Même s’ils ne sont pas nouveaux, certains mots arrivent tard dans notre vie. Ç’a été mon cas avec le mot « résilience ».
Je ne l’avais jamais lu avant qu’il reprenne vie après un long moment à croupir au fond du dictionnaire. Aujourd’hui et depuis quelques décennies, on peut l’entendre et le lire plusieurs fois par jour.
Avant de connaitre sa définition exacte, en fonction des exemples lus ou entendus, je présumais que la résilience était la capacité d’affronter des épreuves et de les transcender en gardant peu de séquelles.
J’ai ensuite consulté mes dictionnaires et dans son sens primaire, il est question de fatigue du métal, de sa capacité à absorber de l’énergie avant sa rupture. Elle caractérise la résistance au choc, elle indique jusqu’à quel point de l’énergie peut être emmagasinée par un corps sous l’effet d’une déformation élastique.

D’autres définitions se sont ensuite rajoutées à partir de l’exemple donné par la physique des matériaux. On parle alors de ressort moral, de la qualité d’une personne à ne pas se décourager, qui ne se laisse pas abattre, qui surmonte les événements de vie difficiles. Ou encore, l’aptitude à affronter un stress intense et à s’y adapter.
Bref, j’avais visé assez juste avec ma propre définition, du moins en ce qui concerne l’aspect psychologique. Alors pourquoi j’étais toujours pris d’un étrange malaise lorsque j’entendais les gens utiliser ce mot ? C’est comme lorsque quelqu’un parle d’une personne « versatile » plutôt que « polyvalente », mes oreilles s’échauffent. Avec « résilience », j’avais un effet semblable alors que les interlocuteurs l’utilisaient apparemment adéquatement. Victimes de guerres, ou de catastrophes naturelles, celles-ci étaient qualifiées de « résilientes » par les commentateurs, les journalistes, les animateurs de radio et de télé.

Et un jour, j’ai finalement compris la cause de mon malaise. Chaque fois que je lisais ou j’entendais ce mot, c’était dans le cadre d’événements d’actualité. Les animateurs parlaient de la grande résilience des victimes interviewées face aux catastrophes de tout acabit. Mais comment parvenaient-ils à jauger leur degré de résilience uniquement sur la base de quelques déclarations captées sur le vif alors que la poussière virevoltait encore partout ? Comme pour la versatilité et la polyvalence, mes oreilles entendaient l’expression « résilience », mais en fait elles auraient voulu entendre « résistance ».
Résistance est l’un des synonymes de résilience, mais ces deux mots ne sont pas équivalents. La résistance se caractérise par une réaction immédiate à un choc. Mais est-ce de la résilience pour autant ? Vraiment pas. Il faut du temps pour constater l’existence d’une résilience. Ou encore, elle apparait (ou pas) sur une longue période durant laquelle plusieurs événements difficiles se succèdent. Presque toutes les personnes victimes d’un traumatisme auront offert de la résistance, mais seules celles qui parviendront par la suite à vivre le plus normalement possible seront résilientes.

Toutes les catastrophes nous affectent. Nous nous en sortons transformés, jamais identiques à ce que nous étions avant qu’elles ne surviennent. La résilience ne se caractérise pas par l’absence de séquelles, mais par celles qui nous permettront encore de vivre sans trop affecter notre bien-être ni notre entourage. Et dans les cas les plus remarquables, de vivre encore mieux, de devenir meilleur.
Parler de résilience au lendemain d’une catastrophe est, selon moi, une impropriété. Et, sincèrement, seuls les proches immédiats des victimes pour qui leur regard est parfois plus juste, peuvent décemment les qualifier de résilientes.

De toute façon, faire montre d’une grande résistance n’est pas moins glorieux que de montrer une grande résilience, même si on peut facilement penser le contraire, puisque la résilience ne se tient pas sur les épaules de la résistance, ce sont deux échelles parallèles. Une personne peut présenter une grande faiblesse face à l’adversité et pourtant, elle peut ensuite poursuivre sa vie sans problèmes. Comme il est possible de fortement résister et ensuite de chuter et de ne pas être en mesure de se relever, le syndrome du choc post-traumatique en est un bon exemple.
Un autre exemple, on peut très bien résister à une pluie d’insultes mais ensuite en être profondément affecté, tout comme on peut difficilement les encaisser, comme une injustice, mais par la suite ne pas tout remettre inutilement en cause.

Alors, j’invite tous les commentateurs, tous les journalistes traitant de l’actualité à se rabattre sur le mot « résistance » plutôt que d’utiliser « résilience » pour parler de la capacité immédiate à subir des chocs sévères, et de conserver ce dernier pour des reportages ayant pour objectif de montrer la façon dont les personnes ont passé à travers les épreuves une fois qu’elles sont derrière elles ou lorsqu’elles ne cessent de pleuvoir.
Et le Corbot dans tout cela ? Est-il résistant, résilient, aucun des deux, les deux ? Ne me le demandez pas, demandez-le plutôt à mes proches. Ce n’est pas inutilement que j’ai grandement restreint mon cercle social, vous en trouverez peu qui répondront n’importe quoi.

































