte et j’approuve sans réserve ce changement. Il ne faut cependant pas oublier les usages de ce mot juste avant cette crise terminologique.

Je suis profondément persuadé et les études ADN le confirment, la grande famille des homo sapiens n’est constituée que d’une seule race. Donc pour moi, le mot raciste est un non-sens au même titre que les gens aux yeux verts ne constituent pas une race à part entière, les cheveux roux, les jambes arquées et les nez aquilins non plus, pas plus que les gens à la peau noire qui est d’ailleurs rarement proche du noir. Alors quand provoquera-t-on les mêmes esclandres autour de l’usage toujours en vogue, mais parfaitement injustifié du mot « racisme » ?

Arrêter d’utiliser le mot « nègre » pour parler d’une certaine population humaine est une décision intelligente. Ce qui l’est moins, consiste à haranguer les gens qui en parlent à propos des écrits du passé au moment où ce terme était encore socialement acceptable et accepté. Les éléments d’archives ne peuvent être brûlés, ignorés ou mis à l’index parce que ce terme y apparait.

On explique le contexte, l’histoire, l’évolution des pensées et tout le monde sera en mesure de comprendre le bien-fondé de ne plus utiliser ce terme sans essayer de faire croire que ce mot n’a jamais existé en affublant sa lettre d’entame de points de suspension… Esquiver la question plutôt que de donner des explications claires est digne de l’âge de l’inquisition et de sa grande… noirceur.

Aucun mot ne devrait nous apeurer ni nous faire peser des menaces s’il est justifié et utilisé dans le bon contexte et pour les bonnes causes. On peut débattre de ces derniers dans le respect et l’ouverture d’esprit, on peut diverger d’opinion et même camper sur ses positions, mais à court d’arguments, menacer, devenir extrémiste pour s’arroger une futile victoire non méritée fait d’eux des terroristes de la langue.

Ainsi, tous ces bien pensants qui montent aux barricades sans rien comprendre, sans évaluer la situation, sans réfléchir une seule petite seconde, méritent précisément ce pour quoi ils pensent combattre, une bonne insulte en pleine figure. Personnellement, je choisirais l’un ou l’autre des synonymes incolores du mot « idiot ».

Usurpation de plume

Lu dans un blogue : « Dieu est fidèle à ses promesses ». Ouf ! Quelle affirmation lourde de conséquences ! En théorie, puisqu’il est censé avoir tout créé, ses promesses sont la façon dont le monde fonctionne dans ce qu’il a de plus élégant, mais aussi dans ce qu’il a de plus cruel et hideux.

Winter’s Tale

Cependant, il faut se le dire, cette citation ne provient évidemment pas d’un quelconque dieu, mais seulement d’un disciple un peu trop enthousiaste qui écrit et signe en son nom et sans sa permission par-dessus le marché. De toute façon, est-ce que ce dieu lui-même entérinerait la paternité de la liste entière de ses prétendues promesses qu’on lui attribues ?

D’autre part, si on y pense sérieusement, ce dieu serait fidèle à ses promesses de façon distincte, pas pour tous ses enfants de façon égale. Il aurait des préférés avec lesquels il remplirait ses promesses tandis qu’il les renierait pour d’autres gens qu’il balancerait aux fauves, indistinctement qu’ils soient croyants, pieux ou non.

En supposant que je crois en un dieu, la seule promesse que j’accepterais de lui attribuer une quelconque paternité, est celle qu’on finira tous par crever. Au moins, ça, c’est une vérité qu’il aurait pu nous promettre et dont, effectivement, il tiendrait parole envers tous ses sujets, bêtes et humains, pauvres et riches, croyants et impies.

Lorsque je franchirai le seuil de ma demeure éternelle, en supposant qu’elle soit dans un quelconque condo-paradis géré par dieu, j’aurai bien le temps de lui arracher cette fameuse liste. Si elle contient plus que le seul item dont je viens de mentionner, soit la mort assurée pour tous, j’aurai alors de mon côté une liste infinie de griefs à lui remettre pour manquement flagrant à ses promesses.

Et si cette liste de promesses ne concerne pas notre vie terrestre, elle ne concerne pas ma vie. Le fait de me faire dire ici-bas qu’il honorera ses promesses valables seulement dans l’au-delà reste une promesse hautement hypothétique que rien ne peut prouver. Ce n’est évidemment qu’une promesse d’un humain et non d’un dieu. Et je me méfie de tous les humains qui écrivent et signent au nom d’un autre individu sans sa permission.

Je paraphraserai Niels Bohr lorsqu’il répondait à Albert Einstein lorsque ce dernier affirmait avec conviction que « Dieu ne joue pas aux dés. »

« Cessez de dire à Dieu ce qu’il est censé faire. », lui répondit le physicien Danois.

Cette phrase concerne également tous ces disciples qui s’arrogent le droit d’écrire ce que Dieu est supposé penser et faire.

Coucher des mots dans un cahier appartenant à quiconque autre que soi-même ne peut qu’être répréhensible. Tout le monde devrait clairement exprimer qu’ils ne sont que des opinions personnelles et rien de plus. Les convictions les plus profondes ne doivent jamais être confondues avec la vérité et encore moins si celle-ci est censée être céleste. Toute personne tentant de convaincre du contraire est à répudier le plus rapidement possible. Ces phrases fracassantes doivent être reconnues comme les relents de manipulations issues d’humains contre d’autres humains.

Pour un écrivain, les droits d’auteurs sont sacrés et l’usurpation d’identité de plume, une félonie et une trahison. Je pense que tous les dieux seront de mon avis, mais je n’irai pas jusqu’à l’affirmer en leur nom.