Ordinal cardinal

Non, en ce premier mai, je n’aborderai pas le sujet de la fête des Travailleurs, un tas d’autres personnes s’en chargent bien mieux que je ne pourrais jamais le faire. Je veux plutôt vous parler du premier mai, ou plus précisément du premier de chaque mois.

Mis à part les chèques de loyer, de pension, d’aide sociale, etc., le premier de chaque mois possède quelque chose de bien particulier.

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Il faut pour cela connaitre la différence entre un nombre cardinal et un nombre ordinal. Un, deux, trois, ce sont des nombres dits cardinaux qui donnent une quantité, une grandeur. Tandis que les nombres du style premier, deuxième, troisième, on les appelle des nombres ordinaux, ils ne définissent pas une valeur, mais un rang, un ordre.

En français, les dates sont toutes écrites à l’aide des nombres cardinaux, toutes sauf le premier jour de chaque mois. Nous serons demain le 2 mai, mais aujourd’hui, nous sommes le premier mai et non pas le 1 mai.

C’est tellement inscrit dans nos habitudes que nous n’avons bien souvent jamais pris conscience de cette exception.

Bonne Fête à tous les travailleurs !

A comme dans a

Dans ma série de mots commençant par une lettre précise, j’ai longtemps repoussé le jour où je traiterais de la lettre A. Jusqu’à maintenant, vous avez eu droit à D, Y, C, P, E, H, K et V.

Je vais travailler le A comme j’ai fait pour le Y, en choisissant un mot qui ne fait pas simplement commencer par cette lettre, mais qui est cette lettre.

La lettre A, l’entame de notre alpha… bet. On l’appelle aleph dans plusieurs langues. Pour nous, elle est notre première lettre et est également plusieurs mots, plusieurs unités de mesure et même plusieurs préfixes.

Que la première lettre soit une voyelle et qu’elle représente le phonème le plus facile à prononcer, ces faits ne sont certainement pas dus au hasard. Tout commence par le a… enfin, pas tout, mais tout de même 8573 entrées au dictionnaire commencent par cette lettre.

Pour les unités de mesure, lorsqu’il est écrit en minuscule, le a symbolise l’are ou l’an. Oui, nos amis anglo-saxons écrivent eux aussi Ma et Ga pour désigner des millions ou des milliards d’années. Toujours en minuscule, le a devient atto, soit le milliardième du milliardième (10-18) d’une unité lorsqu’il la précède.

En majuscule, le A signifie le très connu ampère et aussi le nombre atomique, soit la somme des protons et des neutrons composant un noyau atomique. C’est aussi le symbole de l’argon jusqu’en 1957 où il fut alors remplacé par Ar.

On le retrouve aussi dans les groupes sanguins et même en musique, en nomenclatures anglaise et allemande, le A ou le a signifie la note «la».

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angstromEnfin, coiffé d’un petit o, il devient la mesure de l’angström soit 10-10 mètre.

Le A peut également se faire chiffre. Dans la numérotation hexadécimale utilisée en informatique, le A symbolise la valeur dix.

Et à tout seigneur tout honneur, le A désigne l’Altesse dans les sigles A.R. et S.A.R.

Curiosité de notre typographie, si vous ne l’aviez jamais remarqué, dans la plupart des polices normales, le a minuscule se dessine différemment lorsqu’on le met en italique (a vs a).

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En mathématique, on utilise le a pour désigner une valeur quelconque, comme une constante dans une équation. Quand on veut personnifier une équation, on remplace le a par «Alice».

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Du côté des locutions, la très populaire «de a à z» signifie «la totale». Aucun hasard dans le nom et le logo de la compagnie Amazon où la flèche-sourire commence au a pour se terminer au z.

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Du côté littéraire, on a également la truculente expression «n’avoir pas fait une panse d’a» signifiant que la personne n’a pas encore commencé à écrire le moindre mot. La panse d’une lettre est sa partie ventrue.

Accentué, le a devient une préposition «à» tout faire, signifiant souvent la possession, l’appartenance , le lieu à atteindre ou le temps. « Je suis à toi », « Passons à table », «Soyez-y à midi ».

J’ai, tu as, il a. Le verbe avoir à la troisième personne du présent de l’indicatif devient simplement un a. Le verbe avoir semble donc voué à tout commencer, peut-être une explication pourquoi nous accordons une importance démesurée à l’avoir plutôt qu’à l’être. «Il a»… et pourquoi pas avec un accent de jalousie?

On utilise «a-» sous forme de deux préfixes de sens différents. Abréviation du mot latin ad, il marque la direction, le but ou le passage. On y trouve des mots comme «abaisser», «accorder», «arriver». Au Moyen-Âge, ce mot s’écrivait «ariver», atteindre la rive.

«A- » est aussi utilisé dans le sens de l’absence, de la privation, de la négation comme dans «apolitique», «anomalie», «acéphale», «anoure».

Finalement, pour terminer cet article en beauté, je change d’idée. Je ne parlerai pas simplement du mot «a». Je choisis de lui «adjoindre» un autre mot, un mot court, relativement méconnu et qui a la fabuleuse propriété de ne contenir que des A, et c’est le mot «aa». Il existe deux entrées dans le dictionnaire pour le mot aa sans accents.

D’origine hawaïenne, aa est utilisé en volcanologie pour signifier une coulée de lave plutôt lente, rugueuse, possédant des scories et de nature basaltique.

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En botanique, Aa est un genre de la famille des Orchidaceæ (orchidées).

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Voilà, ça termine cette courte description de la lettre A. J’espère que cet article vous a plu. Si c’est le cas, vous pouvez découvrir d’autres petits trésors sur d’autres lettres de l’alphabet déjà «abordées» dans ce blogue. La liste se trouve au commencement de ce texte. Bonne lecture.

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Ouais, voilà mon cinq-centième article.

Pour l’occasion, rien du tout. Je vous donne congé de lecture et de réflexions.

Mais n’en prenez pas l’habitude! On se retrouve très bientôt et soyez en forme!

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V comme dans vie

Dans ma série d’articles consacrée à un mot commençant par une lettre précise, voici le temps venu du V et d’un tout petit mot à l’utiliser en entame, le mot vie.

V, la vingt-deuxième lettre de notre alphabet possédait autrefois chez les Romains une étrange caractéristique, son symbole servait tout aussi bien à définir le V que le U. On le remarque sur certains frontons d’édifices où une expression latine a été gravée. Et comme si ce double emploi ne suffisait pas, il servait aussi à désigner le chiffre 5. Alors quand je dis que l’humain aime se compliquer l’existence, n’en doutez plus. Il a par ailleurs été doublé pour former la lettre double vé (W) qu’on appelle « double u » en anglais, relent de la période latine en manque cruel d’imagination pour créer de nouveaux symboles graphiques. Et comble de la confusion, le V grec se nomme « upsilon », en minuscule son symbole est un intermédiaire entre le u et le v (υ) et en majuscule il se dessine comme un i grec (Υ). Et après on s’étonne de la difficulté des élèves à l’école !

V est une consonne fricative, c’est-à-dire qu’elle est générée par la friction de l’air sans occlusion complète. On la désigne en alphabet international par le mot « Victor » et tout le monde sait faire le signe de la victoire en levant le majeur et l’index d’une main afin de produire un joli V.

Je n’aurais pas pu choisir un mot plus important que « vie » pour faire honneur à la lettre V. Dans mon Robert, sa première définition est la suivante : « Fait de vivre, propriété essentielle des êtres organisés qui évoluent de la naissance à la mort en remplissant des fonctions qui leur sont communes ». Je vous l’accorde, c’est loin de constituer une description poétique de la vie !

On parle toujours de la vie avec émotions, car elle s’oppose à la mort, à la fin. La vie, c’est le mouvement, le changement, l’évolution. Parce que la vie est fragile, elle est précieuse. Et parce qu’elle se bat, elle nous donne du courage.

La vie reste le plus grand mystère de tous les temps. Savoir comment nait la vie de la matière inerte représente toujours l’énigme fondamentale que nous propose notre Univers. La Terre a connu la vie bien plus tôt dans sa jeunesse que nous l’imaginions. Des stromatolites de 3,5 milliards d’années ont été identifiés en Australie. Ce sont des roches issues d’un métabolisme biologique.

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Même la frontière entre l’inerte et le vivant reste floue. Nous peinons à classer les virus dans l’une ou l’autre de ces catégories. Ces intermédiaires représentent donc la clé du passage du non-vivant au vivant. Ainsi, à votre prochain épisode de grippe qui ne devrait plus tarder (on ne refait pas un Corbot) remerciez ces microscopiques quasi-bestioles de vous avoir engendré. Ça ne cassera pas votre grippe plus rapidement, mais elle vous semblera peut-être moins antipathique une fois observée sous cet angle.

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On ne peut dissocier la beauté de la vie. Elles sont si liées qu’elles pourraient quasiment être considérées comme des synonymes. Si donner la vie représente une caractéristique commune propre à tout être vivant, en revanche, donner sa vie, l’ultime sacrifice, reste un acte rarissime d’une noblesse qui frôle un palier supérieur à celui de la vie elle-même.

Contrairement aux objets inertes, la vie est l’élément le moins rare et pourtant le plus précieux. Chaque vie est inestimable et mérite tous nos efforts pour la préserver, la nôtre, mais tout autant celle des autres espèces animales, végétales et microbiennes. La vie n’a pas de prix et la sixième grande extinction amorcée par l’humain lui coûtera très cher. Elle risque même de mettre sa propre vie en péril. Lorsque la vie se meurt, l’Univers perd des milliards d’années de travail.

L’humain se comporte avec les autres êtres vivants comme s’ils n’étaient que des objets inertes. Cette attitude de supériorité, de despotisme finira en prise de conscience planétaire, sinon homo sapiens disparaitra. Il rejoindra les milliards d’autres formes de vie ayant déjà vécu et disparu avant lui. La vie pourra alors reprendre le cours de son évolution normale, car…

… c’est la vie !

Blogueur

Devenir blogueur est une décision pouvant paraitre simple et elle se prend souvent sans en faire plus de cas. Nous pensons être en mesure de fournir des informations intéressantes à nos lecteurs dans un domaine dans lequel nous sommes compétents ou qui nous fait plaisir, nos loisirs, nos enfants, un sujet d’intérêt ou d’inquiétude, etc.

Grand corbeau

Puis on se lance avec la ferme conviction que les lecteurs afflueront. Normal, si quelque chose nous intéresse, il devrait y en avoir tout un tas avec le désir de nous lire alors que nous possédons d’excellentes informations sur le sujet.

Nos premiers abonnés semblent confirmer notre analyse. Ça va déchirer ! On le sent ! Puis le premier pic d’abonnés s’essouffle. On redouble d’efforts, mais déjà notre esprit commence à comprendre la dure réalité. Peu importent nos énergies déployées, un nobody restera un nobody à moins de faire scandale ou de faire un tabac avec une vidéo totalement conne donc virale.

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Bloguer vide notre sac à provisions qu’on croyait pourtant inépuisable. Chaque nouvel article nous coûte davantage que le précédent. Nous espaçons nos écrits, mais nous commençons déjà à sentir la fin de l’aventure. Trop de désavantages pour presque aucun avantage. Le nombre de lecteurs reste famélique pour tout ce temps et tous ces efforts investis… en vain.

Nos écrits resteront accessibles un certain temps jusqu’à ce que l’abonnement au site vienne à échéance et sans renouvellement cette belle aventure finira comme elle a commencé, dans l’anonymat le plus total.

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Cette aventure a été vécue par nombre de personnes aujourd’hui disparues des radars et qui gardent un souvenir mitigé d’espoirs déçus. Il faut toutefois se rendre à l’évidence, nos blogues sont des gouttes d’eau dispersées dans une mer de n’importe quoi, quelques articles sérieux originaux, beaucoup de relais d’informations préexistantes et un tas d’inepties.

Le blogue du Corbot existe depuis plus d’un an, mais j’écris un article par jour depuis une révolution terrestre complète autour du Soleil. Mes écrits sont tous totalement originaux, je me documente, je fouille dans ma mémoire et dans mes livres, je trouve de nouvelles références, j’élabore un plan en choisissant un angle d’attaque particulier et original, je rédige, révise, corrige, catégorise et étiquette avant de mettre en ligne. Tout ce processus prend du temps et énormément d’énergies quotidiennement.

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Tenir un blogue (b-log), un journal (jour-nal), requiert de la discipline et il dépasse le simple désir de parler de soi et de ses intérêts immédiats. Cet acte nous pousse à nous améliorer tant au niveau du fond que de la forme. Cet exercice quotidien m’a donné des idées nouvelles dans un florilège de domaines distincts. J’ai établi d’étonnants ponts interdisciplinaires. J’ai nuancé ma pensée en intégrant encore plus de variables dans mes équations. Je me suis laissé porter par des flots d’idées décousues que j’ai rassemblées en courtepointes étonnamment riches en couleurs et en substances. Et pour toutes ces raisons, je vais continuer à vous proposer des articles, cependant, je ne m’engage plus à maintenir le rythme d’un article original par jour.

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J’aimerais remercier tous mes lecteurs et particulièrement ceux qui déposent des commentaires. Je sais combien ces petits mots exigent encore plus de temps et d’énergies de la part des blogueurs-lecteurs. Je reçois donc chacun d’entre eux comme de précieux cadeaux. Je continuerai aussi de vous lire de façon assidue et de commenter vos articles lorsque je pense apporter une opinion alternative et originale.

Je poursuis donc mon aventure avec vous durant une autre année, pour du meilleur et du moins pire. Alors… à demain.

Cool, pas cool !

Je veux vous parler aujourd’hui de la langue française et de sa lente mais indéniable assimilation.

Un mot après l’autre, une expression après l’autre, une phrase après l’autre, un anglicisme après l’autre, une mauvaise traduction après l’autre, une absence de néologisme après l’autre, un emprunt après l’autre, voilà comment se produit l’assimilation d’une langue et finalement sa disparition.

L’assimilation, ce n’est pas cool. Utiliser des mots de langue anglaise alors que leur équivalent français existe, ce n’est pas du tout cool.

Les titres anglophones donnés à des articles francophones pullulent partout dans les blogues. Nous trouvons ça plutôt cool. L’assimilation, c’est exactement le fait de trouver cool l’utilisation d’une autre langue que la sienne. Nous croyons la langue française suffisamment forte pour qu’elle évite l’assimilation et pourtant nous la faisons disparaitre un peu plus chaque jour.

L’agent d’assimilation, ce n’est pas seulement notre voisin, ni l’Américain, ni le Brit, ni le cinéma, ni la télé. Non, l’agent assimilateur, c’est nous-mêmes d’abord et avant tout. Par snobisme, nous utilisons une expression populaire anglaise sans chercher à la traduire et à la rendre aussi élégante dans notre propre langue. Nous ne faisons pas l’effort de trouver le mot français existant équivalent. Nous adoptons les néologismes anglais dont la construction du mot ne respecte aucune règle du français, comme e-mail. Nous faisons fi des traductions convenant mieux à notre langue pour lui préférer le mot anglais. Si le mot français inventé ne s’origine pas de la mère Patrie, il ne sera pas adopté.

Françaises et Français, vous êtes déjà assimilés à la culture et à la langue anglaise et vous feignez l’ignorance. Vous jouez aux snobs, aux babas cool, plutôt que de défendre votre langue. Vous dépensez plein d’énergie à la dévaloriser et ne mettez aucun effort à la protéger simplement en l’utilisant adéquatement, en évitant de larder vos textes de mots, de termes et d’expressions de langue étrangère alors qu’existent d’excellents équivalents français et meilleurs la plupart du temps.

Écrire notre langue, c’est une histoire de respect, tout d’abord envers nous-mêmes, envers nos parents, notre culture, nos origines, notre histoire, notre peuple, les écrivaines et écrivains qui nous ont précédés. Le plus désolant est de constater que les anciennes batailles menées pour la protéger, la diffuser, l’enseigner ne pèsent plus rien, nous indiffèrent, nous emmerdent.

Moindre effort, paresse, manque de vigilance, jemenfoutisme, snobisme, nous utilisons toutes ces mauvaises raisons pour écrire en franglais. C’est exactement de cette façon que les langues disparaissent actuellement, que les langues ont disparu dans le passé et que le français disparaitra.

Lorsqu’il ne restera plus que les académiciens, les linguistes et les chercheurs pour comprendre notre langue, ils se demanderont quel événement charnière a causé la dérive et la disparition de l’usage du français.

Je peux facilement répondre à cette question. L’événement charnière, c’est le titre anglais de votre prochain article de blogue, car l’usage est le moteur des changements et votre participation à ce petit jeu constitue tout sauf un geste anodin. Malgré qu’il soit très lourd de conséquences, vous tentez de minimiser sa portée, son importance et son influence.

Si l’influence de l’usage de l’anglais est si minime, pourquoi alors angliciser les textes? On utilise l’anglais justement parce qu’on recherche une portée plus forte, un impact plus puissant, plus d’exotisme. Donc on use de l’anglais en sachant parfaitement que sa portée, son importance et son influence sont tout sauf anodines, et ce malgré les dénis outragés. Voilà exactement comment agit un agent d’assimilation, il agit en faveur de l’anglais tout en niant nuire au français.

En pensant que votre titre anglais est plus précis, résume mieux votre contenu, définit mieux votre pensée, c’est que votre pensée est déjà assimilée. La langue française peut exprimer tout ce que vous voulez avec la précision, l’intensité et l’émotion désirées. Nul besoin de recourir à l’anglais. Votre cerveau a déjà accepté d’adopter cette langue et a déjà entamé le processus d’oubli du français en le dévalorisant insidieusement sous des airs cool. 

En immergeant un concombre dans le vinaigre, il n’existe aucun moment charnière où celui-ci se transforme soudainement en cornichon. Voilà comment une langue se perd, se noie et meurt, en transformant ses atomes un à la fois, un simple mot à la fois, un simple titre de blogue à la fois.

Utiliser l’anglais dans le titre de son blogue et dans son contenu, c’est pas chouette, c’est pas chic, c’est pas tendance, ni sympa, ni rigolo, ni super, ni extra, ni épatant! L’un ou l’autre de ces mots français remplace avantageusement le mot cool selon les circonstances. Les nuances s’en voient ainsi multipliées.

J’ai sciemment utilisé le mot cool dans le titre afin d’aborder le processus d’assimilation en cours. Cool est maintenant entré officiellement dans le dictionnaire français alors que si nous avions choisi d’utiliser l’un ou l’autre des multiples termes français aptes à le remplacer, ce mot littéralement peu évocateur du sens qu’on lui donne serait resté du côté anglais et nous n’aurions rien perdu puisque nous n’avons rien gagné en choisissant d’utiliser ce mot étranger. Au contraire, nous avons perdu au change en délaissant la richesse de notre langue qui nous proposait déjà un florilège d’équivalences adaptées à toutes les occasions.

K comme dans kyrielle

Le mot kyrielle commençant par la onzième lettre de l’alphabet fera l’objet de mon septième article consacré à commenter de façon bien personnelle un élément de notre vocabulaire.

Mais avant de m’attaquer à la kyrielle d’éléments à discuter autour du mot kyrielle, analysons sommairement le k lui-même, sa première lettre.

D’une sonorité dure et non ambiguë, contrairement à notre c dont le son dépend de la lettre suivante, le k est employé lorsque nous introduisons un mot étranger utilisant cette consonne occlusive sourde vélaire (créée près du voile du palais). En phonétique, le son que produit la lettre k s’écrit [k], signe de son invariance.

Certains mots commençant par le k proviennent parfois de marques de commerce ou de noms d’entreprises ayant commercialisé un produit nouveau comme le klaxon, le kleenex, le kevlar ou le kodak.

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Cependant, la plupart des mots français utilisant le k comme entame proviennent du latin comme le kyste, quelques fois du grec khi χ comme dans kilo, mais surtout du kappa K comme dans kérosène. Beaucoup de mots germaniques ont engendré des entrées dans notre dictionnaire sous la lettre k comme le képi ou le krach. Le slave n’est pas en reste avec knout et kakochnik contenant 3 k. Ou encore un même son provenant de mots d’une langue orientale, dont le japonais avec kaki, koto et kamikaze.

L’arabe est un gros contributeur avec 21 mots dont kefta, kasbah et khan. L’hébreu nous a fourni les mots kabbale et knesset. Quant au turc, il nous a légué le kalpak. Beaucoup de mots provenant de langues africaines s’inscrivent également dans notre langue avec utilisation de la lettre k, comme c’est le cas du kenyan et du kola. Il ne faut pas oublier certains mots d’origine scandinave comme le kraken norvégien.

Comme on peut le constater, le son [k] est utilisé dans beaucoup de langues, engendrant la grande majorité des mots français commençant par la lettre k.

Quant au mot kyrielle, son origine provient du grec ancien Kurie et eleêson ayant donné kirie eleison. Puisque ce chant religieux consiste en une litanie dont les formules sont répétées neuf fois, le mot kyrielle signifie «comme dans le kyrie eleison», une répétition qu’on peut considérer fastidieuse, ennuyeuse et interminable de termes souvent négatifs, des reproches, des défauts ou d’injures.

Pour ma part, je perçois ce mot d’un tout autre œil et je me suis posé la question à savoir pourquoi il ne soulevait pas ce caractère péjoratif dans mon esprit.

Tout d’abord, j’ai toujours aimé le kyrie eleison en tant que chant. Je garde d’excellents souvenirs de certaines œuvres dont le célébrissime Kyrie eleison dans le Requiem de Mozart.

D’autre part, le terme kyrielle possède une terminaison en [-el] que je rapproche d’autres jolis mots tels belle, hirondelle, gazelle, étincelle, ribambelle, etc. Cette terminaison douce et élégante à entendre me fait douter de son sens péjoratif. Puisqu’il tire ses origines du mot kirie signifiant «seigneur», il est difficile de l’interpréter négativement, à moins d’un seigneur dans le sens d’un despote, toutefois ici ce n’est pas le cas.

Le concepteur de ce mot aurait pu choisir une autre terminaison plus appropriée à véhiculer un sens péjoratif. Je considère donc ce mot dans un sens neutre, les items faisant partie de la kyrielle déterminant si la litanie se voudra harassante ou plaisante, interminable ou considérable, négative ou positive, ennuyeuse ou joyeuse.

Je vous laisse à l’écoute de deux pièces musicales provenant de notre héritage classique religieux, deux Kyrie bien différents.

  1. Kyrie tiré du Requiem, Op. 48: I. Introitus: Requiem aeternam de Gabriel Fauré interprété par l’Orchestre symphonique de Montréal.
  2. Kyrie tiré du Requiem K 626, Introitus 2. Kyrie de Wolfgang Amadeus Mozart interprété par le chœur et l’orchestre de l’Opéra de Vienne.

Après cela, osez me dire que le mot kyrielle s’originant dans kyrie vous semble toujours péjoratif!

*****

Voici la liste des autres lettres déjà traitées dans le passé.

D comme désordre — j’ai de la suite dans les idées, même si elles sont désordonnées.
Y comme dans… y — parfois y faut faire simple.
C pour cascade — toute une avalanche d’informations.
P pour placide — un article aux vertus apaisantes.
E pour excellence — un excellent article, sans jeu de mots, OK, aussi avec jeu de mots.
H comme dans hache — sans y mettre la hache, un h ou une hache en disent long.

Zipf et hapax legomenon

En quelle langue est écrit cet étrange titre? Zipf n’est pas une onomatopée, mais le nom d’une loi en l’honneur de celui qui l’a découvert, un certain George Kingsley Zipf.

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La loi de Zipf est étonnante, car elle concerne les statistiques de la linguistique. Il est facile de savoir que, peu importe la langue dans laquelle on écrit un long texte, roman, encyclopédie, la récurrence des différents mots variera énormément. Cependant, Zipf a cherché à en connaitre beaucoup plus et ce qu’il a découvert a de quoi étonner, pour ne pas dire abasourdir.

Commençons par un constat simple, mais non dénué d’importance, la récurrence des mots varie en fonction de leur longueur. Plus un mot est court, plus fréquemment il sera utilisé. On le voit bien avec les déterminants, les prépositions, les conjonctions, des mots généralement très courts. On le comprend également pour l’autre extrémité du spectre. Pour diverses raisons, les très longs mots ne seront pratiquement jamais employés, l’une des raisons étant notre ignorance même de leur existence, mais notre paresse fait également partie des causes favorisant leur absence. De plus, les longs mots sont souvent tirés de jargons spécialisés, impertinents dans des œuvres de nature générale.

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Lorsqu’un long mot devient très populaire, nous produisons des diminutifs, ce qui contribue à respecter le principe relationnel entre longueur courte – fréquence élevée. Cinéma pour cinématographe, pneu pour pneumatique, télé pour téléviseur, frigo pour réfrigérateur, doc pour docteur, etc., les mots raccourcissent avec la fréquence d’utilisation.

Zipf a également noté que les mots difficiles à prononcer auront tendance à disparaitre des discours. S’ils s’avèrent incontournables, certains se transformeront afin que leur prononciation s’en voit facilitée.

Mais sa plus étonnante découverte fut de constater que la récurrence des mots suit une loi mathématique étrangement simple.

Si le mot le plus fréquent est apparu n fois dans une œuvre, le deuxième plus fréquent apparaitra moitié moins souvent, le troisième, seulement le tiers du premier, etc. C’est une simple loi d’inverse 1/n.

En multipliant le rang (r) de chaque mot par son nombre de récurrences (n), on obtient une constante égale à n pour chaque mot répertorié dans l’œuvre. C’est la loi de Zipf. Fantastique, vous ne trouvez pas?

Bon, maintenant que j’ai donné l’explication du mot Zipf dans le titre, que signifient les deux autres mots?

Le terme «hapax legomenon» est tiré du grec et signifie «chose dite une seule fois». Dans la loi de Zipf, il signifie un mot apparaissant une seule fois dans une œuvre. Dans le graphique, ce sont les points situés tout au bas. 

Le dictionnaire français présente la version écourtée, le mot «hapax» pour désigner ces solitaires.

P pour placide

Ça faisait longtemps que je n’avais pas poursuivi ma série de mots commençant par une lettre précise. Voici des liens vers les mots commençant par les lettres D, Y et C.

Je répète mes règles, je propose mes propres définitions, mes propres sens, pas nécessairement ceux des dictionnaires. Évidemment, ils se rapprochent ou sont semblables, mais j’apporte à l’occasion des nuances d’usager francophone d’Amérique, des inflexions personnelles parfois subtiles que j’utilise dans mes écrits.

Le mot d’aujourd’hui : placide.

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Je l’ai choisi parce que je trouve que sa prononciation laisse déjà sous-entendre son sens. Malgré ses dernières lettres, rien n’est rapide dans le mot placide. Il reste en place. Pourtant, son étymologie ne le relie pas à ce mot, mais à deux autres racines latines encore plus évocatrices : « plaire » et « paix ».

Lorsque « placide » s’adresse à une personne, celle-ci prend des airs flegmatiques, imperturbables sans qu’elle soit bonasse ou attentiste. On pense à un individu patient, compréhensif, un professeur, un éducateur. Même si le dictionnaire parle de candeur, je vois plutôt de la tolérance.

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Un paysage placide baigne dans le calme, la sérénité, il est majestueux et nous montre ses plus beaux attraits. C’est une oasis, un refuge pour se refaire des forces, retrouver sa santé et son moral.

Placide est lié au mot paix et celle-ci ne s’obtient jamais sans compromis. Ainsi, être placide exige de la compromission, de l’accommodation. C’est la raison pour laquelle je l’éloigne de tout sens comportant de la naïveté.

Bien sûr, pour tous les va-t-en-guerre, la paix passant par les compromis est un concept inadmissible. Pour eux, ce comportement doit être associé à de la candeur, de l’ingénuité, de la fraicheur et de la simplicité (d’esprit). Voilà pour moi dans quel contexte certains utilisent le mot placide comme étant une faiblesse.

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Évidemment, ma position s’avère tout autre. Je considère la placidité comme une force utilisée à bon escient, elle s’apparente à de l’indulgence. Elle exige de comprendre les autres sans nécessairement les approuver ni les encourager. Sa puissance est puisée dans l’expérience et dans une compréhension multifacettes des humains.

La placidité est réservée aux sages et puisque j’avance en âge, cet objectif m’interpelle de plus en plus. Ma fougue se transformera-t-elle un jour en placidité ? Deviendrai-je un sage placide ?

Et vous ?

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Moonwalk scripturaire

Tout d’abord, définissons ce qu’est le moonwalk (retour en arrière) pour ceux qui ne connaissent pas le terme, mais qui reconnaissent certainement ce mouvement dedansepopularisé par Michael Jackson. Vous savez lorsque l’on voit son corps reculer, mais ses pieds donnent l’impression qu’il marche vers l’avant! Paradoxe visuel assez génial, merci.

Je n’ai pas inventé le moonwalk, mais j’ai inventé le terme «moonwalk scripturaire». Je crois que ça vaut une définition.

J’écris des nouvelles, des poèmes, des romans et toutes sortes de textes dans lesquels j’invente la plupart des histoires. Ce ne sont pas des récits ni des biographies ni de l’autofiction. J’invente des personnages, des situations, des histoires, des lieux, des époques, des décors, des actions, tout est fictif. J’aime inventer, créer à partir du néant.

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Ce néant commence à se dissoudre de façon qui me surprend toujours, même si j’en suis l’auteur. Ce qu’on oublie ou ce qu’on ignore quand on n’invente pas des histoires, c’est qu’on ne fait pas naitre nos personnages à zéro jour, tout nus, en braillant de ne plus sentir l’intérieur de leur mère. Je veux dire qu’on ne leur invente pas nécessairement un passé avant un présent.

Un personnage nait souvent à un certain âge avec un passé que l’auteur ignore encore totalement ou presque totalement. Comme le lecteur, il va apprendre à connaitre son personnage. Mais l’histoire écrite va plutôt vers l’avant, du présent vers le futur, c’est la vie en cours et le sens normal de l’écriture. Ce premier personnage reste rarement seul bien longtemps. Donc il interagit avec d’autres personnages qui naissent eux aussi du néant et qui ont un passé tout aussi inconnu et nébuleux.

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Ainsi, l’histoire dans le livre commence à un point «A» et évolue vers un point «B». Toutefois, certaines raisons contenues dans le passé des personnages expliquent et justifient des paroles ou des actes. Ces raisons sont antérieures au point «A» et font donc partie d’un néant à découvrir et parfois à écrire à titre justificatif ou informatif. Crédibiliser ses personnages est essentiel pour garder les lecteurs bien en selle. Lorsque l’auteur a besoin de donner des références tirées du passé de ses personnages qui n’existent pas encore, il part à la découverte de ses propres créations.

J’utilise le terme découverte plutôt qu’invention en connaissance de cause. Puisque les personnages ont commencé à vivre, à évoluer, l’auteur ne peut plus leur donner le passé qu’il veut, un passé qui adonne tellement bien, mais qui ferait grincer les dents du lecteur. Son histoire doit rester logique en inversant la flèche du temps et en projetant son personnage dans son passé, de la même façon qu’il le fait évoluer vers le futur, en préservant la cohérence avec les premières phrases écrites à son sujet. Ainsi, l’auteur conçoit avec des contraintes des événements passés, des lieux passés, des activités passées et des interactions passées.

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Multipliez les personnages et le nombre d’interactions possibles entre eux, les possibilités augmentent d’une façon passablement folle. Et le script doit rester homogène, tant dans le passé que dans le présent et le futur en conservant intacte la psychologie de chaque individu ancrée par les premières phrases écrites. Bien sûr, il reste de la marge de manœuvre, mais chaque incartade devra être justifiée dans les trois temps, le passé, le présent et le futur des personnages influencés par cet événement imprévu ou imprévisible si vous ne voulez pas créer une histoire sans queue ni tête. Et bien sûr, ce sont ces incartades qui apportent le piquant aux histoires qui ont pour effet de réjouir le lecteur friand de surprises intelligentes.

Où se situe le moonwalk scripturaire dans ce processus? L’écriture, la composition doit répondre à quelques critères précis.

Le premier critère est trivial mais essentiel, le texte doit être de la fiction véritable. Réarranger certains faits véridiques n’est pas de la fiction véritable. Trop d’éléments ont réellement existé, ça devient trop facile d’écrire une histoire cohérente.

Deuxième critère, l’écriture ne doit pas s’être déroulée selon une trame temporelle linéaire. Si l’auteur statue sur le point A et se rend ensuite jusqu’au point B sans retour dans le passé, le moonwalk scripturaire est inexistant.

Troisième critère, l’histoire doit posséder un bon degré de complexité, soit à cause du nombre de personnages, du nombre d’interactions différentes entre les personnages, du nombre d’événements qui surviennent ou qui sont survenus, d’une complexité psychologique, d’une étendue temporelle importante ou d’un fabuleux mélange de tous ces ingrédients. Dans de la fiction, l’auteur ne peut pas faire appel à de vrais souvenirs pour s’aider à ne pas s’y perdre et à rester cohérent. La complexité détruit assez facilement le moonwalk scripturaire.

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Quatrième critère, les lignes temporelles des différents personnages doivent se croiser aux bons endroits lors des projections dans le futur. C’est comme si vous aviez su les punchs avant même d’avoir écrit les prémices de ces punchs. Des attracteurs étranges font converger toutes les lignes du synopsis vers eux. L’auteur a l’impression de ne plus inventer grand-chose. Pourtant on parle toujours de fiction véritable. Il a l’impression de découvrir une histoire préexistante. Sa composition semble soudain se transformer  en description.

Cinquième critère, probablement le plus difficile à respecter, tout se justifie après coup. Imaginez les pièces prédécoupées d’un immense puzzle finissant par s’emboiter sans utiliser un marteau ou une lame (sauf des points mineurs n’ayant aucune conséquence structurelle). En rembobinant les films de tous les personnages, l’auteur découvre des explications parfaitement logiques, totalement crédibles à des événements inventés et décrits, pour lesquels aucune explication n’avait encore été imaginée. L’auteur écrit le prologue après tout le reste, après l’épilogue, et tout se tient, tout s’explique, tout se justifie.

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Un sentiment étrange habite alors l’auteur. Est-il le créateur ou simplement le rapporteur d’une histoire préexistante? Son inconscient avait-il déjà créé cette histoire depuis les tout premiers instants, même si l’écriture, elle, a louvoyé entre le futur et le passé?

Pour moi, c’est ça du moonwalk scripturaire et comme pour Michael Jackson, l’auteur se dit: «Est-ce que j’ai avancé l’histoire ou si je l’ai reculée?»